Insolite et intriguant, un contrat était signé le 5 janvier à Kabul entre la CAPEIC, filiale de la CNPC (le premier groupe pétrolier chinois) et le ministre afghan des mines et du pétrole Shahabuddin Dilawar.
C’était le premier accord économique international signé par les Talibans depuis la prise du pays en août 2021, et ce quoique la Chine, pas plus que quelque autre pays au monde, ne reconnaisse formellement l’« Emirat islamique d’Afghanistan ».
L’accord ouvre un droit d’exploitation durant 25 ans des gisements de la vallée de l’Amou Daria, qui délimite la frontière nord avec trois autres pays d’Asie centrale, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan. La CAPEIC s’engage à investir en infrastructures 150 millions de $ la première année, puis un total de 700 millions durant 4 ans, et de créer 3000 emplois locaux. Une société locale détient 20% des droits sur le pétrole extrait, pourcentage qui pourrait être porté à 70%. La Chine s’engagerait aussi à construire une raffinerie si les objectifs d’extraction se concrétisaient. On n’en saura pas plus.
L’intérêt chinois pour cette zone de l’Amou Daria est une vieille histoire. Durant le 1er « règne » taliban, la CNPC avait négocié de 1996 à 2001 des droits pétroliers, sans toutefois passer au stade de l’exploitation. Puis sous la protection américaine, le chinois Minmetals s’était assuré la concession d’un imposant gisement de cuivre de Mes Aynak, au sud-ouest de Kaboul – à cette époque, on avait pu voir des techniciens chinois travailler sur le site sous la protection de patrouilles de GIs américains contre des attaques… des Talibans.
Après la chute du régime afghan pro-occidental en août 2021, la Chine a exprimé son intérêt à un rapprochement. Rapidement, un genre d’accord de non-agression était signé où les Talibans promettaient de ne pas servir de base arrière aux militants séparatistes Ouïghours du Xinjiang, territoire frontalier de l’Afghanistan. Pékin pour sa part maintenait ouverte son ambassade, reconnaissait informellement le régime et s’engageait à l’aider à redémarrer le pays.
Puis en mars 2022, le Ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi faisait à Kaboul une visite surprise, pour discuter « affaires » : pétrole, gaz, cuivre, terres rares et lithium, dont l’Afghanistan détiendrait pour 1 000 milliards de $, selon une étude géologique de la CNPC publiée en 2019. Le lithium devrait voir son usage multiplié par 42 d’ici 20 ans, avec les besoins mondiaux en batteries, en énergie propre et en décarbonation économique. L’Afghanistan s’était d’ailleurs gardé de s’engager alors à quoi que ce soit sur ce sujet, préférant attendre de voir exploser les cours de cette denrée d’avenir.
Le véritable intérêt du contrat d’Amou Daria n’est pas dans le pétrole, vu ses aujourd’hui modestes réserves escomptées, mais dans le gaz dont la zone détiendrait l’équivalent du tiers des réserves chinoises. En tout état de cause, ce ne sera pas pour demain. Aujourd’hui comme au siècle dernier, ce site – ce pays entier- reste inexploitable, en raison de l’absence d’infrastructures et des besoins abyssaux en reconstruction, qui resteront longtemps inassouvis vu son instabilité poignante. La souveraineté des Talibans reste par endroit une fiction, comme dans la province nordique de Khorasan, infestée de groupes de l’Etat islamique (Daech) qui nourrit un fort sentiment anti-chinois. Même dans la capitale, l’ordre est loin d’être assuré : le 11 janvier encore à Kaboul, un attentat suicide à la bombe détonnait devant le ministère des Affaires étrangères, au moment d’une rencontre avec des émissaires chinois – bilan 5 morts, 40 blessés. Le 12 décembre, un commando s’en prenait à l’hôtel Longan, fort fréquenté par les hommes d’affaires chinois : 3 morts, 20 blessés. En fait, pas un mois, voire une semaine, ne se passe sans un coup sanglant instigué par Daech. Si au nom du régime, le Président Ashraf Ghani s’engage par téléphone auprès de Xi Jinping en août 2021, à empêcher l’ouverture d’un sanctuaire aux combattants Ouïghours, Daech milite pour le contraire, les armes à la main, au nom de la défense d’un islam maltraité au Xinjiang, et des plus d’un million de « frères » détenus dans les « camps de formation » chinois de la région.
L’intérêt premier de ce contrat, en fait, est politique : il tente de lier le régime afghan par autre chose que des promesses, une perspective de manne pétrolière à l’avenir. Il offre aussi immédiatement une brèche dans le bouclier occidental qui isole ce pays géographiquement enclavé, et le prive de toute perspective de mieux être économique.
Accessoirement, Pékin peut aussi miser, pour l’avenir, sur une découverte mirobolante d’or noir dans la région d’Amou Daria, à proximité de gisements dans les pays voisins. Ce contrat en fait, pourrait porter plutôt sur de l’exploration par les équipes de la CAPEIC. En cas de découverte, la Chine déjà sur place et bénéficiant de la gratitude des Talibans, serait bien placée pour obtenir le contrat de développement et l’exploitation. Mais à ce stade, tout cela relève d’une forte dose d’espoir et d’audace – une qualité dont le pouvoir chinois n’est pas déficitaire !
1 Commentaire
severy
17 janvier 2023 à 21:16À défaut d’exporter du gaz (si l’on en trouve assez), le régime afghan pourra quand même exporter en Chine le sang de ses victimes. Entre dictatures, le terrain d’entente est toujours miné de « bonnes » intentions.