Jiang Bo, l’objet des rêves de Nai Nai, lui offrait un cadeau empoisonné en l’invitant à Wuhan, à un stage d’entrainement de survie – un “sport” très en vogue. Sept autres blogueurs, parmi les plus en vue, seraient de la partie. Pendant trois jours d’enfer, ils se feraient une lutte à mort en direct, d’où les réputations sortiraient élevées ou bien anéanties. Le défi était organisé par Jiang Bo lui-même. Sans s’en rendre compte, c’était pour Nai Nai un piège, ne lui laissant aucune chance, handicapée qu’elle était par sa mauvaise condition physique. Avant le départ, Wang son agent, lui avait encore remartelé l’importance de ne pas jouer à l’amoureuse avec ce rival. Elle avait dit « oui », pour tout oublier une fois son TGV lancé à 350 km à l’heure vers Wuhan, le lieu du défi.
A peine arrivée, elle se rendit compte que le rapport de force avait changé. Lors de son passage à Shanghai, Jiang Bo était venu la retrouver en Ferrari. Cette fois, elle dut marcher 20 minutes à travers la foule et les trottoirs bondés, trainant péniblement sa valise de 30kg. Elle finit par le retrouver, l’attendant au volant d’une Honda griffée et poussiéreuse.
Il l’amena à un restaurant de fruits de mer avec ses assistants, qui avaient sorti leurs mini caméras sur trépieds devant leurs assiettes. Tous se tenaient prêts pour enregistrer la scène que Jiang Bo allait infliger à Nai Nai… C’est alors qu’elle reçut un SMS. Jiang Bo se jeta sur elle et lui arracha son smartphone pour lire le message, repoussant Nai Nai qui essayait de récupérer son bien. Puis il sortit en rage, suivi de Nai Nai qui venait de mordre à l’hameçon. Ainsi leurs fans purent suivre en direct leur dispute, cataloguant aussitôt la jeune fille d’« amoureuse »…
Le lendemain à l’aube, dans une ancienne caserne, ils se retrouvèrent à six hommes et deux femmes, sous les aboiements d’un ancien capitaine. Durant trois jours, se succédèrent les 7km de marche forcée, les échanges de tirs à balles de peinture, la boue, le parcours du combattant… Après tout exercice raté, l’instructeur leur imposait de grimper à la corde. Les spectateurs aussi pouvaient commander une punition : pour 2 000 yuans versés sur le site de Douyu, le portail qui hébergeait l’événement, le fautif devait faire 20 pompes, et pour 990 yuans, 50 flexions-extensions.
Jiang Bo, qui s’était entraîné, évitait les gages. Nai Nai elle, devait souvent abandonner, à bout de force, réduite à sangloter. C’était d’autant plus insupportable que Jiang la traitait mal. Comment avait-elle pu se laisser ainsi mener par le bout du nez ? Voici près d’un an qu’elle jouait la super-nana, la femme forte. Et pourtant, le soir après ces heures de crapahutage, au lieu de dormir dans sa chambre, elle mendiait une petite place à côté de Jiang, affichant encore un peu plus sa dépendance. Ses followers, eux, ne se gênaient plus pour la critiquer massivement, et se detourner d’elle : on ne soutient pas une personne qui perd la face.
Lorsque le tournoi prit fin, Nai Nai remarqua que Jiang recevait toujours plus de filles, toutes plus belles les unes que les autres, et flirtait sur son smartphone à tour de bras. Son cœur (si tenté qu’il en ait) était ainsi fait, et c’était aussi dans son intérêt économique. Parmi les millions d’internautes suivant leur équipée, il en tirait un statut d’idole, avec toujours plus de suiveurs et de cadeaux. Plus un mot de soutien à Nai Nai, qui se noyait. Bientôt, la jeune femme baissa les bras et annonca son retrait des plateformes de vidéo blog par ces mots : « je vous quitte tous, et compte sur le destin pour vous revoir ».
Yuqian, sa compagnie, cependant, ne l’entendit pas ainsi : Nai Nai lui était liée pour 3 ans, et lui devait 1,2 million de yuans en cas de dédit. Elle devait revenir en ligne, que cela lui plaise ou non. Mais quand elle reprit le maquillage et la caméra, sa clientèle avait fondu en peau de chagrin – elle était « has been». Dès lors, les choses ne traînèrent pas. Elle découvrit bientôt que son compte internet avait été revendu par le sponsor, lui laissant payer les charges. Elle dut changer d’appartement et réduire considérablement son train de vie.
Sur ces entrefaites, en février 2020, démarra à Shanghai le confinement dû au coronavirus. Elle fit alors ce terrible constat : alors que son métier de vidéo blogueuse recueillait soudain un coup de fouet d’engouement face à ces centaines de millions de Chinois bloqués entre leurs quatre murs et en mal de distraction, elle n’était plus en mesure d’en profiter pour devenir enfin une star, et n’était plus dans la course !
Dans un éclair de lucidité, Nai Nai pressentit alors que son sort était plié d’avance, inévitable. Après s’être consumée comme feu de paillettes dans le grand show de l’entertainment chinois, elle se retrouvait en cendres, écrasée. En même temps pourtant, une grande paix l’envahit, humblement heureuse de pouvoir recommencer sa vie, à 23 ans. Lui revenait alors le célèbre adage à propos des projets qui tournent court : « Si ton dessin de tigre rate, fais-en un chien » (画虎不成反类狗,huà hǔbùchéng fǎn lèi gǒu ). Un chien, c’est mieux que rien !
1 Commentaire
severy
22 mai 2020 à 11:54Grandeur et décadence d’une selfiewoman. Ça va faire pleurer dans les clapiers.