Editorial : Visites en série

Visites en série

Quatre mois après l’affaire du « ballon-espion », la visite à Pékin du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a enfin été reprogrammée (18 juin). Il emboîtera ainsi le pas à une vingtaine de patrons de multinationales américaines (Apple, Intel, General Motors, Goldman Sachs, JPMorgan, Starbucks…) qui se sont succédés les uns après les autres en Chine ces derniers mois et pour lesquels, il faut le dire, les dirigeants chinois ont montré nettement plus d’enthousiasme.

Dernière visite en date : celle d’Elon Musk, le charismatique et controversé fondateur de Tesla et de SpaceX. Comme pour tous les autres PDG, ce déplacement était son premier voyage dans l’Empire du Milieu (ou plutôt de la voiture électrique) depuis plus de trois ans. Il s’agissait de retrouver sa « giga-factory » shanghaienne, mais aussi de prendre contact avec la nouvelle équipe dirigeante. M. Musk a ainsi été reçu par le vice-premier ministre exécutif, Ding Xuexiang, un proche du président Xi Jinping, et une flopée de ministres (de l’industrie, du commerce…). Le milliardaire a également rencontré le nouveau secrétaire général du Parti de Shanghai, Chen Jining, qui l’a encouragé à poursuivre ses investissements dans la ville. Justement, Mr Musk avait annoncé en avril la construction d’une usine de batteries destinées à ses Tesla. Il a également été un temps question d’une seconde ligne de production, mais le constructeur aurait renoncé pour le moment, faute d’avoir obtenu les autorisations nécessaires de la part des autorités ou de perspectives de ventes suffisantes sur le segment premium, selon les différentes rumeurs.

Lors d’un entretien (cf photo), Qin Gang, ministre des affaires étrangères et ex-ambassadeur aux Etats-Unis, aurait assuré à Elon Musk que la Chine va continuer d’améliorer l’environnement d’affaires pour les investisseurs étrangers, ce à quoi le milliardaire lui aurait répondu que « les intérêts de la Chine et des Etats-Unis sont liés, indissociables, comme des frères siamois » et qu’il s’opposait à tout découplage entre les deux pays. Connu pour son sens de la métaphore, le ministre aurait alors comparé les relations Chine-US à la conduite d’une Tesla, « qui exige de tenir le volant correctement, de freiner à temps pour éviter toute conduite dangereuse et d’appuyer sur l’accélérateur au bon moment ».

Mis à part cet échange rapporté par un communiqué du ministère, Elon Musk n’a fait aucune autre déclaration publique durant sa visite. Le nouveau propriétaire de Twitterplateforme censurée en Chine mais sur laquelle les médias d’Etat et les diplomates chinois sont très actifs – s’est également retenu de publier quoique ce soit durant tout son séjour de 72h, ce qui n’est pas exactement dans ses habitudes. Même silence assourdissant sur Weibo.

L’excentrique milliardaire n’est pas le seul patron à avoir choisi de faire profil bas, de peur de dire quelque chose qui puisse déplaire à Pékin ou de se faire mal voir à Washington. Ses confrères ont adopté la même stratégie : exit les prises de parole en public, les évènements médiatiques ou encore les interviews accordées à la presse. Uniquement des réunions à huis clos avec les dirigeants chinois ou des partenaires d’affaires. D’ailleurs, pour la plupart d’entre eux, la priorité du moment n’est pas de se lancer dans de nouveaux projets, mais de mener à bien ceux qui sont déjà en cours.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi ces patrons d’entreprises marchent ainsi sur des œufs. La relation sino-américaine est au plus bas tandis que la situation autour de Taïwan reste extrêmement tendue. Le passage d’une nouvelle loi de contre-espionnage accompagnée d’une campagne visant des cabinets d’audits et de conseils étrangers au nom de l’impératif de « sécurité nationale » n’a rien arrangé.

Ces « CEO » auraient pourtant tort d’omettre de mentionner en privé leurs difficultés et inquiétudes, de peur de se retrouver dans le collimateur de Pékin. En effet, ces capitaines d’industries font partie des rares étrangers qui ont non seulement un accès aux dirigeants chinois, mais peut-être aussi une certaine influence sur eux, car ils sont perçus comme des porteurs d’investissements (que Pékin cherche désespérément à attirer) mais aussi comme des voix influentes pour s’opposer à toute politique anti-chinoise dans leurs pays respectifs. Ils sont donc dans une position unique pour faire passer des messages qui auraient autrement peu de chances d’être entendus. Il serait dommage de s’en priver.

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