A nouveau, la tension montait entre Pékin et Jakarta autour de l’archipel des Natuna, au nord de l’Indonésie. La confrontation débuta le 10 décembre lorsqu’une trentaine de bateaux de pêche chinois, escortés par un garde-côtes, pénétrèrent au nord des Natuna dans la zone économique exclusive (ZEE) indonésienne de 200 milles nautiques (370 km), telle que définie par la Convention de l’ONU sur le droit de la mer (de laquelle la Chine est également signataire). Malgré les protestations indonésiennes, 63 navires et deux garde-côtes chinois entrèrent dans la zone poissonneuse. Cela poussa Jakarta à convoquer l’Ambassadeur chinois le 30 décembre. L’affaire escaladait d’un cran lorsque le porte-parole à Pékin du ministère des Affaires étrangères Geng Shuang déclarait : « que l’Indonésie l’accepte ou non, rien ne changera le fait objectif que la Chine a des droits historiques et des intérêts dans les eaux concernées ». En effet, à la différence d’îlots philippins, vietnamiens ou malaisiens, Pékin ne revendique pas la souveraineté des îles Natuna, mais des droits de pêche au nom de son activité « historique » dans la région, cette zone étant incluse dans la « ligne à neuf traits », englobant plus de 80% de la mer de Chine du Sud. Immédiatement, l’Indonésie rejetait ces revendications « unilatérales, et sans fondement juridique ». Dans la foulée, furent dépêchés aux Natuna une dizaine de navires militaires et quatre chasseurs F-16 dans une tentative d’intimidation. Mais il aura fallu que le Président réélu Joko Widodo se rende lui-même sur place (cf photo) pour que les navires chinois quittent finalement la zone… Le lendemain, l’Ambassadeur à Jakarta Xiao Qian joua l’apaisement, qualifiant les deux pays « d’amis qui partagent des opinions différentes ».
Ce n’est pas la première fois que la Chine et l’Indonésie se disputent à propos des Natuna. La dernière crise majeure remonte à mars 2016, lorsqu’un garde-côtes chinois libéra un chalutier chinois en cours d’arrestation par un patrouilleur indonésien. A l’époque, le Président Widodo avait réagi de manière similaire, convoquant l’Ambassadeur, se déplaçant sur place, et renforçant sa présence militaire dans la région. Entretemps, le pays a multiplié les investissements dans l’archipel où vivent 100 000 personnes, et a inauguré une nouvelle base militaire en 2018.
Alors, pourquoi cette nouvelle incursion chinoise ? Elle aurait pu avoir comme objectif de tester les limites de Jokowi (surnom du Président) depuis le départ fin octobre de Susi Pudjiastuti, Ministre des Affaires maritimes et de la pêche depuis 2014. Cette dernière était très populaire pour sa tolérance zéro à l’encontre des chalutiers étrangers qu’elle attrapait dans ses filets en zone illégale, allant jusqu’à les dynamiter en pleine mer après leur arraisonnement (et préalablement évacué leur équipage bien sûr). Aujourd’hui, au sein du nouveau gouvernement de Widodo, les opinions sont divisées sur la posture à tenir face à la Chine. Depuis 2005, le pays de 265 millions d’âmes, adhérant à l’initiative Belt & Road (BRI), aurait bénéficié de 47 milliards de $ de capitaux chinois, finançant notamment la ligne à grande vitesse Jakarta-Bandung. L’Indonésie ne peut donc pas se mettre la Chine à dos, son économie étant dépendante de ses investissements. Pourtant, entre 2014 et 2019, le nombre d’Indonésiens estimant que la croissance économique chinoise avait un impact positif sur leur pays, chutait de 15% selon l’institut Pew. De même, en 2019, la cote de popularité de la Chine dégringolait de 17% dans le pays à forte majorité musulmane – conséquence de la répression à l’encontre des Ouïghours au Xinjiang. Il s’agit donc pour Widodo d’un exercice d’équilibriste : satisfaire le sentiment nationaliste de sa population, tout en évitant de se fâcher avec la puissance chinoise.
La Chine aussi avance avec prudence avec le partenaire indonésien. Pékin ne peut s’aliéner le poids lourd de l’ASEAN, de surcroît l’année du 70ème anniversaire de leurs relations diplomatiques. De plus, le Vietnam qui assure la présidence tournante de l’ASEAN en 2020, semble bien décidé à confronter Pékin à propos de ses incursions répétées, des récriminations que partagent d’autres voisins. La Chine et les membres de l’ASEAN se sont finalement mis d’accord pour signer d’ici 2021 un code de conduite pour éviter que ces disputes maritimes ne dégénèrent. Pour le moment donc, pas question pour la Chine de faire trop de vagues…
1 Commentaire
severy
13 janvier 2020 à 15:42Ah! qu’il est dur de se faire accepter par des partenaires qui refusent de se laisser intimider lorsqu’on s’empare de leur espace économique maritime en se basant sur des arguments historiques infondés qui masquent des arguments contondants bien réels.
En tentant de transformer les pays de la région en débiteurs grâce à des projets pharaoniques qui dévoreront leur PNB pendant des décennies, le régime chinois essaie d’en profiter pour s’emparer de territoires qui ne lui appartiennent pas, comptant sur l’abstention des pays concernés lors de votes à venir en vue d’établir une politique commune de défense dans le cadre de l’ASEAN. En clair, « si tu votes contre moi, pas de report du remboursememr de ta dette ». Plutôt efficace comme traitement, pas vrai?