Qu’il était douloureux, ce divorce… Pour Wang Lanhua, c’était la vie qui s’écroulait ! Après 25 ans de vie partagée, elle devait briser son couple. Elle n’avait pas le choix, son mari l’ayant si grossièrement trompée, lui faisant gober 1000 bobards au vu et au su de tout Harbin (Heilongjiang). Pour sauver la face devant son cercle d’amis, elle devait se séparer du traître. Mais en même temps, c’était l’homme de ses jours (plus que de ses nuits!) qui s’éloignait, ce triste jour de mars 2009. Elle devait lui rembourser la moitié de l’appartement, lui laisser la voiture… Surtout, à 49 ans, en un pays discriminant les femmes divorcées, elle devait faire une croix sur toute velléité de remariage !
Mais en femme combattive qu’elle était, elle était résolue à se battre. 20 ans de boulot au sein d’une florissante boite d’informatique lui avaient fait mettre assez d’argent de côté pour pouvoir s’acheter un mignon, à coups de cadeaux chers et d’« enveloppes rouges ». Avec l’argent, dit-on, on attelle même le diable à son moulin (有钱能使鬼推磨, yǒuqián néngshǐguǐtuīmò ).
Dès mai 2009 donc, Lanhua s’inscrivit sur Fetion, le site de rencontre très en vogue à l’époque chez les célibataires de tous âges. Elle se présenta comme femme « séduisante et romantique, cherche sorties et + si affinité, pas sérieux s’abstenir ».
Miracle, dès le lendemain, un certain Zhang Junbo lui disait son « désir ardent de correspondre ». À en croire la photo, c’était un jeune homme de 32 ans, fringuant, nez aquilin très rare en Chine (sans doute du sang russe, pensa-t-elle), cheveux châtains légèrement bouclés. En somme, une gueule d’amour, qui lui donna vite son numéro de portable. Lanhua ne croyait pas sa chance, de tomber sur ce beau mec de 17 ans plus jeune. Elle serait donc « cougar », de ces femmes mûres qui prennent les jeunots à l’hameçon – la vie était belle !
Le premier appel fut long et langoureux. Il lui demanda de se raconter, ses emplois, ses goûts et ses attentes. Puis il décrivit son enfance, lui expliqua sa vie à Mudanjiang (Heilongjiang) à 360km, tout en restant sibyllin sur sa vie présente… À mesure des minutes qui passaient, les cœurs avançaient, brûlant les étapes : quand son portable se tut par mort de la batterie, il lui avait déjà juré qu’elle était celle qu’il attendait depuis toujours. Subjuguée, elle était redevenue une jeune fille en fleur (bleue).
Elle attendit. Il ne rappela que 48 interminables heures plus tard. Mais là, cruelle surprise : il était incapable de la rappeler à toute heure, se trouvant retenu derrière les barreaux d’une prison, taulard ! Son téléphone portable, il le devait à un gardien compatissant, convaincu de son innocence. En 2002, il avait cruellement écopé de 11 ans pour « coups et blessures involontaires » – un jugement inique, alors qu’il n’avait fait qu’éborgner un voleur dans son dortoir, qu’il venait de surprendre à piller les économies des travailleurs. Il sortirait dans quatre ans, et si elle voulait encore de lui, il l’épouserait. De façon chevaleresque, il raccrocha, pour lui laisser le temps de réfléchir.
La réflexion de Lanhua fut brève – son choix était fait dès la première minute. Après tout, il n’y avait pas crime de sang, et puis, il avait tout avoué, c’était honorable. Le lendemain donc, elle le rappela pour lui communiquer sa flamme. En retour, il lui présenta la merveilleuse nouvelle : le chef du pénitencier, intime du juge, avait besoin d’argent pour des travaux urgents dans la prison. Junbo pouvait alors bénéficier d’une libération immédiate, 4 ans avant la date légale, moyennant la modique somme de 200.000 ¥. Pouvait-elle les payer ? Lui-même étant sans le sou. Si elle disait « oui », il sortait lundi et ils se mariaient à la fin du mois !
Le sang de Lanhua ne fit qu’un tour : quatre ans gagnés, pour 200.000 ¥, ça lui faisait un homme à 50.000 ¥ par an – une vraie affaire ! Immédiatement, elle manda la somme sur le compte prescrit, celui d’un certain Ji à la Banque de l’Agriculture.
Mais à peine le montant parti, s’élevèrent les contretemps… Il faudrait d’abord payer l’avocat qui attendait son dû. Ce qu’elle fit. Le droit de timbre. Ce qu’elle fit. Le juge. Ce qu’elle fit. Et ainsi de suite… Les comptes changeaient chaque fois. Plus elle payait, plus Junbo se faisait doux et tendre—elle voyait gonfler son capital de gratitude et de sourires. Parfois bien sûr, le doute l’effleurait… Mais toujours, il savait la rassurer : les noces étaient au bout du tunnel, leur histoire, c’était du solide, et ses bras chauds l’attendaient.
Lanhua ne demandait qu’à le croire, rendue crédule par son inextinguible soif de tendresse, et aussi par son sens de la dignité qui lui interdisait d’envisager une vulgaire arnaque. Après tout, le scénario tenait debout. Impossible que tant de détails probants ne puissent être que du vent. Ainsi, elle fantasmait la moitié de chaque nuit, tantôt morte de peur, tantôt aux anges, un immense sourire crispé jusqu’aux oreilles !
Entre mai 2009 et janvier 2010, elle câbla 71 mandats à 19 comptes bancaires, d’une moyenne de 48.000 ¥, d’une fréquence moyenne d’une fois tous les huit jours. Sans jamais voir fut-ce l’ombre de l’amant putatif. Au total, elle versa 3,4 millions, s’endettant lourdement. Au dernier versement (120.000 ¥, pour « frais de transfert de dossier »), la panique finit par la gagner : « mais comment un détenu peut-il avoir droit au téléphone portable tous les jours ? ». Un doute affreux l’envahit : peut-être n’était-il pas prisonnier du tout ? Refusant d’entendre davantage ses explications fumeuses, elle sauta le 15 janvier dans le premier train pour Mudangjiang, puis prit le taxi pour la prison. Au parloir, elle le vit pour la première fois, et fut soulagée de voir qu’il ne lui avait pas menti sur son état : son cher Junbo était bien incarcéré. Mais, lui avoua-t-il enfin, il n’était en fait pas du tout libérable en 2013, mais seulement en 2016 ; et pas du tout été condamné pour coups et blessures en 2002, mais pour kidnapping en 2003…
Et encore, le pot aux roses attend encore d’être dévoilé… Attendez seulement la semaine prochaine .
1 Commentaire
severy
5 mai 2018 à 18:46Pas possible! On croirait lire une histoire malaisienne… ou nigériane (les Nigérians étant des orfèvres dans ce genre d’arnaque).