Editorial : Statut d’économie de marché – La valse sur des oeufs

Par 546 voix « pour », 28 « contre » et 77 abstentions, le Parlement Européen refusa (14 mai) d’octroyer à la Chine le « statut d’économie de marché » (SEM), sans mesures compensatoires. Au contraire, il réclama le renforcement des lois contre le dumping et les subventions étrangères aux exportations vers l’Europe. C’est que le temps presse, avec l’échéance du 11 décembre, 15ème anniversaire de l’entrée de la Chine à l’OMC. Alors, au titre de la section « 15 » du Traité, tout membre de l’OMC devra cesser d’entraver les produits chinois, et devra octroyer au Céleste Empire le SEM. A ce jour, aucune puissance (Europe, Japon, Etats-Unis) ne l’a encore fait.

Pour l’instant, pour toute importation, en cas de plainte des Etats membres, la Commission vérifie si le produit entre dans l’UE à prix trop bas. Si oui, elle évalue ses coûts de production réels, non à partir des déclarations d’origine mais selon ceux d’un pays « comparable » (Inde par exemple). Puis elle fixe le montant de sa taxe compensatoire. Mais pour Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, cette pratique doit cesser au 11 décembre – le Traité n’est pas négociable!

Bruxelles et les 28 cependant, ne l’entendent pas de cette oreille : la Chine n’a toujours rien d’une « économie de marché », avec son crédit illimité à des firmes d’Etat, souvent pour la seule défense de l’emploi et par les rivalités entre provinces. De ce fait, l’export chinois d’acier à prix insupportablement bas, a augmenté de 20% en 2015, puis de 5,7% au 1er trimestre 2016. Sur les 5 conditions de 2001 à l’octroi du SEM (tels l’abandon des subsides ou la non interférence de l’Etat dans les choix des entreprises), seule « une et demi » est remplie, selon un haut cadre européen.
D’autre part, l’octroi du SEM pénalisera les Européens du Sud plus que ceux du Nord, ces derniers ayant déjà fait une croix sur leurs industries traditionnelles. Pour l’ensemble de l’UE, les pertes d’emplois s’élèveraient de 340.000 à 3,5 millions.

Vis-à-vis de la Chine, les Etats membres aux intérêts divers, paient au prix fort leur division. Tous tentent d’attirer la manne des investissements chinois sur leur sol. Pékin sait aussi « punir » ceux qui se plaignent d’elle : quand l’UE en 2014 a sanctionné ses panneaux solaires, la Chine a initié des enquêtes antidumping contre le vin français et le polysilicone allemand. Aujourd’hui en cas de refus d’octroi du SEM, elle fait planer la menace d’un arrêt des négociations pour l’accord Chine-UE de protection des investissements.

La solution que doit présenter en juillet, J-C Juncker, Président de la Commission Européenne, semble évidente : un octroi partiel du SEM, assorti d’un nouveau bouclier anti-dumping, compatible avec le Traité d’adhésion. Ce système devra être approuvé par le Parlement et le Conseil des ministres des 28.

Trois inconnues influenceront l’issue du dossier : le vote du Brexit au Royaume-Uni, et les « pré-campagnes » d’élections en France et en Allemagne, où pèseront plus que jamais les voix d’extrême droite. 

Une chose est sûre : l’UE ne refusera pas le SEM à la Chine. Le prix à payer serait trop cher. L’UE perdrait devant le panel de l’OMC. Elle perdrait aussi en prestige et sympathie côté chinois, qui se traduirait par le gel de moultes coopérations potentielles : sur le nucléaire et les énergies renouvelables, le co-développement de l’Afrique, la paix en Syrie, la dénucléarisation en Corée du Nord, la gestion du contentieux sur la mer de Chine du Sud… Autant de dossiers dépassant de loin l’attribution  d’un simple « statut d’économie de marché ».

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