Disneyland ouvrira le 16 juin à Shanghai. Mais dès le 28 mai à Nanchang (Jiangxi), démarrait le 1er parc de loisirs Wanda. Cette avance de 19 jours n’avait rien de fortuit : Wanda avait brûlé les étapes, pour remporter la première bataille contre Disney, celle de la date.
Wang Jianlin, milliardaire et auteur du projet, précisait ses vues le 22 mai à la CCTV : une volée de critiques et de piques contre le groupe américain.
Disney, prétend Wang, n’eût jamais dû mettre les pieds en Chine. D’abord, à 499¥ (haute saison), le billet d’entrée serait bien trop cher—double de celui de Wanda (248¥). Disney n’aurait pas su tenir son budget, ayant déversé 5,5 milliards de $ sur son Disneyland de Pudong—contre 3,2 milliards sur le Wanda de Nanchang. Et puis « pourquoi avoir choisi pour son parc de plein air Shanghai, aux étés pluvieux et hivers froids ? ».
Et puis encore, Disney n’a qu’un parc en Chine, mais Wanda en aura 15 à 20 en 2020 : « le tigre seul, déclare Wang, n’a aucune chance face à la meute de loups ». Wang l’affirme aussi, les Chinois n’ont jamais vraiment aimé Mickey, lui préférant leurs héros locaux. Cette dernière assertion, bien sûr fausse, apparaît autant idéologique (en faveur d’un bastion culturel national) que commerciale. Faute d’avoir la propriété intellectuelle de Donald, Wang prétend réaliser des versions commerciales de personnages chinois tels le Roi des Singes ou Chang’E, la reine du palais de glace sur la Lune.
Implicitement, Wang peut aussi espérer compter sur la sympathie du gouvernement chinois dans la création d’un marché chinois des loisirs et du divertissement. Le Chinois citadin, une fois logé et au travail, réclame des loisirs : le divertissement et le tourisme décollent, atteignant en 2015 quelques 610 milliards de $ de chiffre d’affaires, qui doublera d’ici 2020. Or sur ce marché neuf, comme sur tous les autres précédemment, l’Etat compte faire jouer la préférence nationale.
Wang reproche encore à Disney de vivre sur ses acquis, sans avoir su renouveler son modèle commercial depuis 60 ans.
Pour toutes ces raisons, selon Wang, la messe serait dite : il n’y aurait sur le marché chinois du divertissement, de place que pour un seul, et « sous 10-20 ans, Wanda doit chasser Disney du marché ».
Cette attaque frontale de Wang Jianlin au rival yankee est une scène plutôt rare en Chine, surtout à la télévision. Face à l’étranger, ce pays est plutôt accoutumé à la courtoisie de façade, et au ménagement (en apparence) des adversaires, sur tout terrain non-politique. Les propos de Wang peuvent être comparés à une déclaration d’hostilité, d’un gant jeté à la mode médiévale chinoise. En des romans de chevalerie tels « Les Trois Royaumes » ou « Au Bord de l’eau », le héros galope seul sous les remparts ennemis, pour aller insulter rituellement le général, lequel sort alors pour engager le combat singulier…
Après s’être préparé des années durant et avoir recruté des dizaines d’experts, décorateurs et conseillers artistiques des parcs à thème américains, Wang lance ainsi son défi, apparemment sûr de gagner. Mais est-ce le cas ? Au parc Wanda de Nanchang, le jour de l’ouverture, étaient repérés des acteurs déguisés en Blanche-Neige ou « Captain America » (personnages propriété de Disney, cf photo), tandis que les peluches en vente reproduisaient « Kung Fu Panda » (Dreamwork) ou « Pokemon » (franchise japonaise). Dans les heures suivantes, Disney qui n’avait pas réagi à la volée de bois vert de Wang du 22 mai, réagissait : « nous protégeons vigoureusement notre propriété intellectuelle, et agirons pour combattre tout piratage ». Wanda produisait cette excuse : « ces produits et costumes… ne figurent pas dans la section restreinte du parc, et n’engagent pas la responsabilité du groupe ».
Sur le fond, Jennifer So (China Securities International) ne voit pas la partie gagnée d’avance pour Wanda. L’analyste hongkongaise remarque que la force des parcs à thème réside dans le nombre et la notoriété des personnages-concepts sur lesquels ils ont les droits d’auteur. Vu sous cet angle, Wanda se positionne plus en promoteur immobilier qu’en spécialiste des loisirs : « constituer un assez riche catalogue de personnages pour attirer les foules chinoises, peut prendre des décennies » : Wanda aura-t-il ce loisir ?
D’autres groupes américains du spectacle (Dreamwork, Six Flags) ouvriront en Chine en 2017 : « la clé du succès est la popularité de marque, et la compétence gestionnaire », ajoute So. Or, ce savoir-faire chez Wanda, n’est pas démontré non plus. Dans ces conditions, lancer 20 parcs d’un coup à travers la Chine, c’est occuper le terrain, mais aussi prendre un risque.
En fin de compte, Michel Berkelmans, co-président du cabinet de consultant LEK (Chine) observe la stratégie de Haichang, qui s’installe à Pudong à côté de Disneyland. Cet aqua-parc chinois mise sur l’effet de synergie, de « la marée qui soulève tous les bateaux en même temps ». La mairie de Shanghai apporte sa bénédiction : elle pense que Disney, Haichang et d’autres derrière, sont la voie pour créer à Pudong un pôle de loisirs, et un marché de consommateurs qui n’existe as encore en Chine.
Cependant si cette perspective est juste, Wang Jianlin, en militant pour un « combat des chefs » et une guerre pour le monopole, se trompe de guerre comme de modèle économique : l’avenir du parc à thème en Chine est dans la coopération, pas dans la lutte « à mort ».
1 Commentaire
severy
4 juin 2016 à 17:50Les mythes et légendes chinois sont fort bien fournis en personnages et constituent, certes un riche vivier de récits pouvant être récupérés par ceux qui veulent les mettre en boîte pour des raisons purement mercantiles – leur signification n’étant cependant pas particulièrement proche de l’idéologie pseudo-communiste proclamée par le Parti. Malheureusement, la plupart des personnages et des histoires dans lesquels ils se débattent sont dramatiques. Sang, larmes, cris de désespoir et mort y sont la trame constante. L’avantage de Disney, Inc. est que, malgré un aspect parfois violent (moderne), la plupart des histoires sont – au moins à l’origine – conçues pour un public d’enfants. On est plus souvent plié de rire devant les tribulations de Donald Duck que jubilant devant le nombre de morts accumulées par les généraux fauchant les armées ennemies lors des conflits entre les Trois Royaumes…
Il n’est donc pas sûr que le public des deux camps soit le même. Ce qui est sûr, c’est que Disney, Inc. ne sera pas récupéré par le régime local à des fins idéologiques. Les petits Chinois pourront s’y amuser sans danger d’être manipulés – tant que Mi Laoshu ne sera pas déclaré sorex non grata.