Défense : La mer est chaude

Après quelques mois d’accalmie, les nouvelles recommencent à fuser en mer de Chine du Sud, à commencer par les Philippines, où le Président R. Duterte, dans ce style fantasque qui lui est propre, multiplie les gestes contradictoires et inquiétants.

À peine au pouvoir en mai 2016, le nouveau Président Philippin renversait un équilibre vieux de décennies, dénonçant l’alliance des Etats-Unis pour embrasser celle chinoise. En juillet 2016 tombait le verdict du tribunal international de La Haye, sur la plainte de son prédécesseur B. Aquino contre l’occupation chinoise d’atolls au large de ses côtes. Alors, Duterte mettait le verdict au placard, obtenant en échange plusieurs chantiers d’infrastructures chinois pour 20 milliards de $. Or voilà que le 27 avril à Singapour, Duterte rassurait le 1er ministre vietnamien Nguyen Xhan Phuc que loin d’avoir abandonné cette victoire juridique majeure, il se réservait de ressortir le jugement « au moment opportun », et d’exiger un règlement intégral du litige, dans le cadre de la Convention de l’ONU du droit de la mer. Si c’était le cas, trois années passées sans défendre les droits maritimes de son pays, prendraient alors fin.

Mais est-ce bien le cas ? Il se trouve que le 26 avril à Davao, ville sudiste dont il est l’ancien maire, Duterte annonçait avoir proposé à « son ami le Président Xi » un partage à « 60-40 » des ressources futures en hydrocarbures au large des Philippines, dans ces eaux en cours d’appropriation par la Chine depuis 2012. Le leader philippin abandonne donc à l’avance 40% du gaz et du pétrole, dont son pays pauvre a désespérément besoin. Il justifie ce cadeau par l’impossibilité pour sa marine nationale d’affronter une flotte de l’APL supérieure en nombre d’unités et en canons. Patriote, Duterte veut « épargner un massacre à ses marins philippins ».

La Chine de son côté, n’a pas attendu ce signal pour commencer les recherches—dans ses propres eaux. À l’Ouest du delta de la rivière des Perles, du 27 au 29 avril, deux sous-marins drones de dernière génération ont été envoyés dans la fosse dite « de l’hippocampe au courant froid ». Equipés de détecteurs et foreuses, de sonars et scanners, ils prélevèrent des échantillons d’hydrates de méthane, autrement appelés « glaces inflammables ». Une ressource en suspension dans les fonds marins, découverte en 2015 à l’occasion d’une plongée précédente. Dans le même temps le submersible Shenhai Yongshi (cf photo), habité celui-là, dressait la carte du relief de la zone. Cette exploration prélude à une possible exploitation future de cette nouvelle énergie. Surtout, elle annonce la mise au point à étapes forcées d’un parc d’instruments et d’un savoir-faire scientifiques dont les pays voisins ne disposent pas. Ainsi, la Chine s’assurerait la maîtrise des hydrocarbures de ces étendues maritimes.

Dans cette perspective, il n’est pas étonnant de voir la Chine faire passer la carte des eaux qu’elle revendique en mer de Chine du Sud, d’un tracé discontinu (de neuf « pointillés ») à une ligne continue, empochant ainsi 80% des eaux et l’essentiel des « zones d’exploitation exclusives » que la Convention du droit de la mer reconnaissait aux 5 autres pays riverains. Elle affirme comme chinois notamment, l’archipel des Paracels, celui des Spratley et divers atolls tels le James Shoal et le Scarborough Shoal. Encore inofficielle, la nouvelle carte est l’œuvre de l’Institut géodésique et géomatique de l’Université de Wuhan. Ses auteurs invoquent une « preuve historique » d’une carte présentant la même frontière maritime dès 1951. L’objectif, d’après les chercheurs de Wuhan, serait en partie l’étude « de la science naturelle », le désir d’« étayer les revendications chinoises », et un « possible changement à venir de politique nationale sur ces zones contestées ».

Parallèlement à cette approche académique, la chaine américaine CNBC, citant des sources militaires, constate une initiative purement militaire. Au cours des 30 derniers jours, des rampes de missiles terre-mer et terre-air de longue portée auraient été installées sous des hangars en dur, sur trois des sept îlots occupés par la Chine—Fiery Cross, Subi et Mischief Reef. Sous réserve de vérification, il s’agit là d’un pas de plus dans la militarisation de ces îles, et une première dans l’histoire de la région. Un tel déploiement, s’il a eu lieu, interviendrait quelques semaines après la visite dans ces eaux de deux porte-avions américains, suivi autour de Hainan du plus grand déploiement naval militaire chinois dans l’histoire du régime.

Par le passé, la Chine déclarait qu’elle n’armerait pas ces îles, mais qu’elle avait le droit de les défendre, en tant que partie intégrante de son territoire souverain. Les Etats-Unis avertissent, sans détails, que cet armement des îles ne restera pas sans conséquences.

Cette énergie déployée en mer par la Chine crée bien sûr des remous à travers la grande région : Inde, Japon, Corée du Sud, Taiwan, Australie et Etats-Unis accélèrent leurs efforts de modernisation de leurs marines et de leurs systèmes de défense anti-missile.

Fait rarissime, Emmanuel Macron en visite en Australie le 2 mai, déclare que France, Australie et Inde ont une « responsabilité particulière à protéger la région Asie-Pacifique de toute hégémonie », sans précision. Ceci semble une réaction à la pénétration chinoise dans l’océan Pacifique—à la rumeur récente d’un projet d’installation de base spatiale chinoise au Vanuatu, à 500 km de la Nouvelle Calédonie… Vanuatu, fait partie d’une constellation de micro-Etats insulaires auxquels la Chine, selon l’Institut australien Lowly, aurait prêté ou donné 1,78 milliard de $ de 2006 à 2016, créant ainsi une relation d’amicale allégeance. La rumeur d’installation d’une base chinoise sur Vanuatu a bientôt été démentie—mais la nervosité demeure.

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