Editorial : Pékin réinvente la vie en ville

Longtemps, la Chine n’a pas connu d’urbanisme, se contentant d’entasser  dans un style volontariste, routes et cités dortoirs avec pour seule boussole, l’urgence des besoins et des profits. Mais les choses changent. Le 27 mai au Bureau Politique, le Président Xi Jinping décrivait le « nouveau Pékin » en train de naître à Tongzhou, au cœur de Jing-jin-ji (京津冀, 185 millions d’âmes entre Pékin, Tianjin et Hebei). Cette ville « verte, boisée, spongieuse et intelligente » (selon Xi), accueillera, sur 155km² de parcs et lotissements, les agences municipales et des services (écoles, hôpitaux…) parmi les meilleurs du pays. Pour faire place nette, 2000 entreprises industrielles ont déjà été déplacées. Afin d’éviter la congestion, sa population actuelle de 870.000 âmes, ne pourra dépasser les deux millions.
A l’inverse, d’ici 2020, Pékin-ville devra avoir entamé sa décroissance : six districts auront  perdu 15% de leur peuplement, deux millions de résidents (à commencer par les quartiers du Zoo et de la Cité Interdite). Sur les routes, pour désengorger le flux de 5,6 millions de véhicules, une circulation alternée par jour pair/impair, se prépare, ainsi qu’une taxe de 20¥ à 50 ¥/jour par véhicule entrant dans la capitale. Des normes de pollution des véhicules, bien plus contraignantes, seront  également mises en place, et l’automobile électrique aura fait un « bond en avant ».
Dans cette réinvention de la ville, l’effort le plus original consiste en la capture et l’élaboration des données individuelles pour mieux prévoir et coordonner les besoins,  par quartier et par tranche d’âge – avec un effort particulier pour le 3ème âge.
Pékin compte 3 millions de sexagénaires, dont 3% atteints de perte de mémoire ou de démence sénile. Pour ceux-là, la mairie prépare 10.000 bracelets électroniques, permettant de les localiser. 400 sont déjà livrés, avec trois ans d’abonnement gratuit au service permettant de les localiser.
D’ici 2018 entre Pékin, Tianjin et le Hebei, 20 millions de sexagénaires auront reçu leur carte « 3ème âge multi-usage », avec 100 yuans de crédit offert chaque mois par l’Etat – sans compter le complément éventuel par la  famille. Elle donne accès gratuit aux bus et aux parcs, et ouvre aussi à une gamme de services payants : soins, ménage ou repas à domicile… La carte est précédée par un questionnaire sur le (ou la) titulaire, sa santé, ses revenus, habitudes, ou même ses envies – telle celle de quelqu’un avec qui parler…
Avec cette montagne de données, la municipalité peut créer des profils et tendances : la baisse de fréquentation de personnes âgées dans tel parc ou sur telle ligne de bus, permettra de suivre le vieillissement du quartier, la progression de la dépendance, et d’anticiper le besoin en nombre de lits, centres d’accueil, gérontologues…
Objection occidentale : le fichage des individus porte atteinte à la vie privée. Mais les intéressés eux-mêmes balaient la critique d’un (tremblant) revers de main : « les vieux n’ont pas de secrets », et « cette carte est plus utile que l’ancien système de coupons qu’elle a relayé ».
Tout ceci suggère un changement tumultueux de gouvernance urbaine : les ministères et agences de l’Etat s’apprêtent à centraliser les informations sur leurs citoyens. En réveillant ces données qui dormaient (parce qu’elles étaient parcellaires et séparées) et le privait de vue d’ensemble sur l’individu ou le groupe social, le gouvernement espère tirer un outil de management plus performant – et pas seulement au service du 3ème âge…
Rogiers Creemers, le spécialiste à Oxford sur la gouvernance technologique, formule cette conclusion peut-être  un peu dérangeante : « la Chine est leader mondial de l’intégration de ces fonctions… Et ce qui lui permet de le faire, est l’existence en arrière-plan d’un seul réseau de pouvoir, celui du PCC ».

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3 Commentaires
  1. severy

    Cette vision, encore toute théorique, semble correspondre à peu près à une version locale du « paradis communiste » (aux caractéristiques chinoises) envisagé par quelques théoriciens des années 20.
    Après tout, même les robots ont droit au bonheur…

  2. arechner

    Quel projet fort !Impensable en France à cause du fichage ,mais correspond aux besoins (notamment du « 3ème âge « ) et permet d’anticiper
    et d’organiser ces grandes mutations ! Jean-Yves (de retour d’un voyage en mars en Chine)

  3. nino.azzarello

    La Cina potrà offrire misure concrete a favore della terza età grazie al proverbiale ( e provvidenziale) pragmatismo che la caratterizza, mentre invece l’Occidente, malgrado le buone intenzioni, rimane spesso prigioniero dei propri miti ideologici (privacy, my foot!).
    Ottimo articolo, bravo Eric!

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