Editorial : Les quatre « non »

Les quatre « non »

« Pourquoi Xi Jinping ne vient-il pas à la rescousse de l’économie chinoise » ? Voilà la question qui taraude bon nombre de Chinois et observateurs étrangers ces derniers temps.

De retour d’un séjour en Chine au printemps, Scott Kennedy, du Centre d’études stratégiques internationales de Washington, tente d’y répondre dans un commentaire publié dans le magazine Foreign Policy le 3 juin. Se gardant bien de généraliser, le chercheur affirme que la plupart des interlocuteurs avec lesquels il a discuté trouvent que les mesures décrétées par le leadership (lire : Xi Jinping) ont un goût de « trop peu » et/ou de « trop tard ». M. Kennedy résume ces opinions représentant les réponses les plus courantes qui lui ont été faites sous le concept des « 4 non », figure stylistique inspirée de la novlangue communiste.

La première réponse invoquée pour expliquer la (quasi-) absence de mesures est que Xi n’est pas informé du sérieux de la situation. Les partisans de cette théorie avancent que le dirigeant chinois est volontairement maintenu dans l’ignorance par ses proches conseillers, par peur d’être les porteurs de mauvaises nouvelles. C’est justement pour parer à cette éventualité que les autres chefs d’Etats (occidentaux notamment) s’efforcent de présenter leur vision des choses à Xi, tant sur des sujets de politique étrangère (guerre en Ukraine…) que sur des thèmes qui relèvent de problématiques propres à la Chine mais qui ont des répercussions dans le monde entier (surcapacités chinoises…). Pourtant, quelques déclarations récentes indiquent que le Secrétaire général du Parti est moins « isolé » que l’on pourrait le croire, comme lorsqu’il a souligné le besoin d’alléger les charges sociales qui pèsent sur les foyers (coûts de santé et d’éducation) ou encore la nécessité de créer davantage d’emplois pour les jeunes diplômés au chômage.  

L’autre thèse invoquée est celle voulant que le leadership serait bien informé mais que face à la multitude de problèmes complexes à laquelle la Chine est confrontée (crise immobilière, dette locale, hausse des inégalités, baisse de la fertilité…), Xi ne saurait pas quoi faire pour rétablir le cap. Cette supposition pourrait notamment expliquer le retard de plusieurs mois du 3ème Plénum (qui se tiendra finalement en juillet) ou encore le délai avec lequel Pékin a réagi face au dévissage du marché boursier.

Cette théorie serait appuyée par le fait que l’équipe dévoilée en octobre 2022 n’a qu’une expérience limitée à l’échelle nationale et que la réorganisation de plusieurs commissions a retardé l’ébauche de nouvelles politiques. Le sinologue Alex Payette, cofondateur du cabinet Cercius, parle de « confusion bureaucratique » qui règnerait actuellement au sommet. Une période où le Premier ministre, Li Qiang, traditionnellement chargé du portfolio économique, serait volontairement mis de côté au profit de Cai Qi, chef de cabinet de Xi, ou de He Lifeng, vice-premier ministre chargé de l’économie. Or, ces derniers n’ont pas la même « carrure » que leurs prédécesseurs, Li Keqiang et Liu He, déplorent certains…

La 3ème option, peut-être la moins populaire parmi les interlocuteurs chinois de Scott Kennedy, mais la plus ardemment défendue par ses partisans, est la suivante : Xi Jinping se fiche de l’économie, sa priorité étant de renforcer l’emprise du Parti sur le pouvoir (c’est d’ailleurs pour accomplir ce mandat qu’il a été désigné pour succéder à Hu Jintao en 2012).

L’ultime possibilité est aussi celle qui met presque tout le monde d’accord, à savoir que Xi Jinping n’a pas l’intention de relancer l’économie telle que le reste du monde l’entend, c’est-à-dire en adoptant des mesures qualifiées de « libérales ». Au contraire, il estime que les maux infligés par ses politiques sont le prix à payer pour rééquilibrer l’économie. Là où les avis divergent, c’est lorsqu’il s’agit de dire si le dirigeant chinois a raison (ou non) d’opter pour une direction résolument étatiste avec une politique industrielle massive axée sur les exportations et le contrôle des technologies de pointe.

Pourquoi la réponse à cette question (« pourquoi Xi Jinping ne fait-il rien pour stimuler l’économie ? ») est-elle si importante ? Si l’une des deux premières options (« Xi n’a pas conscience de la situation ou il ne sait pas quoi faire) s’avère la bonne, cela signifie que la situation actuelle est le produit d’erreurs non-intentionnelles. Pour corriger le tir, il suffirait donc de fournir au leadership une information plus fiable ou des plans d’action plus efficaces. 

En revanche, si la 3ème ou la 4ème réponse se vérifie (« l’état de l’économie n’est pas la priorité de Xi ou alors il n’a pas l’intention de changer de cap »), alors on peut conclure que la trajectoire actuelle ne doit rien au hasard et qu’un changement à court terme est hautement improbable. Mais il y a sans doute une différence entre ce que Xi compte faire et les attentes du public chinois, voire celles du reste du monde, secondaires à ses yeux.

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