Petit Peuple : Zhengzhou (Henan) – La révolution de Su Min (2ème Partie)

Zhengzhou (Henan) – La révolution de Su Min (2ème Partie)

Su Min, maltraitée par son mari, rêve d’évasion – jusqu’au jour où…

A force de persévérance et de sérieux dans ses petits jobs, Su Min, 56 ans, s’était fait une réputation de dure à la tâche, et avait fini par obtenir un emploi meilleur, dans un supermarché. Avec son salaire en 2018, elle s’était acheté une VW Polo rouge d’occasion, que son mari lui empruntait souvent, mais qui immédiatement était devenue la source de sa liberté nouvelle. En décembre 2019, elle apprit l’histoire d’une quinquagénaire qui avait trouvé le courage de dire « non » à toutes ses obligations familiales, avait tout plaqué pour voyager seule, et s’en disait heureuse. Sur-le-champ, Su Min exaltée décida de tenter la même aventure. Toute à son nouveau défi, elle se mit à consulter Taobao pour y sélectionner les articles indispensables à son projet : une tente à fixer sur le toit de la voiture, un sac de couchage, un frigo miniature, un set de casseroles, une petite bassine et un réchaud à gaz, des sous-vêtements chauds, une polaire…

Elle venait de dresser une liste longue comme le jour sur son « panier » virtuel quand sonna Huahua, sa fille qui comme chaque jour, venait déposer ses jumeaux de 5 ans avant de partir au travail. Incapable de cacher son enthousiasme, Su Min lui raconta tout. Mais sa fille la prit de court en éclatant de rire, persuadée que sa mère plaisantait. Puis quand elle comprit qu’elle était sérieuse, elle se rebella : « tu ne peux pas me faire ça ». La pandémie de COVID qui venait d’éclater avait forcé la garderie à fermer. Si sa mère ne gardait pas ses mômes, elle perdrait sa place.  Su Min dut donc accepter de retarder son départ jusqu’à réouverture du jardin d’enfants. « Mais pas plus tard que la fin de l’année !», protesta-t-elle avec ton de défi dans la voix, « j’ai déjà donné ». Et comme pour prouver à sa fille le caractère irrévocable de sa décision, elle pressa le bouton de Taobao, rendant effective sa commande en milliers de yuans. Il n’y avait plus de retour en arrière possible.

Quand Weimin, le mari, apprit le projet le soir, en rentrant de sa partie de pêche, il ne fit que ricaner : « C’est vraiment de l’argent gâché… de toute manière, ça te passera, comme tout ce que tu entreprends : au bout de quelques jours, tu en auras marre, tu reviendras ». Su Min bouillait d’indignation, mais sut se contenir : mieux valait épargner ses forces.

Durant ces mois, seule avec ses petits-enfants, elle se prépara. Vu la maigreur de son budget, puisqu’elle voulait partir longtemps, il s’agissait de mener une vie spartiate, la plus autonome possible. Aussi sur internet, elle lut les guides du voyage en solitaire, et tous les tutoriaux de trucs utiles, comment monter sa tente sur le toit puis remonter l’échelle, comment recharger son jerrycan d’eau aux stations-service, et prendre ses douches à moins de 10 yuans en réservant sur la toile.

Weimin pendant ce temps, faisait tout pour la décourager, pensant à ses chemises qu’il devrait désormais laver et repasser seul, à ses repas qu’il lui faudrait faire cuire seul, et à la perte de son souffre-douleur. Un jour, il tenta de lui confisquer la carte ETC de paiement des péages : si la voiture était à elle, la carte était reliée à son compte à lui, puisqu’elle-même n’en avait pas. Pour qu’il la rende, il fallut rien moins que l’intervention du gendre, mais il la menaça : si elle ne remboursait pas chaque péage le jour même, il ferait opposition!

Vint enfin l’automne 2020, la réouverture de la maternelle : Su Min pouvait partir ! Tandis que plein de rancœur, Weimin surveillait son départ à travers les rideaux du salon, elle s’élança en exultant, direction Sanmenxia (Henan), la ville du barrage sur le Fleuve Jaune. Par l’autoroute, cela faisait 276 km, mais presque le double par la route G310 beaucoup plus lente, truffée de camions et de radars perfidement placés hors du champ de vision des conducteurs. Il lui fallut 8 heures pour arriver à l’aire de parking où elle comptait dormir. Et tandis qu’elle se bagarrait dans le noir avec son fixe-au-toit pour y monter sa tente, elle reçut un SMS de la police : 500 yuans d’amende, et moins 3 points au permis, pour « excès de vitesse ». Mais qu’importe la fatigue et les tracas, plus rien ni personne ne lui ôterait sa joie !

Les gens qu’elle prenait en stop, les paysages qu’elle s’arrêtait pour admirer, les temples où elle faisait halte, tout cela était pour elle autant de petits bonheurs, de « chances rencontrées à gauche et à droite » (左右逢源, zuǒ yòu féng yuán). Au bout de deux mois, elle posta son journal de bord, qui connut une popularité immédiate, la faisant suivre par des dizaines, bientôt par des centaines de milliers de supporters. En février 2021, une journaliste a partagé avec elle quelques étapes, pour faire un reportage intimiste et féministe à sensations. Su Min découvrait que son voyage tenait aussi de l’étape initiatique, d’une psy : elle s’épanchait sur les épreuves passées, les méchancetés et humiliations passées, et une fois celles-ci exprimées, elles cessaient d’avoir prise.

En route pour le Tibet et son Qamdo natal, Su Min roulait sans peur sur des routes très étroites, frôlant abîmes et ravins. Son retour à Zhengzhou était prévu pour mai. Le supermarché lui promettait de la réembaucher, le temps de se remettre en fonds. Mais sur internet, elle était devenue l’héroïne de millions de femmes coincées au foyer, qui rêvaient à leur tour, de suivre son exemple !

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