Non, la « grande famille » chinoise n’a pas cessé de s’agrandir. C’est un démenti laconique que le Bureau National des Statistiques (BNS) a opposé aux rumeurs voulant que la population chinoise ait commencé à décroître. Selon les résultats du grand recensement décennal publiés le 11 mai, « la population chinoise a atteint les 1,412 milliard en 2020, après avoir augmenté en moyenne de 0,53% les dix dernières années ». Une nouvelle dont les médias officiels se sont réjouis : « la Chine est toujours le pays le plus peuplé au monde ». L’année où le Parti fête son centenaire, il ne pouvait en être autrement, toute statistique déclinante revenant à contredire l’image d’une Chine en pleine ascension telle que projetée par le leadership.
Cependant, il a fallu un mois supplémentaire aux statisticiens de l’État pour rendre leurs conclusions : officiellement, il y avait davantage de données à traiter par rapport aux éditions précédentes. Les sceptiques avancent plutôt que ce délai aurait été nécessaire pour enjoliver des chiffres déprimés et se mettre d’accord sur les interprétations à donner aux résultats… Les internautes eux aussi, ont fait la moue : « si ces résultats sont si satisfaisants, arrêtez de nous mettre la pression pour nous marier et avoir des enfants », écrivait l’un d’eux.
En effet, dans cette masse d’informations – qui nous apprend que 845 697 étrangers vivent dans le pays (0,06% de la population), dont 62 812 à Pékin (-41% en 10 ans) et 163 964 à Shanghai (-24%) – c’est la proportion des jeunes, en augmentation d’1,35% par rapport à 2010, qui fait le plus débat : le recensement en dénombre 253 millions, contredisant les données officielles publiées chaque année entre 2006 et 2020 qui totalisent 239 millions de naissances. Pour Yi Fuxian, démographe à l’Université de Wisconsin-Madison, cet écart reflète la volonté du pouvoir de prouver que l’assouplissement du planning familial à deux enfants en 2016, a porté ses fruits.
De manière générale, le chercheur estime que la population totale chinoise serait largement surévaluée (jusqu’à 120 millions de trop), principalement parce que le système fiscal se base sur le nombre d’habitants pour déterminer ses budgets en matière d’éducation, de santé, mais aussi de sécurité publique. Ainsi, les gouvernements locaux ont tout intérêt à gonfler leurs chiffres pour se voir attribuer davantage de fonds de la part de l’État. « C’est presque un fait que la Chine a surestimé sa natalité », a reconnu la Banque Centrale, « les défis démographiques pourraient être plus importants que prévus ».
De fait, plusieurs statistiques sont frappantes, telles que le ratio des sexes à la naissance de 111,3 garçons contre 100 filles (35 millions de femmes manqueraient à l’appel), la chute de 18% du nombre des naissances l’année dernière (de 14,65 millions en 2019 à 12 millions en 2020) particulièrement marquée dans le Nord-Est (Dongbei), mais surtout un taux de fertilité de 1,3 enfant par femme, proche de celui du Japon (1,369). À ce rythme, la population chinoise pourrait commencer à se contracter dès 2022 selon l’expert indépendant He Yafu, ce qui serait une première depuis la famine du Grand Bond en avant sous Mao (1960-1961).
Même si la Chine n’est pas le premier pays d’Asie à faire face à un tel challenge, la situation est particulièrement préoccupante pour la seconde économie mondiale. Liang Jianzhang, professeur à l’école de commerce de l’Université de Beida (Pékin) et fondateur de l’agence de voyages en ligne Ctrip.com, explique cette natalité en berne par un ratio salaire-prix du logement parmi les plus élevés au monde (à Shenzhen, 40 ans sont nécessaires à une famille pour accéder à la propriété) ; des coûts éducatifs exorbitants (élever un enfant jusqu’à ses 18 ans coûterait en moyenne 1 million de yuans dans les grandes villes) ; une pression scolaire particulièrement forte (qui rend les cours du soir et les activités périscolaires indispensables) ; et une société peu propice à la maternité (pénurie de crèches, impact négatif sur la carrière de la mère…). C’est pourquoi le démographe suggère d’offrir aux parents 1 million de yuans en allocations et exemptions fiscales pour chaque nouveau-né : « une somme qui serait largement rentabilisée par les contributions futures du jeune à la société », explique James Liang. Une proposition qui a suscité la controverse parmi les internautes : si certains pensent qu’il faudrait mettre en place de telles aides « immédiatement », d’autres estiment que cette somme d’argent n’est pas suffisante. « Même 2 millions ne suffiraient pas à me faire changer d’avis, témoigne une internaute, j’ai décidé de rester seule et sans enfant ».
Ce débat sur la toile en reflète bien d’autres qui ont lieu depuis des années au sommet de l’État sur des questions brûlantes comme l’abolition du planning familial (qui serait approuvée lors du Plenum en octobre prochain d’après He Yafu), la mise en place (ou non) d’une politique nataliste, la suppression du système de « hukou » (le permis de résidence) ou encore la réforme de l’âge du départ à la retraite. Des mesures souvent impopulaires, mais urgentes à en croire les experts. Si Pékin prend rapidement le taureau par les cornes, la Chine pourrait atténuer les effets du vieillissement de sa société sur sa croissance économique et son innovation. Mais l’appareil, obsédé par la stabilité sociale, semble paralysé devant l’ampleur de la tâche, ce qui aggrave la situation d’année en année…
1 Commentaire
Madame Li
17 mai 2021 à 16:31Vos articles sont précieux à mes yeux , les analyses pertinentes sérieuses et documentées, une liberté d’expression étonnante. Vous avez toute ma confiance … Et j’attends toujours avec impatience de lire votre revue !!!
Un grand merci !