La nouvelle est presque passée inaperçue dans la presse internationale, et pourtant, elle est d’importance. Le 14 mai, le premier C919 de série de l’avionneur chinois COMAC (Commercial Aircraft Corporation of China) a effectué son vol inaugural de trois heures depuis Shanghai. L’appareil est destiné à OTT (One Two Three) Airlines, filiale de la compagnie aérienne China Eastern érigée spécifiquement en 2020 pour exploiter des avions fournis par la COMAC (à terme 35 ARJ21 et 5 C919…).
Conçu pour transporter entre 158 et 168 passagers sur 4075 km, le C919 concurrencera directement les familles d’Airbus 320 et de Boeing 737, modèles les plus vendus au monde, mais aussi l’A220-300, une fois qu’il aura obtenu le feu vert de l’administration civile de l’aviation chinoise (CAAC).
À ce jour, la COMAC revendique 815 commandes (fermes, lettres d’intention, protocoles d’accord….) de 28 clients pour son C919, quasiment toutes de compagnies aériennes chinoises et des filiales de leasing des grandes institutions financières du pays.
Après un premier vol en 2017, le C919 avait formellement débuté fin 2020 sa campagne de certification auprès de la CAAC, organe dont le niveau de professionnalisme sera également mis à l’épreuve. Cependant, le processus a pris du retard, freiné depuis plusieurs mois par les restrictions sanitaires. Initialement prévue pour fin 2021, année marquant le centenaire de la fondation du Parti communiste chinois, la certification tant espérée devrait finalement être accordée le 19 septembre, ou en tout cas avant le XXème Congrès du Parti qui aura lieu début novembre. Cela permettrait à la COMAC de livrer son premier appareil avant la fin de l’année 2022.
Même si le C919 accuse pas moins de six ans de retard sur son calendrier initial, ces écueils sont le reflet de la tâche monumentale que représente la conception et la construction d’un tout nouvel avion en partant de zéro, et cela même avec l’aide des meilleurs équipementiers au monde.
En effet, même si la presse chinoise se plait à présenter le C919 comme le premier monocouloir de propriété intellectuelle chinoise, 80% de ses fournisseurs sont américains et européens ; les réacteurs sont ceux de CFM International (coentreprise du groupe français Safran et l’américain General Electric), le système de commandes de vol et le radar météo sont produits par Honeywell, le système de navigation est signé Rockwell Collins, et le train d’atterrissage appartient à l’allemand Liebherr… Seules les ailes et le fuselage sont chinois (AVIC). Il serait donc plus juste de parler d’un appareil « assemblé en Chine » que véritablement « fabriqué en Chine ».
Dans ces conditions, le C919 représente-t-il une véritable concurrence pour les leaders américains et européens ? La question divise les experts étrangers. Un rapport rédigé fin 2020 par le Centre international d’études stratégiques (CSIS), think-tank américain de renom, décrit la COMAC comme « un acteur mineur de la construction aéronautique » et le programme du C919 comme « une grande fuite en avant ».
Pourtant, le C919 semble promis à un bel avenir, du moins sur le marché chinois, de par son positionnement stratégique sur le segment le plus porteur, celui des monocouloirs. Les analystes de Galaxy Securities calculent que la Chine aura besoin de 300 de tels appareils chaque année pendant les deux prochaines décennies.
Face à une telle demande, Airbus et Boeing estiment qu’il y a suffisamment de place pour trois constructeurs, d’autant que les capacités de production de la COMAC seront loin d’être suffisantes (potentiellement 75 appareils par mois pour Airbus contre 50 par an pour la COMAC en 2025).
Cependant, le soutien inconditionnel du pouvoir chinois à la COMAC est un atout non négligeable. Le programme du C919 aurait ainsi reçu jusqu’à 72 milliards de $ de subventions publiques pour son développement, en plus d’aides indirectes comme des exemptions d’impôts de la part de la municipalité de Shanghai et la mise à disposition de terrains pour ses installations industrielles. Il est donc plus que probable que les compagnies aériennes chinoises seront fortement incitées à passer commande auprès de la COMAC. Question de fierté nationale !
Même si le C919 coûtera au final deux fois plus cher que prévu (99 millions de $), il reste tout de même moins cher que ses concurrents (121,6 millions de $ pour le Boeing 737 MAX 8 et 110,6 millions de $ pour l’A320 Neo), sans compter d’éventuelles ristournes en cas d’achats groupés. Un avantage auquel les compagnies chinoises, qui ont enregistré des pertes abyssales depuis le début de la pandémie, ne seront pas insensibles et qui pourrait venir compenser le fait que le C919 est plus lourd que ses rivaux et consommera davantage de carburant…
Le C919 souffre néanmoins d’un handicap de taille : il n’a encore aucune « donnée d’exploitation » et « historique de sûreté » à faire valoir face aux centaines de milliers d’heures de vol et décennies d’expérience de ses concurrents. Reste donc au C919 à faire ses preuves.
1 Commentaire
severy
26 mai 2022 à 19:24Cet avion est beau comme un cormoran…