La visite d’Etat d’Angela Merkel entre Pékin et Shenyang (12-14 juin) a connu un succès sans égal, lui ayant permis de décrocher pour ses 20 patrons d’entreprises du voyage, autant de contrats, pour 13 milliards d’€. Parmi eux, une chaîne de montage d’hélicoptères Airbus à Shenyang (100 appareils commandés, 3 ans d’ouvrage), l’usine en JV Daimler / BAIC de moteurs de voiture (0,6 milliards d’euros), et la cession du constructeur d’éoliennes maritimes WindMW au consortium hydroélectrique des Trois Gorges.
Cette visite se présentait pourtant sous des auspices difficiles. Au plan international, un conflit commercial fait rage, du fait des surplus d’acier chinois déversés à vil prix à travers le monde – l’Union Européenne prépare la riposte. Or, c’est aussi le moment où d’ici décembre, au titre du traité de 2001 d’accession de la Chine à l’OMC, Bruxelles est supposée abandonner, dans les 28 Etats-membres, son bouclier antidumping : de reconnaître à la Chine le statut de « pays d’économie de marché ».
Quoique lié à Merkel d’une amitié ancienne (cette visite était la 9ème depuis 2005), Li Keqiang n’a pas manqué de lui rappeler que « la Chine a rempli sa part du contrat. A présent, c’est à l’Europe de tenir sa parole », sous peine de voir la Chine se lancer dans des mesures « légales », préludes à une guerre commerciale.
La réponse de la Chancelière ressembla à celle de Bismarck, « main de fer dans un gant de velours ». Oui, elle et l’UE reconnaissent l’engagement pris en 2001, et elle-même s’engageait à jouer les entremetteurs entre le Conseil d’Etat chinois et la Commission Européenne : une solution devrait être trouvée, conforme à cette promesse. Mais d’abord, la Chine devrait aussi y mettre du sien : elle ne pourrait indéfiniment faire l’impasse sur l’Etat de droit, sous prétexte de pratiquer un type de gouvernance plus laxiste, « inspiré de la loi ». En matière d’acier, elle devrait négocier, tailler plus courageusement dans ses surcapacités. En matière commerciale, il était grand temps de passer à la réciprocité : ouvrir aux industries allemandes l’accès son marché intérieur, ses marchés publics, son secteur des services, des investissements, de la construction.
Cet appel de Merkel traduit un éveil en cours en Allemagne : cette Chine qu’elle voyait « complémentaire », devient rivale. Finies, les exportations de peluches pour bébés, ce que la Chine vise désormais est son marché des renouvelables, du high tech, tout ce qui fait le cœur de l’export d’outre-Rhin. Forte de sa finance, Pékin brigue 25 firmes allemandes à haute technologie, pour 9,1 milliards d’€, dont Kuka, la firme de robots automobiles d’Augsburg pour 4,6 milliards. Mais si elle acquiert ces fleurons de R&D, que restera-t-il, en 2025, du plan fédéral « Industrie 4.0 » ? L’Allemagne s’inquiète, et la Chine réalise le risque : Midea, candidat repreneur de Kuka, se dépêche de réviser ses ambitions, à « seulement » 49% des parts…
En Chine-même, les groupes européens aussi sentent tourner le vent conjoncturel, et les barrières d’accès toujours plus fortes. Dans son rapport annuel de juin, la Chambre de Commerce Européenne révèle que seuls 47% des membres envisagent réinvestir au Céleste Empire en 2016, contre 56% en 2015, et 86% en 2013. On a l’impression d’arriver en fin de cycle : pour que redémarrent ces échanges et interconnexions réciproques, Allemagne (Europe)/Chine, la réforme promise par l’équipe Xi Jinping-Li Keqiang depuis 2012 va devoir enfin se déployer, en Chine-même, mais aussi en dehors.
Les deux gouvernements ont siégé ensemble pour tenter d’avancer en ce sens –Madame Merkel s’était déplacée avec 5 de ses ministres et 6 secrétaires d’Etat. La solution est évidemment hors des compétences bilatérales—elle consistera en un traité Chine-UE de protection des investissements, dont la négociation s’éternise depuis des années. Cependant, en bilatéral la visite d’Angela Merkel a permis d’enregistrer une modeste initiative : un Traité de coopération sur les pays et marchés tiers, avec deux premiers projets approuvés, tous deux en Afghanistan : pour une gestion commune urgente en cas de catastrophe naturelle, et une coopération universitaire sur la sécurité des mines de charbon.
Il est aussi question d’ouvrir des chantiers de coopération au Mali, où la Chine entretient des Casques Bleus, et où Berlin est intéressée à investir pour rétablir la croissance, en rempart à la menace islamique.
C’est peu, mais d’autres dossiers sont « au four », telle l’équipement en technologies Siemens de TGV chinois destinés aux marchés tiers, ou le renfort technologique des rames de fret sur la « route de la soie ferroviaire » Chongqing-Duisbourg.
Angela Merkel et Li Keqiang ont désigné ce modèle une « nouvelle approche qualitative », en espérant la prévention de conflits commerciaux et la création de nouveaux produits combinant technologie européenne et bas coût chinois.
Tout bien considéré, c’est exactement ce que tente de faire la France avec la Chine, en nucléaire et en agro-alimentaire, depuis 20 ans. Mais une conclusion s’impose dès maintenant, imparable : si la Chine, enfin, acceptait de s’allier commercialement avec des partenaires développés (Europe, Etats-Unis, Japon) sur ces marchés à haute technologie, vers les marchés tiers, son offre gagnerait en acceptabilité sous tous rapports – commercial, technologique, et politique.
Sommaire N° 22 (2016)