Le Vent de la Chine Numéro 19 (2024)

du 26 mai au 8 juin 2024

Editorial : Aux grands maux, les grands remèdes
Aux grands maux, les grands remèdes

« Du jamais vu en une décennie », « un moment historique », « un tournant », « des mesures audacieuses »… Voilà les qualificatifs qui ont parfois été utilisés pour décrire le plan de sauvetage du secteur immobilier dévoilé le 17 mai par le Conseil d’Etat.

En quelques mots, il s’agit de racheter une partie du grand nombre d’appartements vides pour les convertir en logements sociaux et de livrer ceux déjà vendus mais non achevés à leurs propriétaires

Pour cela, la Banque Centrale a annoncé le même jour le déblocage de 300 milliards de yuans à faible taux d’intérêt (1,75%) pour aider les gouvernements locaux à racheter aux promoteurs leurs logements vides et à mener à bien leurs chantiers inachevés.

En visite de terrain à Zhengzhou (Henan), He Lifeng, le vice-premier ministre chargé de l’économie (cf photo), a promis que les autorités « se battront dur contre le risque que représentent les projets non achevés ». C’est la première fois qu’on entend un langage aussi fort à ce sujet de la bouche d’un dirigeant chinois.

En parallèle, la Banque Centrale a également abaissé de 20 % à 15 % l’apport minimum exigé des primo-accédants, et à 25 % pour les particuliers souhaitant acheter un second logement. Le taux d’intérêt plancher, jusqu’alors imposé sur les crédits immobiliers, a également été abandonné.

Le gouvernement ambitionne de faire d’une pierre, trois coups, en agissant à la fois sur l’offre et la demande : désamorcer la bombe sociale que représentent les chantiers à l’abandon, reconvertir un maximum d’appartements invendus en logements sociaux et tenter de relancer les achats immobiliers, en berne depuis de long mois.

Quelques heures avant l’annonce de ce plan, les dernières données statistiques semblaient confirmer l’urgence d’enrayer cette crise immobilière persistante. En effet, en avril les prix du neuf ont chuté pour le dixième mois consécutif de 0,6 % en glissement mensuel, soit la baisse la plus rapide depuis presque 10 ans. Même constat alarmant du côté de l’investissement immobilier, qui a chuté les 4 premiers mois de 2024 de 9,8 % par rapport à l’année précédente.

Cette panne du secteur immobilier alimente le pessimisme des ménages : les ventes de détail n’ont augmenté que de 2,3 % sur un an en avril, contre 3,1 % le mois précédent. Ces chiffres ne sont pas tout à fait surprenants lorsqu’on sait que les Chinois qui avaient choisi d’investir dans l’immobilier voient leur capital fondre un peu plus chaque mois…

Depuis plusieurs mois, Pékin multiplie les mesures pour tenter d’enrayer la crise – en vain jusqu’à présent. En novembre 2023, le gouvernement avait établi une « liste blanche » de cinquante promoteurs approuvés par Pékin, que les banques étaient invitées à financer. Dans les faits, elles se sont montrées plutôt frileuses … Le mois suivant, Xi Jinping visitait une tour de logements à bas coût à Shanghai et soulignait leur importance dans les grandes villes. En mars dernier, Pékin avait annoncé l’émission de bons à très long terme à hauteur de 1 000 milliards de yuans ainsi que le lancement d’un vaste programme de remplacement de vieux appareils électroménagers, machines et de véhicules à hauteur de 500 milliards de yuans. Mais les consommateurs préfèrent épargner davantage que consommer plus… 

Malgré ces grandes annonces, le cœur du problème tient en une question : dans quelle mesure les collectivités locales pourront remplir la mission qui leur est confiée, elles qui sont déjà lourdement endettées ?

Ensuite, même si le stock d’invendus (4 millions) et le nombre de logements vendus mais inachevés (10 millions au bas mot) diffèrent selon les estimations, tous les experts s’accordent à dire que les 300 milliards, voire 500 milliards de yuans annoncés, seront insuffisants pour régler le problème. Il faudrait au moins 10 fois plus, une somme que seul l’Etat ou la Banque Centrale pourrait financer… 

Pour compliquer un peu plus la situation, les besoins diffèrent grandement d’une région à une autre : les petites villes regorgent d’appartements invendus dont personne ne veut, tandis que les grandes agglomérations, elles, ont besoin de davantage de logements sociaux. Il n’existe donc pas de solution miracle.

A tout le moins, ce plan de sauvetage de l’immobilier traduit une volonté nette du gouvernement central de ne pas laisser la situation se dégrader davantage et de stabiliser l’économie.

D’autres signaux, comme le symposium de Xi Jinping à Jinan (Shandong) le 23 mai, où plusieurs économistes et dirigeants de multinationales étrangères ont été invités à donner leur avis sur la manière d’améliorer l’environnement d’affaires et sur les projets de réforme économique (prix de l’énergie, réforme fiscale…) qui seront annoncés lors du 3ème Plénum en juillet, sont autant de raisons de rester optimiste d’ici là.


