Economie : La fraude statistique dans le viseur de Xi Jinping

La fraude statistique dans le viseur de Xi Jinping

Le combat de Pékin contre la fraude statistique continue. De passage dans le Shandong fin mai, le Président Xi Jinping a déclaré que « cette pratique induit non seulement en erreur les décideurs mais aussi nuit à la crédibilité du gouvernement ». Selon toute vraisemblance, le chef de l’Etat serait à l’initiative d’une nouvelle campagne de lutte contre la manipulation et la dissimulation des données statistiques (统计, tǒngjì) qui devrait durer un an, selon le magazine économique Caixin.

Le problème ne date pas d’hier. Dès 2017, trois gouvernements locaux avaient reconnu avoir gonflé leurs chiffres, les cadres profitant d’un changement d’équipe dirigeante pour se faire bien voir en dénonçant les méfaits de leurs prédécesseurs. Il y a d’abord eu le Liaoning, une des grandes régions de l’industrie lourde chinoise, qui a avoué avoir gonflé artificiellement son PIB régional d’environ 20 % entre 2011 et 2014. Dans la foulée, la Mongolie Intérieure a, elle aussi, reconnu avoir surévalué de 40 % sa production industrielle et de 26 % ses revenus fiscaux en 2016. Quant à la zone portuaire de Binhai à Tianjin, elle a finalement réduit d’un tiers le PIB de 2016 annoncé auparavant.

Le but de ces fraudes pour les cadres ? Créer une illusion de développement économique et ainsi espérer une promotion. Le problème est si répandu que certains analystes estiment que le PIB du pays aurait été surévalué d’au moins 2 points entre 2008 et 2016, et que l’erreur de calcul aurait tendance à augmenter chaque année. Pour rappel, Pékin s’est fixé un objectif de croissance d’environ 5% en 2023.

Bien conscient du problème, l’ex-premier ministre Li Keqiang, déclarait dès 2007 préférer se fier aux chiffres de consommation électrique, du fret ferroviaire et des prêts bancaires, jugés plus fiables que les statistiques officielles. Sauf que depuis, le phénomène s’est étendu au-delà des principaux agrégats économiques pour concerner des indicateurs tels que l’intensité énergétique, les ratios de financement en R&D ou encore la production de viande porcine, sur lesquels sont également évalués les cadres et qui leur permettent d’obtenir davantage de subventions de l’état central. C’est le résultat de l’ajout sous Xi Jinping de nombreux autres critères (environnementaux, lutte anti-pauvreté, autosuffisance alimentaire…) dans le système d’évaluation des cadres, de manière à poursuivre une croissance « qualitative ».

Les gouvernements locaux ne sont pas les seuls responsables de ces problèmes statistiques. Ces dernières années, certaines agences gouvernementales dont le BNS ont arrêté de publier certains indicateurs, de peur que leurs incohérences soient pointées du doigt. Ce paradoxe expose la situation délicate dans laquelle se trouve les statisticiens nationaux : d’un côté, ils ne peuvent pas reconnaître publiquement que les données du pays ne sont pas fiables, de l’autre, ils doivent lutter contre cette fraude endémique des cadres locaux qui ont à la fois les moyens et les incitatifs de fabriquer de faux chiffres pour en tirer un gain politique.

Le gouvernement central a toujours essayé de s’assurer de l’exactitude des données, mais les cadres locaux trouvent de nouvelles parades. Lorsque le BNS a déployé en 2012 un nouveau système de déclaration directe des entreprises visant à réduire l’intervention des statisticiens locaux, ces derniers se sont tout simplement assurés de dire aux entreprises quels chiffres rapporter.

La commission centrale de l’inspection de la discipline (CCDI) décrit « une supercherie collective perpétrée par les statisticiens locaux ». Un exemple donné par l’agence anti-corruption est celui d’une ville de l’est du pays, où les statisticiens ordonnaient aux compagnies de déclarer un revenu supérieur au seuil de 20 millions de yuans de façon à enjoliver la performance industrielle de la localité. Si les groupes n’obtempéraient pas, ils se voyaient privés de diverses subventions publiques et écartés de certains appels d’offres. 

Cette fois-ci, Pékin mise sur les nouvelles technologies, telles que le positionnement satellite, la consommation de données mobiles, ou encore en ayant recours à des drones pour réduire toute possibilité de trucage statistique.

Pourquoi la lutte contre la fraude statistique est-elle si importante aux yeux de Pékin ? Car cette pratique brouille la vision des décideurs. Or, adopter des mesures de relance économique efficaces nécessite d’avoir un aperçu clair et précis de l’état de l’économie. C’est d’autant plus crucial en ce moment alors que l’économie chinoise est à la peine et que les mesures de relance consenties jusqu’à présent ne semblent pas porter leurs fruits.

Cependant, en blâmant les cadres locaux, les entreprises et les statisticiens pour ces fraudes, le gouvernement central et ses dirigeants se positionnent en victimes de cette désinformation sans remettre en cause le système d’évaluation des cadres et celui qui attribue davantage de fonds, de subventions et de lignes de crédits aux collectivités qui déclarent de bonnes performances. Sans cette réforme en profondeur, la fraude statistique est vouée à perdurer. Une question demeure : même si Pékin obtient des données plus fiables et donc forcément moins reluisantes, serait-il prêt à les divulguer au public ? Rien n’est moins sûr…

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1 Commentaire
  1. severy

    Bon article. On se demande quel serait le taux de satisfaction de la population quant à son train de vie, son libre arbitre et ses perspectives de mener une existence heureuse. Ah, les faux-semblants des statistiques…

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