Au 1er mai à Pékin, fête des travailleurs, « une atmosphère obscure enveloppe la ville » (Charles Baudelaire), loin de la gaieté écarlate de la tradition ouvrière. Le Président Xi Jinping ne manquait d’ailleurs pas de répéter que « le bonheur ne peut être atteint que par le dur labeur ».
C’était l’occasion pour la presse étrangère de se pencher sur son époque, et d’en tirer un constat guère plus rassurant. Des revues de haut niveau telles le Nanfang Zhoumou, très respectées cinq ans en arrière et références de la classe intellectuelle, ont disparu, ou ne sont plus que l’ombre d’elles mêmes, faute d’avoir conservé leur journalisme d’investigation. « L’oppression d’Etat, constate le New York Times, a décimé la société civile et annihilé les années de progrès social, faisant peser un nuage noir sur l’âme publique ».
Une période où le contrôle est roi, sans cesse réaffirmé par le Président Xi. Comme lors du 4ème anniversaire de la Commission de Sécurité Nationale le 17 avril, où le chef de l’Etat exprima sa satisfaction vis-à-vis de ce mystérieux organe créé par lui-même en novembre 2013. Dans son discours d’ouverture, Xi félicita l’organe pour avoir « repris la main » sur la campagne sécuritaire en cours, à l’évidence la plus haute priorité de l’Etat, et d’avoir « résolu en quatre ans de nombreux problèmes en souffrance ».
À son actif figurent la loi de lutte antiterroriste, et la loi de sécurité nationale de 2015 et l’intégration des contrôles financiers, la surveillance accrue sur Hong Kong et Macao, et le contrôle accru sur l’activité idéologique. On peut également lui imputer la relance des campagnes d’incitation à dénonciation – la dernière, contre les étrangers, est en cours de déploiement.
Autre succès de la Commission de Sécurité nationale, la loi des ONG s’applique depuis janvier 2017. Seize mois plus tard, un premier bilan devient possible sur la reconnaissance statutaire des ONG internationales. Environ 350 ONG de ce type ont été enregistrées, telles Oxfam (caritative), WWF (environnement) Handicap International ou Save the Children (soutien social), Bill & Melinda Gates ou Ford (fondations). Une fois légalisées, ces ONG doivent soumettre périodiquement à la police pour approbation, leurs « agendas », ce qui permet à l’autorité de faire pression à l’avance afin de faire concorder plus précisément leurs activités avec les plans de l’Etat.
Au moins quatre ONG établies de longue date, ont vu rejeter leur enregistrement, même temporaire : celles qui assistaient la formation des avocats, la protection de la femme ou sensibilisaient aux droits des homosexuels LGBT. Une fois privées de statut légal, des bureaux ne sont pas expulsés—mais vivent dans la précarité, sous la suggestion implicite de quitter « volontairement » le pays. Lors d’un débat le 3 mai (Journée mondiale de la presse) sous l’égide des ambassades de l’Union Européenne et de France, trois ONG chinoises l’affirmaient : « peu importe qu’on obtienne ou non l’agrément—le tout est de ne pas baisser les bras. Les moyens de survivre, on les trouve toujours, en ce pays ».
Puis le 21 avril, Xi Jinping confirma l’autre priorité du moment, le contrôle de l’internet : « sans la sécurité de la toile, il ne peut y avoir de sécurité nationale, ni de stabilité économique et sociale. Assurer les intérêts des masses au sens large, devient également problématique ». La remarque arrive après une conférence sur la cybersécurité et une campagne pour renforcer la discipline parmi producteurs et distributeurs de contenus.
Deux jours après, lors d’une réunion d’étude du Politburo, un Xi Jinping très inspiré donnait l’ordre aux 87 millions de membres du Parti de (re-)lire le Manifeste Communiste, texte de 1848 par Karl Marx et Friedrich Engels, fondateur de la dictature du prolétariat. Exaltant le PCC comme « fidèle successeur de l’esprit » du pamphlet, Xi conseilla aux « grandes masses des membres du Parti, des cadres, surtout des cadres supérieurs, de l’étudier bien et de l’appliquer bien »… afin de « développer la capacité à recourir aux principes marxistes pour résoudre les problèmes de la Chine d’aujourd’hui ».
D’aucuns pourraient pourtant objecter que cette Chine de 2018, avec ses centaines de milliardaires en $, ses startups et ses venture-capitalistes, n’a plus grand-chose à voir avec une société communiste telle que décrite par le Manifeste ou le Capital. Chen Xi lui-même, chef du Département de l’Organisation, déplorait en 2017 que tant de cadres, ayant « perdu foi en Marx et Lénine, croient en des Dieux et des Esprits ». Il faut espérer que cette lecture proposée du Manifeste, permette au mouvement de masse de retrouver la bonne ferveur et la croyance juste.
Certes, en même temps, une tentaculaire campagne de lutte contre la corruption s’est déployée, gagnant quelques batailles contre la concussion. Mais elle a aussi emporté la liberté, réelle à l’époque, d’enquêter sur les affaires en cours, de présenter des reportages fidèles aux faits –moyennant quelques accommodements avec les règles, la rhétorique, l’esthétique officielle.
Mais le prix à payer pour cette remise au pas, est lourd. Il est de ce que l’analyste londonien Kerry Brown appelle « une uniformité contrôlante et contrôlée », l’inacceptabilité de se démarquer d’une ligne médiane, le dessèchement de l’inspiration créatrice, de l’esprit critique.
Mais quelle finalité à cette tendance tous azimuts au resserrement des contrôles ? Entre autres influences, K. Brown croit y reconnaitre le rappel de millénaires de turbulence, de renversement de dynasties, d’implosion, une tradition de prudence administrative par temps de turbulence sociale. Il y voit un ordre moins destiné à promouvoir une vision audacieuse d’un avenir différent et meilleur, qu’à éviter le déclanchement d’événements négatifs. La peur n’est pas loin, selon ce penseur. La question de fond, ajoute-t-il, est celle de l’adéquation d’un programme conservateur, aux besoins de ce monde, et celle de sa capacité à unifier les esprits…
1 Commentaire
anneribstein
6 mai 2018 à 16:09Cet article permet, par l’information précise de remettre en cause des idées reçues sur la nature de l’ordre régnant en Chine aujourd’hui. De la promotion du Manifeste de Marx et Engels à l’hypothèse d’une recherche d’un contrôle régulateur de potentiels désordres, la pensée est synthétique. Et la réflexion se prolonge après la lecture.
merci