Monde de l'entreprise : Les débuts de la « saga » chinoise du Puy du Fou
Les débuts de la « saga » chinoise du Puy du Fou

Trois ans après son lancement en Espagne, le Puy du Fou continue son expansion à l’international en inaugurant le 28 mai un spectacle au cœur de  Shanghai. C’est sur un centre d’exposition en désuétude situé dans le district de Xuhui que le parc à thème vendéen a jeté son dévolu en 2020 pour donner vie à sa dernière création, baptisée « SAGA ».

Après une longue période de questionnement sur la manière d’aborder le marché chinois, le groupe a finalement mis de côté l’idée d’un spectacle tribune qui a fait son succès en France, pour miser sur une expérience urbaine et immersive, une sorte d’hybride entre théâtre et « escape game », où le visiteur peut influer sur le cours de l’histoire en fonction de ses décisions.

Et pour cela, le Puy du Fou a vu les choses en grand puisque SAGA ne compte pas moins de 52 salles réparties sur deux étages et plus de 15 000 m². Ces statistiques en font donc le plus grand spectacle immersif au monde, d’après le Guinness des records.

Consciente de la nécessité d’adapter son univers au public chinois, l’équipe créative du Puy du Fou Asia, composée d’une soixantaine de personnes, s’est inspirée de l’histoire chinoise et des légendes locales pour élaborer SAGA, avec bien sûr le feu vert à chaque étape du Bureau de la Culture pour éviter de se retrouver victime de la censure.

Ainsi, après avoir revêtu une cape de couleur pourpre, le visiteur se retrouve plongé dans le Shanghai des années 30, alors sous contrôle de l’armée japonaise (explicitement mentionnée sur demande des autorités) et part sur les traces d’un palais légendaire, englouti sous les eaux… Une aventure de 90 minutes à la croisée des chemins entre Indiana Jones et Atlantide !

Un soin tout particulier a été apporté au réalisme des décors et des costumes, tandis que la machinerie n’a rien à envier à celle du parc vendéen. Les 170 acteurs eux, ont été recrutés sur place et sont tous des professionnels du spectacle. A terme, quelques comédiens étrangers seront intégrés pour accentuer le côté international de SAGA. Un point important aux yeux des autorités locales, désireuses de projeter l’image d’une ville ouverte sur le monde et d’attirer les investissements étrangers, particulièrement lorsqu’ils mettent en valeur la culture chinoise.

Le seul associé du Puy du Fou dans ce projet reste d’ailleurs le district de Xuhui, représenté par Chengxin (6% de la coentreprise), après avoir été lâché par CYTS, filiale du groupe Everbright dont le patron est tombé pour corruption.

En exploitant en propre ce spectacle, le Puy du Fou fait donc un pari risqué, mais qui lui permet de préserver sa ligne artistique et le met à l’abri d’une éventuelle faillite d’un partenaire, situation très courante ces derniers temps chez les promoteurs immobiliers.

Au final, le grand challenge de SAGA sera de convaincre une classe moyenne devenue plus regardante à la dépense, de payer une somme relativement élevée (le prix d’un ticket débute à 498 yuans en semaine, et monte à 1100 yuans le week-end, avec repas) pour se divertir, souvent en famille.

Certes, la concurrence sur ce créneau spécifique se fait rare en ville. Disney et Legoland (prévu pour 2025) mis à part, le concept qui se rapprocherait le plus de SAGA serait « SLEEP NO MORE », un spectacle immersif inspiré d’une pièce de théâtre anglaise, qui, malgré sa petite taille, l’absence de machinerie et un prix encore plus élevé (environ 800 yuans), affiche complet des mois à l’avance.

SAGA, lui, a d’autres atouts dans son jeu, comme le fait de permettre aux visiteurs de choisir différentes salles et ainsi leur donner envie de revenir pour les découvrir. Le Puy du Fou envisage également de réadapter tous les 5 ans son spectacle pour alimenter l’intérêt du public sur la durée. Pour 2024, SAGA s’est fixé comme objectif d’accueillir 700 000 spectateurs, même si techniquement, les lieux sont adaptés pour 1 million.

A peine le spectacle inauguré, le Puy du Fou a déjà reçu plusieurs demandes d’autres villes chinoises de 1er et de 2nd tiers, cherchant elles aussi à ouvrir leur propre SAGA. Plusieurs facteurs, comme la démographie et le pouvoir d’achat des habitants, entrent en ligne de compte dans la sélection des villes-hôtes, car pour le groupe dirigé par Nicolas de Villiers, le fils du fondateur, pas question de faire un compromis sur la qualité ou de proposer un show au rabais !

A ce stade, c’est Hangzhou qui tire son épingle du jeu, désireuse de changer son image de capitale nationale du e-commerce et du live-streaming. Sauf que le projet choisi cette fois, serait celui d’un parc en plein air, similaire à celui de Vendée. Alors que d’autres options asiatiques se profilent (Singapour, Tokyo…), on peut néanmoins déjà déclarer ouverte la « saga » chinoise du Puy du Fou !