À quelques semaines de la fin de la trêve décrétée par D. Trump à un conflit commercial ravageur, c’est dans une ambiance inespérée que s’est ouverte la première ronde de palabres de 2019 entre Chine et USA le 7 janvier à Pékin, avec deux surprises de taille. Le sommet devait se tenir à petit niveau, dirigé par les n°2 des ministères du Commerce Jeffrey Gerrish et Wang Shouwen. Mais contre toute attente, apparaissait Liu He, bras droit de Xi Jinping – c’était l’indice d’un désir chinois d’aboutir. De plus le meeting qui devait finir le 8 au soir, s’est prolongé de nuit pour reprendre le 9 janvier : il s’acheva sans accord officiel, mais avec des mines réjouies. La partie américaine évoquait une « très bonne session », et la chinoise cita un débat « ayant jeté les bases d’une résolution des problèmes ».
La mission américaine était solide, composée d’experts, tel Greg Doud, chef des dossiers agricoles fédéraux, Gilbert Kaplan sous-secrétaire au Commerce, ou David Malpass sous-secrétaire au Trésor : des professionnels sérieux et non polémiques, venus pour faire avancer les dossiers. Gerrish quoique jusqu’à présent dans l’ombre, a la réputation d’un homme « fort et dur en affaires ».
En face, l’équipe chinoise n’était pas moins aguerrie, ni moins étoffée – face aux 50 américains, elle alignait 100 experts et diplomates des différents ministères, sous la direction du vice-ministre du Commerce Wang Shouwen. Très apprécié pour son niveau d’anglais, son style concis et sa connaissance des dossiers, il est depuis 2018, la cheville ouvrière des négociations avec les USA. Entre les personnalités des chefs de délégation et leur rang, un parallèle précis est discernable, qui reflète évidemment un scénario de sortie de crise voulu par les deux bords : Gerrish dépend de Robert Lighthizer (l’oreille directe de Trump), et Wang Shouwen rend compte à Liu He (proche de Xi). Cette « voilure » des délégations permettait de discuter, sans décider. Le 9 janvier au soir, les porte-paroles annonçaient de concert l’intention de faire rapport et prendre les consignes pour la suite.
Pour la suite, deux autres entretiens au sommet sont prévus : l’un en marge du sommet de Davos (22-25 janvier), entre Wang Qishan le vice-président –1er économiste du pays–, et non pas D. Trump, qui s’est désisté (« shutdown » oblige), mais un autre très haut personnage. L’autre à Washington (30-31 janvier), entre Liu He et Lighthizer, voire Steve Mnuchin.
Probablement, des obstacles sectoriels demeureront : il restera alors un mois pour tenter de les aplanir, avant la date fatidique du 1er mars où, faute d’agrément, Trump ferait passer sous une taxe unique de 25% les 450 milliards de $ d’exportations chinoises, lançant ainsi durablement les deux puissances dans une guerre commerciale qu’aucune des deux ne peut se permettre.
Sous cette perspective, il faut noter que sous l’effet des sanctions américaines déjà en place, selon Caixin, la croissance des exportations chinoises rapetissera de 11% à 2018 à 5,6% en 2019. Mais en cas d’une nouvelle vague de rétorsions, elle ne fera que réduire davantage, grillant plusieurs points de croissance du PIB.
Dans un communiqué, le représentant américain au Commerce décrit l’enjeu : « une poussée pour forcer des changements structurels nécessaires, sur les transferts forcés de technologies, la protection de la propriété intellectuelle, les barrières non tarifaires, les intrusions cybernétiques, le vol de secrets commerciaux à des fins commerciales, les services et l’agriculture ».
Il s’agit aussi de résorber le déséquilibre des échanges : en 2018, en dépit de leurs sanctions, les Etats-Unis souffraient d’un déficit commercial record de 400 milliards de dollars. En pratique, leurs entreprises se retrouvaient – comme toutes celles étrangères – barrées des juteux marchés publics chinois, et voyaient leur accès fortement limité à une dizaine de secteurs « piliers stratégiques », dans l’énergie, les télécoms, l’internet. Enfin et surtout, le piratage systématique chinois des secrets d’affaire et le transfert forcé de technologies américaines étaient encouragés par Pékin, dans le cadre du programme « Made in China 2025 ». D’ici cette date, Xi Jinping veut voir son pays rattraper tout retard technologique sur les pays occidentaux.
Avant cette rencontre du 7-9 janvier, de nouvelles concessions –secrètes– ont été déposées par la partie chinoise, et Trump lui-même prétend que l’heure était à l’esprit d’ouverture – le frein des sanctions à l’économie chinoise, peut inspirer Pékin au compromis. La Chine a recommencé à acheter du soja américain, et a baissé la taxe sur les automobiles importées, de 40% à 15%. Son projet de loi sur les investissements étrangers prétend mieux protéger les brevets, et sa loi du « e-commerce », entrée en vigueur au 1er janvier, permet au consommateur chinois d’acheter davantage sur les sites internet étrangers.
Cependant, un aspect fondamental de la démarche américaine, consiste à exiger a priori la mise en place d’un système de vérification en temps réel des promesses chinoises, y compris certaines déjà anciennes, faites avant l’entrée à l’OMC, et depuis, jamais tenues. De même, il s’agit d’imposer à la Chine un changement radical de gouvernance. Plus question de laisser l’ouverture du marché ou l’interdiction de confiscation de technologie, à un simple règlement et au bon vouloir du fonctionnaire : ces nouvelles dispositions doivent être inscrites dans une loi contraignante.
À bien y regarder de près, cette équité en affaires et cette vérification des promesses chinoises, c’est ce que USA et Europe réclament depuis 20 ans. La Chine commence à y prêter attention, sous la contrainte. Et il a fallu un Trump, pour atteindre tel résultat !
Sommaire N° 2 (2019)