
Face à un marché immobilier en berne, à l’instabilité du marché boursier, au spectre de la déflation et à des placements bancaires jugés peu attractifs, les jeunes Chinois se tournent désormais vers l’or, plus que jamais une valeur refuge en ces temps d’incertitude économique et de chômage élevé (officiellement 15% chez les moins de 25 ans). Ainsi, chez les moins de 40 ans, la « génération Z » (les 14-27 ans) est celle qui achète le plus d’or, selon une étude du géant chinois de la joaillerie, Chow Tai Fook.
Si les lingots sont hors de prix et les bijoux hier plébiscités par leurs parents ne sont pas à leur goût, les jeunes Chinois préfèrent acheter de petits « haricots » d’or d’environ 1 gramme et vendus un peu plus de 600 yuans l’unité. Un prix qui reste acceptable pour de jeunes actifs pouvant uniquement se permettre d’épargner quelques centaines de yuans par mois.
Ces « haricots » d’or, qui prennent parfois la forme de mini-lingot, de carpe ou de calebasse (symbole de bonne augure censé attirer la fortune), sont ensuite précieusement conservés à la maison dans des petites tirelires transparentes ou alors arborés en pendentif.
A l’inverse d’un livret A ou d’un PEL, le haricot d’or est un investissement ludique et que l’on peut toucher. « Tu dépenses de l’argent, sans avoir l’impression d’en avoir dépensé », déclare une acheteuse. Et à l’inverse de la plupart des articles de luxe, comme les sacs ou les diamants, l’or, lui, n’a fait que prendre de la valeur ces 25 dernières années.
Un simple coup d’œil sur les plateformes d’e-commerce suffit à confirmer la tendance : tous les commerçants affichent des ventes mensuelles de plus de 10 000 unités. Même succès dans les bijouteries, qui sont contraintes d’adapter leur offre à cette nouvelle mode.
Sur Xiaohongshu, plateforme lifestyle plébiscitée par la génération Z, les influenceurs(es) sont nombreux à se mettre en scène avec leur collection, dispensant conseils financiers à une audience crédule. A les écouter, ces mini-pièces d’or seraient le meilleur investissement par les temps qui courent… Mais est-ce vraiment le cas ?
Outre le risque bien réel de se faire arnaquer (de nombreux acheteurs se sont retrouvés avec un mélange de fer, de zinc et de cuivre), les conseillers en patrimoine soulignent qu’investir dans ces haricots d’or n’est pas un investissement intéressant, tout simplement parce que leur prix est souvent de 10 à 30 % plus élevé que le cours de la matière première. Les jeunes Chinois seraient donc davantage avisés d’acheter de l’or « physique » voire de l’or « papier » via leur banque ou un courtier, s’ils veulent véritablement investir dans ce métal précieux.
En sus, investir dans l’or est un acte purement spéculatif, basé sur l’intime conviction que le prix de vente sera plus élevé que le prix d’achat. Ainsi, les jeunes Chinois sont persuadés qu’il leur sera impossible de perdre de l’argent puisque les cours de l’or n’ont fait qu’augmenter jusqu’à présent.
Ce faisant, ils suivent la même logique spéculative qui a poussé leurs parents à investir massivement dans l’immobilier, sans même se donner la peine de louer leur appartement, convaincus de faire une jolie culbute à la revente. Cela a longtemps été vrai, jusqu’à ce que les prix se mettent à baisser, comme aujourd’hui… Pourtant, Xi Jinping n’a cessé de le marteler : « un logement est fait pour vivre, pas pour spéculer ». Et l’or, alors ? Jusqu’à présent, les autorités, qui se sont déjà montrées plutôt hostiles de par le passé envers le bitcoin notamment, ont simplement mis en garde les investisseurs contre toute prise de risque excessive.
Mais comme dirait le proverbe : « faites ce que je dis, pas ce que je fais » ! En effet, la Banque centrale chinoise, elle aussi, s’est ruée vers l’or ces 18 derniers mois, mais pas pour les mêmes raisons : lorsqu’elle achète de l’or avec des devises étrangères, elle cherche en fait à réduire sa dépendance à l’égard du dollar américain dans un contexte de tensions avec les Etats-Unis. Ainsi, en 2023, la Banque Centrale chinoise a acheté plus d’or que n’importe quelle autre banque centrale au monde, ajoutant ainsi à ses réserves plus d’or qu’elle n’en avait depuis près de 50 ans !
Sous cette perspective, comment décourager les Chinois de faire de même, eux qui ont vécu les « golden years » de l’économie chinoise et ont toujours été habitués à tirer d’importants profits de leurs investissements ? Les « haricots » d’or ont encore de beaux jours devant eux…
Sommaire N° 18 (2024)