Aucun doute, ce premier Sommet « Belt & Road Initiative » (BRI ou « One Belt, One Road »—OBOR), à Pékin les 14-15 mai, restera dans les mémoires, avec ses rendez-vous mondialistes préparés de longue date, entre village olympique et villégiature luxueuse du lac Yanqi.
Le régime avait travaillé dur, et ouvert sa bourse sans compter pour assurer le succès Pékin promit 124 milliards de $ de fonds frais, à distribuer à travers son Fonds Routes de la Soie, sa Banque Asiatique d’Investissements en Infrastructures (AIIB), ses banques politiques CDB et Exim Bank, ainsi que ses banques commerciales. Il y avait de quoi attirer du monde : 68 pays furent présents, 29 chefs d’Etat et de gouvernement, et 270 MOU (déclarations d’intention) furent enregistrés avec la Terre entière.
Les contrats…
Dans la jungle des préaccords paraphés, figuraient une coopération nucléaire civile avec la Thaïlande (prélude à des ventes de centrales), une autre de gestion de l’eau en Malaisie, et le financement du TGV Jakarta-Bandung en Indonésie.
Ce dernier peut apparaître l’archétype des projets BRI : le crédit est abondant, à taux défiant toute concurrence et sans contrepartie d’une garantie de l’Etat indonésien. La CDB avance 75% des 5,29 milliards de $ du projet, remboursable en 40 ans avec 10 ans de grâce, dont 60% à 2% de taux d’intérêt, le reste à 3,4%.
Les premiers bénéficiaires de ces largesses sont 47 consortia publics chinois qui ont reçu en pâture 1676 chantiers BRI. Le seul groupe CCCG (géant du génie civil) empoche 40 milliards de $ pour bâtir 10.320 km de routes, 95 ports en eau profonde, 10 aéroports, 152 ponts, 2080 tronçons de voies ferrées. La banque ICBC a déjà prêté 67 milliards de $ – c’est toutefois bien moins que les banques politiques qui elles, exécutent leurs prêts suivant les ordres de l’Etat, sans se préoccuper en premier lieu de la viabilité des projets.
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Les quatre objectifs de l’Initiative Belt & Road
Selon des sources confidentielles, l’équipe rapprochée de Xi Jinping, avec cette initiative « BRI », produit un chantier très réfléchi et cohérent, qui intègre et réconcilie les thèses mondialistes de la Chine et son ambition de puissance d’un hinterland sur le continent asiatique. Quatre objectifs peuvent lui être attribués :
1°) Il s’agit d’abord d’impliquer la Chine dans les affaires du monde. Elle le fait dans deux domaines, avec deux outils spécifiques : l’AIIB (banque d’investissement en infrastructures en Asie), dans l’univers financier, et « une ceinture (terrestre) une route (maritime) » dans le monde international de l’industrie et des services.
2°) L’initiative BRI a aussi pour objet au plan intérieur, de renforcer le prestige personnel de Xi Jinping, sa marge de manœuvre lors du XIX Congrès d’octobre, afin d’en obtenir suffisamment de pouvoirs pour amplifier sa marge de manœuvre durant son second quinquennat.
3°) Par ces prêts non destinés à être remboursés mais à être indéfiniment reconduits, ces infrastructures, en besoin de maintenance et de management (entretien, sécurité…), créeront chez les pays bénéficiaires un lien permanent de dépendance.
4°) L’initiative BRI va aussi servir à écouler les stocks de matières premières : acier, aluminium, verre, ciment, panneaux solaires, équipements électromécaniques. De la sorte, la Chine s’octroie (finance) un sursis de longue durée pour résoudre les contradictions de son propre système économique : éliminer les rivalités provinciales, ses barrières intérieures, créer un grand marché unique, éliminer les surcapacités.
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Organes et discours
Durant le Sommet, la Chine et ses partenaires se sont appliqués à renforcer l’initiative BRI en créant une série d’organes ad hoc. Cogérée par l’UNEP (Agence onusienne de l’Environnement) et le ministère chinois de l’Environnement, une « Coalition verte » doit voir le jour, afin de mettre à disposition des pays et groupes participants, une base de données sur les partenaires et les technologies de défense de l’environnement. Elle préparera aussi des « recommandations » environnementales aux projets, et gérera une agence de label et de certification. Le BRI s’équipe d’un conseil consultatif et d’un bureau de liaison. La NDRC (superministère de l’économie) ouvre un centre de facilitation avec portail internet et index commercial des firmes du réseau des routes de la soie maritimes.
Des accords financiers sont passés entre argentiers du BRI (AIIB, Fonds Routes de la Soie, banques politiques) et banques politiques internationales (ADB, EBRD, EIB, Banque mondiale).
