Depuis le tournant du siècle, la Chine a commencé à investir lourdement et à réformer le cadre réglementaire pour se doter d’un système de santé aux normes internationales et accessible au plus grand nombre.
La démarche est difficile : le pays paie 50 ans de laisser-aller environnemental et nutritionnel, aggravés par deux décennies sous Deng Xiaoping où l’Etat forçait les hôpitaux à se débrouiller seuls, dans une démarche de « rentabilité ».
Mais les choses changent depuis le Président Hu Jintao. En 2009, grâce à Chen Zhu son ministre de la Santé, l’Etat affectait 125 milliards de $ pour réformer la santé.
Le fer de lance de la réforme, passe inévitablement par la réduction des coûts des médicaments tout en améliorant leur qualité.
En 2015, le marché pharmaceutique chinois s’élevait à 108 milliards de $, montant qui passera à 167 milliards de $ en 2020. La Chine est déjà le second marché mondial, et passera en 2020 au 1er rang, devant les Etats-Unis. Actuellement, les laboratoires produisent 107.000 types de médicaments dont 95% de génériques – hélas souvent de qualité incertaine.
Menée par la CFDA (China Food & Drugs Admin.) et la Commission de la Santé et du Planning, la réforme s’opérera sur les trois tableaux : les hôpitaux, les laboratoires et la distribution.
La distribution se caractérise par une situation ubuesque, reflet de l’organisation sociale du moment. Avec 3 millions de démarcheurs, représentants et vendeurs, 13.500 distributeurs font le lien entre les 28.500 hôpitaux, et les milliers d’usines. Ce système inefficace et très cher, est basé sur la corruption. Sous-payés, les médecins n’ont de choix que d’étoffer leurs bas salaires par des bakchichs. Les mairies défendent ce réseau afin de protéger leurs emplois et laboratoires locaux. Et les hôpitaux eux, en ont besoin afin de pouvoir surtaxer les remèdes et ainsi suppléer aux prix bas de leurs prestations. L’Etat veut donc éclaircir en profondeur cette forêt d’intermédiaires. Testée entre 11 provinces, la réforme consiste à limiter à 2 le nombre de factures autorisées entre hôpital et distributeur. Ainsi le ministère compte écarter plus de 10.000 distributeurs (80%) sous 3 ans. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Même les laboratoires étrangers, avec leurs 20.000 vendeurs, arrosent les hôpitaux pour s’assurer leur part des prescriptions. En 2014, GSK écopait de 385.000$ d’amende pour ce fait. Les 1ères victimes de ces pratiques sont évidemment les patients, dont les prescriptions sont redondantes, superflues, et toujours surfacturées.
De ce fait, en 2015, dans l’addition de santé nationale, le poste radios+ analyses+médicaments pesait 66%, le double des opérations, consultations et diagnostics (34%). Mais cette inflation des coûts imposait un coup d’arrêt à l’achat de médicaments, dont la courbe faiblissait à la longue, passant de +20% en 2013 à +5% en 2015.
Pour faire face, l’administration multiplie les initiatives, à commencer par les laboratoires étrangers. Dès 2015, ils perdaient leur liberté de facturation et se trouvaient contraints à négocier. GSK et Astra Zeneca (AZ) du Royaume-Uni coupaient leurs prix jusqu’à 54%. Ce faisant, ils assuraient l’avenir. En produisant sur place, ils épargnaient au moins 20% des coûts par rapport à l’importation (les provinces les aidaient à s’installer en leur offrant terrain, énergie, fiscalité). Et surtout, ils entraient par la grande porte dans la liste des médicaments publics, composée paritairement de remèdes locaux (1238) et étrangers (1297). Créée en 2009 avec 300 titres, la liste vient d’être élargie de 15%, passant à 2535 articles. GSK fait rentrer son Viread (Hépatite B) ; AZ et Eli Lilly (USA) placent 4 molécules contre cancer et diabète ; Pfizer fait entrer son Caduet contre la tension artérielle. En « récompense » de leur remise, ces nouveaux entrants se voient assurer une hausse statistique de leurs ventes de 50% dans les années à venir. D’autres labos étrangers vont importer leurs produits phares : Sanofi (France) placera d’ici 2025, cinq de ses traitements anti-diabète, antiarthrite et antiasthmatique.
Convaincus de l’urgence d’être en position de force sur ce dernier marché au monde encore en croissance, une demi-douzaine de groupes (Bayer AG, Merck, Roche…) montent des usines à plus de 100 millions de $ pièce – le pays compte déjà 49 usines opérées par 38 multinationales, et 30 centres R&D. Le suisse Novartis est en tête, avec son centre de R&D en construction à un milliard de $, qui développera des versions spécialement adaptées à la société chinoise de ses remèdes anticancéreux et anti-hépatiques. Afin de réduire le temps de latence pour l’introduction de molécules étrangères, l’Etat prépare aussi une reconnaissance de certification européenne ou américaine, évitant 5 à 8 ans de tests redondants sur sol chinois.
Côté laboratoires locaux aussi, l’heure est au réveil, au décollage, pour les plus grands. Sous l’action de la CFDA et de la NDRC (le super ministère de l’économie), un plan national prétend obtenir d’ici 2020 la certification en Occident de 3 à 5 molécules purement chinoises et de 200 génériques – 50 sont déjà en phase de tests hors frontières. Une telle démarche vise à fournir en Occident une pharmacopée conventionnelle de qualité à prix cassés. Le pari est risqué, selon Chen Baiping, directeur général au Boston Consulting Group : tout dépendra du prix (qui doit rester rémunérateur) et du degré d’acceptation d’un médicament « made in China » par le patient européen.
En tout cas, en Chine, les expatriés semblent avoir déjà fait leur choix. Nombre d’entre eux quittent leurs groupes euro-américains, débauchés par des compagnies chinoises aux dents longues, telles Fosun (Shanghai), NBP (Shijiazhuang) ou Yibai (Guizhou) – confiants dans les perspectives de succès de ces nouveaux employeurs.
Sommaire N° 18 (2017)