Les 14-15 mai se rassemblait à Pékin le dernier-né des meetings planétaires : le sommet BRI (acronyme anglophone pour « Belt and Road Initiative »), ce concept du Président Xi Jinping pour relancer la croissance de la planète. Ont répondu à l’appel 29 chefs d’Etat ou de gouvernement, dont Vladimir Poutine, l’Italien Paolo Gentiloni, ses homologues espagnols, grec et hongrois, et la birmane Aung San Suu Kyi. Mais ni Merkel, ni Trump, ni le nippon Shinzo Abe ne seront présents… La France elle, sera représentée par J.P Raffarin, l’éternel avocat de la République au Céleste Empire. Mais on sent une sous-représentation à ce sommet BRI, comparé à un G20 ou un sommet de Davos. Et pourtant, c’est le moment où, pour la première fois dans son histoire, la Chine propose au monde son concept du développement, en rupture avec la pratique normale. Le monde observe, reste en retrait, réserve sa réponse.
L’initiative BRI (anciennement OBOR, « One Belt, One Road » ou « nouvelles routes de la soie ») ) vise à exporter les surcapacités chinoises (acier, ciment, verre, panneaux solaires), et ses énormes réserves en devises, dans des projets hors frontières. Depuis 2013, époque du lancement de la BRI, la Chine y a dépensé 50 milliards de $. D’ici 2022, calcule Crédit Suisse, elle investira 313 à 502 milliards de $ dans 62 pays, principalement Inde, Russie, Indonésie, Iran, Egypte, Philippines et Pakistan. 79 milliards de $ iront en outre à 13 pays d’Afrique.
Une équipe et des outils ont été établis pour faire fonctionner la BRI. Jin Liqun préside l’AIIB (Banque Asiatique d’Investissements en Infrastructures) créée en octobre 2014 avec 100 milliards de $ de capital et 57 pays membres (sans les Etats-Unis). Jin Qi est présidente du Fonds « Routes de la soie », créé en janvier 2015 avec 40 milliards de fonds propres. Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, est depuis mars 2013 « l’ambassadeur » de la BRI à travers la planète, expliquant inlassablement aux gouvernements ce nouveau mécanisme. Xu Shanda, ancien n°2 de la taxation, est l’initiateur du concept, plaidant dès 2009 pour investir les réserves chinoises en devises vers l’étranger. Gao Hucheng (ex-ministre du Commerce), Liu He, bras droit du Président, Xiao Jie, ministre des Finances, sont aussi des personnages-clés de cet aréopage.
Depuis 2013, les chantiers BRI réalisés, incluent 56 zones industrielles, aéroports, ports, autoroutes… Ces projets ont fait les choux gras des aciéries, cimenteries et industries lourdes, tels les engins de levage Sany, Zoomlion, les camions de chantier Sinotruk… Aujourd’hui la Chine cherche à associer plus les partenaires étrangers : le malais Gamuda, le pakistanais Lucky Cement, le français EDF, avec la centrale nucléaire d’Hinkley Point (Royaume-Uni), ou Siemens, qui bâtit une centrale thermique en Arabie Saoudite pour un milliard de $.
En dépit de ce dynamisme, la BRI inspire de nombreux doutes, y compris en Chine. Pan Guangwei, n°2 à l’association nationale bancaire, note que des banques « politiques », telle l’Exim Bank, augmentent leurs prêts, mais que celles « commerciales » se font tirer l’oreille. Et de fait, en 12 mois, les financements BRI ont baissé de 2% en 2016, de 18% en 2017. Pour quelles raisons ? Selon The Economist, le plan souffre d’abord d’une absence de priorités, de normes et d’objectifs, remplacés au plan local par du volontarisme. Chaque province aligne des projets hétéroclites, espérant ainsi attirer la manne publique, sans arbitrage. Les exemples abondent de tels chantiers à risques. Au Kirghizstan, la raffinerie (chinoise) de Kara-Balta ne tourne qu’à 6% de sa capacité, faute de disposer d’assez de matières premières. À Qinzhou (Guangxi), un port se bâtit, qui vise 1,8 million de conteneurs par an, mais risque de ne jamais être profitable, vu le suréquipement chronique du pays en ports, avec dès 2013 un excédent de capacité de 50 millions de « boîtes ».
Autre problème sérieux, l’acceptabilité des projets au plan local. Ici, le bât blesse du fait du défaut d’écoute des entrepreneurs chinois quant aux attentes et besoins des pays destinataires. Question de culture politique : en Chine-même, la consultation des riverains n’est pas essentielle, lors du tracé des routes, ou d’incinérateurs de déchets. Mais hors frontières, ce comportement passe mal. Entre Thaïlande et Laos, le projet de navigabilité du Mékong jusqu’en Chine, soulève les environnementalistes, qui dénoncent d’avance une faune et une flore fluviale dynamitée « au seul profit chinois ». En Birmanie de même, le barrage de Myitsone à 6 milliards de $, qui devait fournir 6 GW au Yunnan, est bloqué depuis 5 ans. Au Pakistan, le « corridor économique » du CPEC (China-Pakistan Economic Corridor) devant relier le pays à la Chine, est gardé par 10.000 soldats, contre le vandalisme d’insurgés locaux, opposés à la présence chinoise envahissante. Curieusement, ce même corridor est très critiqué en Inde, qui revendique la région comme partie de son territoire. Pour cette raison, entre autres, l’Inde reste absente de ce sommet BRI, en dépit des milliards de $ que la Chine compte déverser en biens d’équipements sur son sol – un comble !
Sur base de ces cas et de bien d’autres encore, le groupe Gavekal évalue à 80% les pertes financières à attendre des investissements BRI au Pakistan, à 50% au Myanmar, et à 30% en Asie Centrale. Même si le plan à long terme est couronné de succès, l’addition sera lourde.
A la veille du meeting, Pékin espérait voir les 29 chefs d’Etat présents se ranger derrière son propre communiqué, validant son projet chinois. Côté étranger pourtant, on s’attendait à voir des objections apparaître.
En clair, pour faire de ce projet chinois un chantier mondial, il faut un partage des décisions et des contrats, et des projets rentables. La Chine n’aura certainement pas le temps de réaliser ceci en deux jours de rencontres. Mais elle aura eu la latitude de découvrir quelle voie prendre, pour sortir de l’impasse.
Sommaire N° 19 (2017)