Le Président Xi Jinping fit un discours d’inauguration ouvert et équilibré, décrivant l’initiative BRI comme « inclusive » et comme une « marque de coopération » entre les continents. Il s’efforça aussi d’écarter de ce projet mondial, tout soupçon de récupération politicienne.
Les gagnants…
Un des gagnants du Sommet BRI est le Pakistan. Pékin porte son enveloppe à 57 milliards de $ pour le futur CPEC (China Pakistan Economic Corridor) qui doit traverser et revivifier le pays du nord (frontière chinoise) au sud (océan Indien). Une série de centrales thermiques, d’autoroutes, de lignes de chemins de fer modernes, aboutiront au port en eau profonde de Gwadar – lequel sera aussi accessible à la marine militaire chinoise.
Quoique audacieux et pertinent sous l’angle des chances de relance du Pakistan, ce CPEC n’est pourtant pas du goût de tous. Il irrite l’Inde, en traversant le Cachemire, que New Delhi revendique. Aussi l’Inde a-t-elle boudé le Sommet et l’a déclaré « non durable » – quoique la Chine se soit également efforcée d’ouvrir également ses largesses à ce pays, avec notamment le projet de « ceinture » BCIM (Bangladesh—China—India-Myanmar), supposé tirer de la pauvreté jusqu’à 400 millions d’habitants du sous–continent par créations de zones industrielles fonctionnant en synergie. Mais pour l’instant, l’Inde ne suit pas : à tout le moins, la Chine va devoir faire d’autres efforts pour relancer le rapprochement sino-indien, une autre de ses priorités.
Le Philippin Rodrigo Duterte de son côté, n’attendit pas davantage pour annoncer le début de « consultations » avec la Chine, sur le règlement de la crise en mer de Chine du Sud. Il faut dire que son pays se voit promettre rubis sur l’ongle 24 milliards de $ pour divers grands chantiers (routes, chemins de fer, télécom, énergie), 500 millions de $ de « prêts » en fournitures militaires, et un milliard de dollars en bananes et ananas de l’archipel. Mais Duterte semble vivre sur son petit nuage, décidant le 17 mai de dénoncer l’aide au développement qui était offerte à son pays par l’Union Européenne (petit coup de griffe aux ex-puissances coloniales), et qui aurait alloué 250 millions d’euros essentiellement aux populations musulmanes du sud de l’archipel.
Le sommet BRI recevait un autre voisin de la Chine, aux rapports parfois tendus en raison de la crise en mer de Chine du Sud : le Vietnam. Or, la relation semble à présent en embellie : son Président-général Trân Dai Quang a signé avec Xi Jinping un « gentleman’s agreement » sur le contrôle des disputes maritimes.
Egalement bien traité, un pays parmi les plus pauvres, le Népal, se vit offrir une ligne ferroviaire Katmandou-Lhassa, 550km, pour 8 milliards de $ (pour acheminer touristes et biens de consommation, d’équipement chinois) – ce qui aura pour effet de diluer la traditionnelle dépendance népalaise envers l’Inde.
Dans ce palmarès, la Russie et les autres pays d’Asie Centrale occupent une place d’importance dans l’initiative BRI, avec notamment cette LGV Moscou – Kazan à 7 milliards de $. Mais Russie et Asie Centrale redoutent de voir le BRI devenir un cheval de Troie d’une suprématie chinoise : le 14 mai, Vladimir Poutine réclamait encore la fusion de son projet d’« Union Economique Eurasienne » (UEEA) avec la BRI… Peu enthousiaste à l’idée de délayer ses fonds dans une union qu’il ne contrôlerait plus, Xi Jinping lui opposa un refus poli. En compensation, il offrit la création d’un Fonds régional sino-russe, qui sera doté à terme de 14,5 milliards de $. Sur l’initiative BRI, Poutine est donc partagé. Il redoute qu’il fasse de l’ombre à sa propre influence en Asie Centrale, mais n’a d’autre choix que de poursuivre l’alliance. Pour 2018, Poutine prédit donc une hausse des échanges bilatéraux à 80 milliards de $ (ils s’élevaient à 69,5 milliards en 2016) puis à « 200 milliards, d’ici 3 à 7 ans ».
Scepticisme
Restent enfin, face à ce chantier planétaire tout neuf, les doutes et scepticismes inévitables.
Il y a la question des coûts. Diverses sources évaluent les besoins en équipements de l’Asie, à 26.000 milliards de $ d’ici 2030. Pékin n’en engage que « 113 milliards » aujourd’hui et jusqu’à 500 milliards sous cinq ans – une « goutte d’eau » face aux besoins et propose aux partenaires publics et privés à travers le monde, d’y contribuer. Mais dès lors se posent les questions de réciprocité, et de rentabilité des projets BRI. Les USA et l’Europe ne vont pas subventionner les usines chinoises, et moins encore perdre leur argent dans des projets conçus sur base politique et non de marché.
