Résumé de l’épisode précédent : à Xi’an (Shaanxi), le marié avait invité au mariage 200 « amis » fort peu connus, tous recrutés à 80¥/tête pour faire figurants. Mais Xiao Liu, la mariée, s’aperçut de la supercherie et appela la police. Les noces tournèrent au vinaigre !
Après un contrôle d’identité au fichier central, l’inspecteur-chef eut un geste stupéfiant : décrochant ses menottes de service, il les passa aux poignets de Wang Xianhun, le mari, « en état d’arrestation ». Et quand ce dernier, éberlué, s’enquit de ses raisons, le policier lui annonça qu’il n’avait pas 27 ans comme allégué, mais 7 de moins. Menteur donc et sous l’âge légal de convoler à 22 ans, son union était nulle, et lui-même délinquant !
C’était la Bérézina – « le nid retourné, et pas un œuf intact » (覆巢无完卵, fù cháo wú wán luǎn). Effondrée, Xiao Liu restait assise, hagarde, tandis que sa demoiselle d’honneur lui essuyait les dernières traces noirâtres d’un rimmel délavé de pleurs. Elle se remémorait leur rencontre à la danse vespérale du parc Daming, il y a trois ans. Elle lui avait demandé son âge – d’un ton badin, il avait répliqué qu’il le lui dirait si elle donnait le sien. Elle lui avait avoué ses 21 printemps – du tac au tac il lui avait répondu « 24 ». Alors qu’il n’était qu’un gamin de 17 ans. Mais quelle cruche avait-elle été ! Elle s’en rendait compte un peu tard que tout ce qu’il lui avait raconté, n’était que salades – jusqu’à sa carte d’identité présentée au bureau des mariages avec sa date de naissance falsifiée.
On alla au Commissariat, poursuivre le grand déballage. Face à l’ex-épouse en pleurs, Wang se défendit bec et ongles, plaidant la cruauté du destin. Loin d’avoir eu comme elle le bonheur d’être né au bon endroit – Xi’an – il était natif de Tuji, un bourg à 50km au nord. Ceci le privait du permis de résidence de la métropole, ce qui le pénalisait d’un terrible handicap. Xiao Liu et lui se trouvaient séparés par une barrière invisible mais terrible, en une société (comme toute la Chine) de citoyenneté à deux vitesses. On devine la suite… Nul Xi’anais en son bon sens n’accorderait la main de sa fille à un « waidi », paysan migré !
Nonobstant, Xiao Liu était la femme de sa vie, l’unique pour qui son existence valait la peine. C’était avec elle seule qu’il voulait faire les deux enfants par couple maintenant admis. Cette règle était trop injuste : son iniquité-même, lui donnait le droit de la transgresser, en mentant sur son âge, son village, ses parents. Une fois uni à elle, il espérait que la position qu’il était en train de se construire saurait faire pardonner à tous l’innocente supercherie. Avec un peu de veine, il aurait investi dans une boutique de luxe, dont Xiao Liu serait la patronne – en tout bien tout honneur, ce pignon sur rue lui conférerait enfin cette citoyenneté xi’anaise dont il avait été dépossédé à la naissance !
Mais sans se laisser amollir par de si beaux discours, une Xiao Liu rouge de colère en sa robe blanche, ressortit la vieille histoire des 125.000¥ empruntés aux futurs beaux-parents pour « boucler une affaire ». Elle éventa aussi les 700.000¥ dont il les avait soulagés, une fois fixée la date des épousailles. Le pactole aurait dû servir à acquérir une BMW, et ainsi permettre aux tourtereaux de parader avant les noces—d’impressionner la galerie et mieux percer dans les affaires. Mais une fois l’argent perçu (une lourde valise de liasses de billets roses), Wang n’avait jamais acheté cette voiture. Ce n’était pas de l’escroquerie, ça ?
Ci-fait, admit le policier. Cela suffisait pour le jeter en prison pour des années, pourvu qu’elle porte plainte. C’était à présent au tour de Wang de sangloter, plaidant son innocence. La preuve : c’était lui qui avait réglé rubis sur l’ongle, les 20.000¥ d’acompte du banquet !
Mais voilà que sonna, en cette journée décidément épuisante, un énième coup de théâtre : en ce parloir aux murs chargés d’annonces légales poussiéreuses et de slogans ternis de chiures de mouches, fit irruption un couple de quadragénaires allant droit sur l’accusé pour l’enlacer : les parents de Wang, venus en catastrophe du village pour le tirer d’affaire ! S’adressant à l’ex-fiancée à haute et intelligible voix, le père l’enjoignit de ne pas porter plainte : avec sa femme, il s’engageait à rembourser la famille lésée de ses frais, avec pour témoins, les représentants de la loi !
Pendant tout ce ping-pong, plus qu’à demi médusé, l’inspecteur-chef, s’efforçait de compter les points et déterminer si le jeune homme était innocent ou coupable. Un soupçon lui venait : en définitive, entre ces jeunes, la relation depuis trois ans s’était bâtie cahin-caha beaucoup plus sur le rêve (sur deux rêves séparés) que sur l’échange—voire même, sur l’exultation physique—il n’y avait pas eu de Pâques en carême. Naïves victimes de mœurs révolues, ils n’avaient fait que projeter les idéaux de leurs parents dans leur rapport, qu’ils croyaient être une « union ». Et quand ils avaient enfin tenté de la matérialiser, tout avait explosé comme bulle de savon – comme un ensemble de mots sans poids ni sens.
D’ailleurs au fait, pourquoi Wang, dans sa mascarade de « 200 amis », n’avait-il sélectionné plus soigneusement ses acteurs, en des cercles plus présentables et mieux préparés ? Comme si une partie de lui-même avait voulu faire capoter la mascarade !
En fin de compte, le commissaire-philosophe avait une vision, comme une parabole de la vérité. Pour se marier, Wang, apprenti sorcier, s’était lancé dans un mensonge universel, travestissant la société entière. D’abord de dimension modeste et facile à maintenir, cette fiction avait par la suite grandi, impliquant toujours plus de gens : jusqu’à devenir incontrôlable et déferler comme tsunami, détruisant tout sur son passage…
1 Commentaire
severy
19 mai 2017 à 15:01On se demande quel est le résultat des courses…