Petit Peuple : Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (2ème Partie)

Taizhou (Zhejiang) – Les fiançailles aveugles de Xiao Liu et Xiao Niao (2ème Partie)

A Taizhou (Zhejiang), les parents de Xiao Liu, 29 ans, lui ont trouvé une fiancée, Xiao Niao, qu’il découvre ce soir pour la première fois lors d’un dîner de « fiançailles aveugles ».

Xiao Niao avait été éduquée dans la perspective d’un mariage brillant qui rapporterait gros à ses parents. Un peu comme Xiao Liu, son promis, elle était choyée par toute la maison – ils partageaient cette ressemblance, tous deux « petits diables », produits de leur génération et du planning familial qui limitait la natalité à un enfant par couple. Chaque matin, sa mère faisait son lit, et l’aidait à passer sur ses épaules le cartable qu’elle lui avait préparé la veille. Tellement gâtée, elle avait tiré très tôt la conviction d’une juste compensation à cette injustice de genre : elle savait en tout temps obtenir ce qu’elle voulait des autres, en jouant sur sa capacité à charmer avec le sourire. Au fil des ans, elle s’était habituée à exiger toujours le maximum, sans jamais rien lâcher. Elle savait instinctivement séduire parents, maîtres et camarades, aidée en cela par un physique avantageux et un goût inné pour s’habiller. Au collège de classe en classe, sa hardiesse faisait d’elle un objet permanent de compétition parmi les garçons.

Les parents de Xiao Niao étaient victimes d’un préjugé fréquent dans les familles récemment migrées à la ville. Espérant ardemment un garçon, ils avaient été déçus à sa naissance, mais s’étaient consolés à la perspective de récupérer 20 ans plus tard au moment du mariage, le fruit de leur investissement : une dot sonnante et trébuchante, due à la rareté des filles à marier. Âprement négociée, cette union permettrait d’arrondir les fins de mois de leur troisième âge. La famille du mari devrait aussi payer l’appartement, eux-mêmes n’ayant que les meubles à apporter. Cerise sur le gâteau, ces industriels de la porcelaine apporteraient leurs clients et leur entregent, qui viendraient se fournir auprès d’eux, haut placés dans l’administration, en licences et permis nécessaires à leurs affaires. Tout cela était calculé 20 ans à l’avance, dès la naissance de la fillette !  

Pour la décision, les deux clans s’étaient concertés en conseils de famille, pour s’assurer de ne rater aucun aspect de la situation sociale de ceux d’en face, ainsi que de l’état de santé et du niveau d’éducation de chacun des prétendants. Certaines réunions, s’étaient faites en présence de l’entremetteuse, pour donner son avis et fournir le maître feng shui, nécessaire pour repérer la date propice : le 18 mars de l’année 2020 avait été retenu, en raison de la valeur magique du chiffre en huit.

Pour le dîner de ces fiançailles en aveugle, rien non plus n’avait été laissé au hasard : dans Taizhou, un restaurant de haut vol avait été choisi pour ses petites tables carrées, ses éclairages tamisés et bougeoirs argentés. Comme de tradition, la note des agapes serait à charge de l’élu. Aucun menu ne serait commandé : on choisirait à la carte, selon l’humeur du moment.

Et puis le soir fatidique était arrivé. Xiao Liu s’était rendu au Sanmenqiudian, l’établissement où l’attendait leur table, soigneusement dressée, avec verres de cristal et une bouteille de champagne du Qinghai, frappée dans le seau à glaçons. … A part lui, l’établissement était vide – c’était un jour creux. Il attendait donc seul dans la vaste salle, guettant la rue à travers les fenêtres, prêt à se lever au moindre signe d’arrivée de sa promise. Le rendez-vous était pour 19h – mais une demi-heure plus tard, il rongeait son frein. Sa nervosité était si visible que le maître d’hôtel, compatissant, lui avait fait porter un verre de bon vin, pour lui donner courage.

Et puis soudain, il crut défaillir en voyant de l’autre côté de la baie vitrée se garer un minibus, squattant la place que devait occuper la voiture de sa bien-aimée. Mais voilà que du transport en commun descendait Xiao Niao, bien reconnaissable telle que sur sa photo, et une, deux, cinq, dix personnes, une vraie foule qui bavardait entre elle sans manières, se bousculait, se pressait à la porte du restaurant. Xiao Niao pénétrait dans la salle et s’adressait à lui tout sourire, avec un aplomb que renforçait son impeccable tenue, sa robe lamée argent, ses talons hauts de même ton : « bonjour Xiao Liu, je viens pour notre dîner. J’ai amené quelques parents et amis »…

Éperdu, le jeune homme se leva, marcha incertain vers elle. Tandis que le maître d’hôtel faisait dresser à toute vitesse une nouvelle table, cette fois très grande, et servir l’apéritif de bienvenue, les nouveaux venus se présentaient, tantôt gauches, tantôt familiers. Enfin la table fut prête : « vous ne serez pas deux , glissa à Xiao Liu le maître d’hôtel, mais 25 » !

C’était un vrai coup de Jarnac, une « flèche tirée dans le dos » (放暗箭, fàng ànjiàn). Non seulement cette arrivée en masse privait Xiao Liu de toute chance de faire connaissance avec la jeune fille (il pouvait oublier tous ses propos tendres qu’il ressassait depuis des semaines à longueur de nuits). Mais à la fin de la soirée, il devrait surtout régler l’addition, pour ces hordes de pique-assiettes affamés.

Comment allait-il réagir ? On le verra la semaine prochaine, au dernier épisode ! 

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1 Commentaire
  1. severy

    Voyons, voyons, comment pourrait-il bien s’y prendre? Ferait-il faire la vaisselle à sa belle famille pour rembourser les agapes de la veille, verserait-il subrepticement de l’huile de ricin dans les coupes de champagne tout en ayant condamné la porte des toilettes, chargerait-il la cérémonie de mariage et l’onéreux banquet qui s’ensuit sur le compte de ses beaux-parents, paierait-il la dot en billets de Monopoli, exigerait-il publiquement de ses beaux-parents qu’ils lui montrassent leur carte du Parti ou à défaut, leur demanderait-ils de faire la danse du ventre sur la table d’honneur, entre les plats de poissons au yeux morts et les plats d’holothuries éventrées, sur l’air de Dongfang hong? On se le demande.

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