USA – le retournement
Face à un tel concept « dirigiste » et non « libéral », on pouvait attendre l’hostilité des Etats-Unis. D. Trump voulait n’envoyer au Sommet que son ambassadeur. En dernière minute cependant, il dépêcha Matthew Pottinger, haut cadre au Conseil National de Sécurité américain, permettant aux USA d’être représentés à haut niveau pour défendre les ambitions de ses multinationales. Dès 2016, General Electric équipait des projets BRI à hauteur de 2,3 milliards de $ – il en vise 7 milliards cette année.
Cependant, les appétits des seuls groupes industriels et financiers d’Outre-Pacifique n’auraient pas suffi à tirer Washington du rang des « BRI-sceptiques». Le revirement fut créé par la Chine, en signant avec le gouvernement fédéral, en dernière minute, un accord rouvrant après 14 ans le marché chinois de la viande aux éleveurs bovins du Nouveau Monde. En contrepartie, les USA s’engageaient à rétablir les importations de poulet chinois.
Pékin ouvrait aussi son marché financier à la monnaie plastique, MasterCard ou American Express. Tout cela allait dans le sens de la promesse faite par Xi à Trump il y a trois semaines, d’œuvrer à résorber l’excédent commercial chinois dans les échanges bilatéraux.
Le «oui-mais » européen…
Côté européen, l’accueil du plan BRI a été plus mesuré – pour des raisons techniques mais aussi de fond, que l’Union reflétait d’emblée par sa représentation.
Les trois plus grands Etats-membres avaient omis de dépêcher leurs chefs d’Etat. La France était excusée pour cause d’élections, mais l’Allemagne et le Royaume-Uni témoignaient par leur sous-représentation de questionnements sur l’initiative BRI : quelle gouvernance, mécanismes de compensation, normes, et base juridique ? Rien n’existe, et un tel vide dérange les 28 Etats-membres – tous présents, cependant.
Le Sommet a abouti à deux communiqués, un d’ordre général, signé des chefs d’Etat, et un des experts des 68 nations, consacré au cadre commercial.
Sur le volet général, les Européens ont obtenu des amendements, notamment sur des questions de réciprocité et de transparence – points qui avaient déjà été résolus avec la Chine au sein du G20. Les Européens ont donc pu collectivement approuver le document final.
Sur le volet commercial, des crispations chinoises se sont élevées. L’UE souhaitait voir des progrès dans la négociation d’un traité de protection des investissements, et dans les fermetures de capacités sidérurgiques chinoises. A un certain stade, l’équipe négociatrice du ministère du Commerce chinois a communiqué son refus à tout compromis. Les Européens d’une seule voix, se refusèrent à signer. Toutefois, de source diplomatique, la difficulté principale tenait à la jeunesse de ce chantier mondial dirigé par la Chine, à son absence de normes faute d’avoir eu le temps de les concevoir.
Autant dire que ce « mal de croissance » n’est pas fait pour durer, et que le Sommet BRI de 2019 saura combler d’ici là le vide institutionnel. Il serait à la fois malaisé, et imprudent de prédire à ce stade l’insuccès de cet outil mondial, radicalement différent de tout ce qui existe, peut-être porteur d’espoir pour des milliards d’êtres humains.
1 Commentaire
severy
21 mai 2017 à 15:36À force de prendre des vessies pour des lanternes, on se brûle. Il ne faut pas avoir les yeux plus grand que le ventre. Il faut prévoir des échecs commerciaux, au vu de l’ampleur des programmes, de l’instabilité politique régnant dans certains pays, de la corruption institutionnelle inscrite dans l’agenda secret des membres dirigeants des régimes au pouvoir (de tous les pays concernés) et de la méfiance de ceux qui considèrent cette vaste entreprise de mondialisation « aux caractéristiques chinoises » comme une gigantesque tentative de néo-colonialisme qui ne veut pas dire son nom. L’idée à la base de ce projet titanesque n’est pas mauvaise en soi: tous les pays sont interconnectés, tout et tout le monde circule, chacun s’enrichit plus ou moins (lire, les riches s’enrichiront rapidement et les miséreux crèveront de misère un peu moins rapidement). On verra bien comment les installations ferroviaires, routières, aéroportuaires… seront entretenues pour faire des plans à long terme qui auront des chances sérieuses d’aboutir. Le coût prohibitif des projets envisagés laisse craindre que certains d’entre eux n’aboutiront jamais – quelle nation envisagerait-elle de s’endetter pour plusieurs générations? L’avenir du monde est un film dont le scenario n’est pas encore écrit, projeté sur un écran de nuages par une caméra dont le mécanisme de fonctionnement n’a pas encore été conçu. Il faudra surtout faire un gros effort pour se convaincre et se persuader que le succès est possible avant de se lancer dans ce très ambitieux projet.