Dans un monde qui change, les temps sont incertains, l’avenir n’est pas tracé. Mais la Chine, au moins en Corée du Nord, a sa place assurée : des années de patient soutien lui permettent aujourd’hui d’y imposer sa force tranquille.
Les 7-8 mai, pour la seconde fois en six semaines, Kim Jong-un et Xi Jinping se sont retrouvés secrètement – cette fois à Dalian (Liaoning) à mi-chemin entre leurs deux capitales. A nouveau, cette rencontre a pris le monde par surprise, venant d’hommes qui depuis leur arrivée aux affaires, ne cachaient pas leur inimitié – Kim ayant même fait exécuter deux membres de sa famille, notoirement proches de Pékin.
Désormais à Dalian, Kim et Xi affichaient une sympathie de façade, se donnant du « camarade Président », du « camarade Secrétaire général ». De retour chez lui, Kim se réjouissait de l’embellie : à l’évidence, il venait d’obtenir ce qu’il voulait de Xi sur la reconstruction de son pays. Il obtenait aussi de la face : Xi, leader très sollicité, avait trouvé deux jours à lui consacrer en tête à tête, imposant ainsi l’image d’un partenariat d’égal à égal. Au passage, cette formule de rencontre était celle que Xi venait d’inaugurer lors de son escapade à Wuhan avec l’indien N. Modi.
Enfin, Kim obtenait surtout la garantie implicite de ne pas se retrouver seul face aux Etats-Unis, sur l’épineuse question du désarmement. Donald Trump revendique une dénucléarisation à étapes accélérées, « de six mois à un an ». Pour sa part, Pékin attend en contrepartie le départ des 23.000 GI déployés en Corée du Sud depuis 1953. Kim lui, voudra en tout cas diluer le processus en années de « phases synchronisées ». Or entre ces avis et rivalités, Kim a des chances de choisir sa solution à la carte !
En intercalant son propre sommet entre celui de Kim et Moon Jae-in (27 avril) et celui de Kim et Trump du 12 juin à Singapour, Xi vient donc de marquer un point. Six heures après la rencontre, Xi s’entretenait avec un Trump anxieux de faire le point, lequel venait d’envoyer dare-dare son négociateur en chef Mike Pompeo à Pyongyang.
Dans cette course au dialogue, d’autres pays peuvent craindre de se trouver dépassés. Au nom de la Corée du Sud, le Président Moon Jae-in avait remis à Kim le 27 avril une offre d’intégration économique de la péninsule. Il proposait trois ceintures transfrontalières—une sur la côte Ouest, à vocation logistique avec la Chine, une sur la côte Est, de coopération énergétique avec la Russie, et une sur la frontière intercoréenne, pour le tourisme. Les deux Corées seraient en outre reliées par un TGV jusqu’à Pékin, à l’image d’une « rou-te de la soie » chinoise—mais d’une ligne essentiellement nationale et autocentrée. Or, en enfonçant comme il vient de le faire la porte des palabres, Xi vient de rendre illusoire tout rêve de retrouvailles limitées à « la famille ».
L’autre pays ayant des soucis à se faire vis-à-vis du retour de la Corée du Nord dans le camp des nations, est le Japon. À Tokyo le 9 mai, pour la 1ère fois en 7 ans, Shinzo Abe le 1er ministre rencontrait son homologue Li Keqiang et le sud-coréen Moon. C’était d’abord pour s’assurer que son pays serait bien associé aux négociations, et conserverait son influence sur la péninsule et la région. Abe avait de quoi craindre : dès ce sommet de Tokyo, Li Keqiang proposait de convertir leur « trilatérale» en un « quadrille », en ajoutant Pyongyang. Mais ces leaders allèrent aussi plus loin : ils s’efforcèrent d’enterrer 7 années de point mort dans les échanges, de ranimer les coopérations à l’arrêt, renforcer les communications entre armées, et relancer entre eux le projet d’accord de libre-échange.
Tant à Dalian qu’à Tokyo, une autre zone du monde fut abondamment évoquée : l’Iran. Les leaders savaient que Trump déchirerait l’accord de non-prolifération nucléaire liant le monde à ce pays. Pour Chine Japon et Corée du Sud, cela avait deux conséquences : Trump pourrait à l’avenir briser à son tour le futur accord de dénucléarisation de la Corée du Nord, et menacer de sanctions leurs entreprises qui commerceraient avec l’Iran. Or pour la Chine, tout lâchage de ce vieil allié iranien, pôle stratégique du Proche-Orient, était impensable. Xi Jinping déjà, afficha sa volonté de travailler avec les Européens pour tenter de sauver l’accord avec l’Iran.
Sur le troisième grand front diplomatique, entre Chine et Etats-Unis, les nouvelles sont variables. On voit s’accumuler les points de friction. La tutelle chinoise de l’aviation CAAC met en demeure 36 compagnies aériennes de spécifier que Hong Kong, Macao et Taiwan sont chinois—sous peine de sanctions. Une initiative cocardière qualifiée par Trump « d’ ânerie orwellienne». À l’OMC, les USA bloquent la nomination de deux juges d’appel : Pékin et Washington s’accusent mutuellement de « prendre l’OMC en otage » .
À Shenzhen, à court de pièces importées d’Amérique, le groupe ZTE ferme ses chaînes de smartphones. Dans les ports chinois, les douaniers bloquent les arrivées de voitures made in USA (Ford, BMW, Mercedes), et de porc américain. Idem, les acheteurs chinois de soja des USA se tournent vers l’Argentine ou le Canada.
Pourtant, rien n’empêche une Chine obstinément optimiste de qualifier la ronde de négociations des 3 et 4 mai à Pékin comme un « succès », où « le brouillard s’est levé ». Liu He, vice-1er ministre part pour Washington le 15 mai pour un second tour de négociations. Le but : trouver l’accord avant juin, date du début des rétorsions américaines. Trump, au demeurant, conversait aimablement le 8 mai avec son « ami Xi ». Pour l’instant, ce cocktail de menaces et d’amitiés, chez ce personnage cyclothymique, passe manifestement plutôt bien côté chinois. Pékin se retrouve ainsi aidée à négocier son plus important virage en stratégie économique, depuis l’entrée à l’OMC en 2001.
Sommaire N° 19-20 (2018)