Le 18/08/2018 (date propitiatoire en culture chinoise), le site d’Airbus à Tianjin soufflera ses 10 bougies. Dix ans plus tôt, le groupe y inaugurait la FALA (Final Assembly Line Asia), sa première chaîne hors Europe, dans le but d’assembler des A319 et A320. Le complexe était cofinancé à 49% par un consortium entre la zone aéroportuaire de libre-échange de Tianjin et AVIC, la corporation nationale d’industrie aéronautique.
L’objectif initial était de combler l’appétit d’ogre du marché chinois et de grignoter des parts de marché à l’éternel rival Boeing, alors maître de 60% des commandes. Cette installation était de longue date espérée par l’Etat, anxieux de voir s’initier des transferts de savoir-faire vers son propre programme de construction aéronautique. De ce fait, pour Airbus, ouvrir Tianjin, était considéré comme un risque majeur, du fait du risque de piratage. Gardant également en mémoire les raisons de l’échec du constructeur américain MDD (McDonnell-Douglas) en 1994, le groupe européen faisait le choix d’importer ses sous-ensembles techniques prémontrés, ne confiant à Tianjin que l’assemblage et les finitions.
Acheminé depuis Hambourg par voie maritime en 6 segments, l’A320 passe sa première semaine en halle de montage, où son fuselage est riveté (câblé d’origine, nanti de ses points de distribution d’eau), puis sont assemblés ses ailes, ailerons, moteurs, portes et équipement de cabine. Deux semaines succèdent à l’atelier peinture, où l’appareil perd sa robe vert pâle pour un blanc éclatant suite au spray de 350 litres de laque. Suivent les tests de pesage, d’étanchéité des circuits kérosène, des vols d’essai – l’appareil est alors prêt à la livraison. Concernant les fournitures, « tout ce qui est sans lien avec la sécurité aéronautique » et disponible en Chine, est sourcé localement, d’entreprises chinoises ou étrangères.
L’an passé, le groupe Airbus livrait 558 appareils A320 dans le monde, le modèle-phare de la gamme. A 4 avions sortant par mois, Tianjin en assurait 10%. Il se prépare à en livrer 5 par mois en 2019, puis 6 en 2020, pour atteindre le rythme de croisière de 75 appareils par an – tempo plus lent que celui du centre de Hambourg qui sort un A320 chaque 1 à 2 jours. Mais, selon ce chef de production, « cela permet à Tianjin de dépasser Hambourg en qualité : la cadence moins élevée permet de parfaire les finitions ». Ainsi, lentement mais sûrement se résorbe le déficit en confiance que vivait aux débuts le client envers l’A320 « local », d’autant qu’il n’y a pas de différence de prix catalogue (environ 100 millions de $ l’unité) entre Hambourg et Tianjin, le coût de l’expédition des pièces étant compensé par la main d’œuvre moins chère de Tianjin. Ainsi, à la commande, le client ne sait pas sur quel site elle sera produite.
En 2016, la coopération s’accélérait avec l’extension de la JV à Tianjin jusqu’en 2025, et avec l’assemblage final du fameux A320neo, permettant l’économie de 15% à 20% de carburant. Le premier A320neo made in Tianjin fut livré fin octobre 2017 au transporteur low-cost Air Asia. Fin 2017 fut lancé sur le site, le Centre de finition et livraison (C&DC) du gros porteur A330, avec une différence par rapport à la FALA : assemblé à Toulouse, l’A330 vole « nu » vers Tianjin pour y recevoir ses équipements de cabine, ses finitions et tests de rigueur. Le 1er appareil vient d’être livré à Tianjin Airlines.
Pari réussi donc pour Airbus, qui a pu en dix ans remonter Boeing pour empocher 50% du marché chinois.
En outre, Tianjin dessert l’Asie entière, Malaysia Airlines, Thai Airways, Air Asia…
De son côté, Boeing, ambitionnant depuis les années 90 de produire en Chine « l’avion de 100 places » mais qui hésitait toujours à s’y installer, a sauté le pas en mars 2017, ouvrant son centre de finition à Zhoushan (Zhejiang), en JV avec COMAC. Ses premiers B737 sortiront fin 2018.
Ainsi, Airbus parviendra-t-il à conserver ses parts de marché si chèrement conquises ? De plus, le tableau de la construction aéronautique chinoise se complexifie par l’arrivée du challenger COMAC (qui fêtait également ses 10 ans le 11 mai), qui pourra évidemment compter le moment venu sur la préférence nationale. Avec trois ans de retard, son moyen-courrier C919 passait en mai 2017 en phase d’essais en vol, et ne peut espérer sa certification chinoise avant 2021– les feux verts européen et américain sont pour plus tard. En motorisation, le C919 pourra compter sur deux options : celle de l’incontournable CFM Leap-1C (JV Safran et GE), puis celle d’un réacteur chinois alternatif, en cours de développement par l’AECC (consortium géant créé en août 2016 par fusion des divisions moteur d’AVIC et de COMAC).
A ce jour, le C919 revendique 815 commandes, souvent des sociétés de leasing (filiales de banques ou groupes publics) et de compagnies aériennes chinoises. On compte encore une exception, celle de GECAS, filiale de GE qui commande 20 appareils avec « sa » propre motorisation. Deux autres commandes sont révoquées ou sérieusement compromises :
– sept C919 par PuRen Airlines, d’un groupe d’investissement chinois éponyme, dont la filiale est en faillite après le rachat de l’aéroport de Lübeck (Allemagne) également en banqueroute ;
– 10 avions par la compagnie City Airways de Bangkok, appuyée par la banque chinoise ICBC—une compagnie aérienne suspendue en 2016 suite à des problèmes de sécurité.
Tout cela indique donc une forte mobilisation patriotique pour gonfler le carnet de commandes du C919.
Tony Fernandes, PDG d’AirAsia, jusqu’à présent fidèle client d’Airbus, déclarait néanmoins il y a un an qu’il serait « fou de ne pas prendre en considération le C919 ». Willie Walsh, le patron de British Airways en attendait plutôt « un impact sur les prix pratiqués par la concurrence (Airbus, Boeing) ». Lucide, Xu Yongling, membre de la CSAA (Chinese Society of Aeronautics and Astronautics), précise que « la COMAC n’espère pas faire du C919 le best-seller de sa catégorie, mais plutôt de lui permettre de bâtir de meilleurs avions… chinois » !
D’ailleurs, la COMAC travaillerait déjà conjointement avec son allié russe United Aircraft Corp (UAC) sur le design d’un futur long-courrier CR929 (entre 280-350 places)…
Mise à jour (5 juin) : Le groupe HNA, en pleine tourmente financière, annonce la commande de 200 C919 et 100 ARJ21.
1 Commentaire
severy
2 juin 2018 à 21:23Apparemment, l’aviation militaire chinoise avance bien plus rapidement que l’aviation civile. Il est vrai que pour un pays épris de paix et débordant d’une bienveillante et éternelle amitié pour les nations voisines, la conception, la fabrication (et le futur emploi) de chasseurs supersoniques, de drones et de toute une batterie de missiles sophistiqués démontre de manière éclatante les perspectives pacifiques de plus en plus évidentes de l’empire du nord-est.