Le 7 janvier 2018, présentant son bilan économique de 2017, le gouverneur de Mongolie Intérieure fit une déclaration choquante : le bilan de 2016 avait été falsifié. Les « 53 milliards de yuans » (8 milliards de $) de recettes fiscales étaient exagérées de 26%, et à « 290 milliards de yuans » (45 milliards de $), la croissance industrielle, mentait de 40%.
Comme explication, les analystes officiels avancèrent un état d’esprit fermé à toute réforme, et une gouvernance obtuse, amenant de mauvais résultats, que les leaders locaux avaient ensuite maquillés. C’est ce que plaide le gouverneur, évoquant des « collusions locales entre cadres et industriels ou patrons de mines ».
Or ce problème comptable se reproduisit quelques jours plus tard, cette fois dans la zone de Binhai, à Tianjin, espace économiquement avancé, poumon portuaire d’un arrière-pays de 200 millions d’âmes, dont Pékin la capitale. Le PIB réel de la zone en 2016 n’atteindrait que 665 milliards de yuans, 33% de moins que le nombre tapageur annoncé au départ… Alors, comment expliquer que les régions riches, comme les pauvres, trichent, puis se mettent à avouer au même moment ?
Dans le cas de Tianjin, une explication probable peut venir du passé de la ville. Jusqu’à 2016, cette cité, au statut de « ville autonome », était le fief de l’ex-Président Jiang Zemin, administrée avec imprudence par Huang Xingguo, un de ses lieutenants. En 2015, un entrepôt chimique de la zone de Binhai explosait, causant 7 milliards de $ de dégâts et près de 200 morts. Huang fut limogé en novembre 2016, mais le bilan de l’année, publié six semaines plus tard, portait inévitablement sa griffe. Toutefois après un tel désastre, maintenir le mythe d’un fabuleux PIB, supérieur de 33% à la réalité, devenait impossible – d’autant que le nouveau patron local, Li Hongzhong, avait fait allégeance à Xi Jinping, et avait tout intérêt à dévoiler les faux de son prédécesseur…
C’est sans doute la principale cause de ces mensonges statistiques : sous Jiang Zemin (et sous Hu Jintao, son successeur), pour assurer sa promotion, tout patron de province se devait de gonfler les chiffres de croissance. Toutes les provinces faisant de même, son bilan apparaissait, sinon vraisemblable, du moins en ligne avec le reste du pays.
Mais cela se voit au bilan national. En 2015, l’écart entre la croissance officielle du pays et celle cumulée des provinces était de 7% – probablement encore en deçà de la réalité !
Dès 2007, Li Keqiang, alors Secrétaire du Liaoning, faisait cette boutade : pour suivre la croissance de sa province, il ignorait les statistiques pour ne se fier qu’à quelques chiffres-clés, tels ceux des transports ferroviaires et de la consommation en électricité !
Et en belle continuité avec son ex-Secrétaire, le Liaoning avouait 10 ans plus tard, avoir retouché tous ses budgets de 2011 à 2014. Le Jilin également, fut attrapé durant l’été 2017 par des agents de CCID, la Commission de Discipline du Parti, à falsifier ses recettes fiscales.
La raison à ce tournant budgétaire dans ces provinces, tient à la conjoncture, qui rend cette pratique frauduleuse insupportable. En effet, déclarer une croissance fictive, entraîne une baisse des subsides et une hausse des impôts à l’Etat central. Quoique pauvre, la province est considérée comme riche ! Le manque à gagner est répercuté sur les industries locales (publiques), lesquelles paieront plus de taxes, au moyen d’emprunts auprès des banques. Ainsi se constitue une vertigineuse dette locale. Dès 2016, les entreprises locales, criblées de dettes, risquaient le dépôt de bilan.
Alors, pour éviter de donner l’impression que la province a été davantage administrée dans l’intérêt du leader que celui de la population, il faut passer à un autre modèle économique. C’est ce que découvre la CCID, en épluchant les comptes : elle reproche à l’encadrement provincial un manque d’adhérence aux « 4 consciences » – aux directives de Xi Jinping.
D’ailleurs, la plupart des leaders provinciaux nommés avant ou après le XIX Congrès, doivent appliquer strictement de nouvelles consignes : orienter les territoires vers un « développement qualitatif », plus durable, plus tourné sur la consommation intérieure, dans le cadre d’une « réforme du marché de l’offre » et vers la protection de l’environnement. Naturellement, ces directives sont incompatibles avec le trucage des chiffres. On peut donc s’attendre, disent les experts, à une multiplication d’autres aveux de triche par des provinces.
Quoiqu’il en soit, la Mongolie Intérieure, région parmi les plus pauvres et moins peuplées du pays (24 millions d’éleveurs et de mineurs sur un dixième du territoire national) commence à payer cher son mensonge statistique. Hohhot, la capitale, a dû suspendre ou annuler pour 50 milliards de yuans en investissements d’infrastructures, dont le métro de Baotou (cf photo) et quatre autoroutes ou voies rapides autour de Hohhot. Comme le Dongbei voisin (le Nord-Est), la Mongolie souffre d’une surcapacité houillère et sidérurgique. En décembre, Pékin promettait de fermer en 2018 pour 800 millions de tonnes de capacité charbonnière, dont une part lourde reviendra probablement à la Mongolie et au Dongbei : à terme, l’effort entraînera une remontée des cours, mais pour commencer, elle cause la perte de dizaines de milliers d’emplois.
La tendance d’avenir est indiquée par la province de Hainan : sur cette île tropicale, 12 villes ont déjà choisi de ne plus intégrer le PIB, comme critère d’évaluation des performances de leurs cadres.
1 Commentaire
severy
21 janvier 2018 à 00:35Après un bilan chauffé au rouge, les mines de charbon broient du noir.