En 2006, l’Etat chinois lançait son système d’assurances agricoles. S’inspirant de pays développés comme l’Amérique, la Chine subventionnait massivement le coût de la police d’assurance : entre le district, la province et le niveau central, 80% de la prime était, et reste à charge publique, contre 20% supporté par le bénéficiaire. Ces polices sont offertes par les assurances chinoises (PICC, Guoyuan, Ping An, China Pacific), mais aussi des étrangères, tel Groupama, en JV avec AVIC (groupe aéronautique), actif dans 6 provinces sur des denrées les plus diverses (céréales, yak).
La première année, la recette des assurances agricoles s’éleva à 500 millions de yuans. En 2016, ce montant s’est vu multiplié par 80, atteignant 35 milliards de yuans (plus de 5 milliards de $). Le taux de couverture est donc très élevé—supérieur, en fait, à celui de la France—et fait de la Chine numéro 2 mondial, avec 50% des emblavures de céréales, 70% de l’élevage porcin au Sichuan, et touchant tous types de produits—du Yak, au Sichuan, à la « pipa », genre de prune jaune.
Revers de la médaille : faute de moyens, le montant de la couverture reste très bas. En céréales par exemple, elle ne couvre que 300 yuans (au plus) par mou soit 4500 yuans à l’hectare, quand la récolte vaut 20.000 yuans à l’hectare. La prime ne compense donc que 25% du sinistre, couvrant les frais de semence et de plantation mais non le revenu. Par comparaison, en France, l’assurance agricole, imposant une franchise de 30%, garantit au bénéficiaire 70% de sa récolte perdue.
C’est pourquoi le 26 avril, le Conseil d’Etat passait à une nouvelle étape : 13 nouvelles zones pilotes sont créées dans les traditionnels « greniers à blé » du pays – Heilongjiang, Henan, Hebei, Anhui ou Hubei. L’objectif est de renforcer la couverture de l’assurance, surtout en y ajoutant, en sus des sinistres sur les récoltes et infrastructures, la charge des baux d’affermage des lopins – cause fréquente de faillites d’agriculteurs incapables de payer les propriétaires ou de rembourser les banques.
D’autres expériences se déroulent à travers le pays. Ainsi fin 2016, deux fonds-tests ont été lancés, à 350 millions de $ chacun, au Guangdong et au Heilongjiang. Dans cette dernière province, la police anti-crues, tempêtes, sécheresse et gel couvre 28 districts pauvres. Il s’agit d’un concept nouveau et expérimental dessiné et piloté par Swiss Re, groupe mondial de réassurance. Il change le management, par une gestion « paramétrique ». À peine la tornade ou la canicule engagée, l’équipe d’assureurs entame l’évaluation des dommages prévisionnels, sur la base des images satellites et d’indices de précipitations et de force de vent.
L’avantage est une économie en semaines passées en enquête de terrain : les paiements interviennent en accéléré, par « effet gâchette », renforçant la confiance des fermiers, leur faisant oublier l’échec d’un essai d’assurance raté dans les années ‘90. Permettant une meilleure collecte de primes, ce système ouvre aussi la perspective d’attirer le marché des capitaux, et affranchit les provinces du cauchemar d’obligation de paiement « substantiels et exceptionnels ».
Mais il y a un inconvénient : cette assurance de l’avenir est compliquée à mettre en place, en raison des facteurs locaux, tels la configuration des sols (du relief), du mode d’assolement. En pratique, cette philosophie d’assurance d’avenir, ne convient qu’à grande échelle, pour une police conclue par une maison telle Swiss Re et chaque district contractant, lequel, en cas de sinistre, se charge de compenser les fermes individuelles.
Au fait, sur ce marché stratégique des assurances rurales (celles du secteur qui doit nourrir le pays), quel est le rôle dévolu aux groupes étrangers, par une Chine traditionnellement hyper-frileuse sur tout dossier financier ? La réponse varie suivant le statut et le type de ces entreprises étrangères. Concernant les réassureurs, sauf exception justifiée par la qualité et créativité d’un projet spécifique comme l’assurance paramétrique, des maisons telles Swiss Re, Lloyd’s, ou Munich Re se voient restreindre l’activité. Depuis 2015, elles ont l’obligation de partager à 50% leur marché avec leurs homologues chinois, essentiellement China Re ou PICC.
Il en va tout autrement, concernant les assurances agricoles directes. Tenues à l’écart en 2001 lors de l’entrée de la Chine à l’OMC (ces maisons étrangères étaient considérées à l’époque comme une concurrence insupportable), elles sont désormais vues localement avec plus de placidité, vu leur présence très faible sur le marché général : 5% de l’assurance « vie » et 2% du « non-vie ». Aujourd’hui la Chine est en demande de plus de présence étrangère, en raison de leur expertise, créativité (comme dans la gestion des fraudes)… et de la facilité en ce secteur, à copier les innovations des autres !
Un but recherché par cette généralisation des assurances, est l’éradication de la pauvreté—Xi Jinping veut sortir 10 millions de personnes de la pauvreté par an. Un autre est d’enrayer l’exode rural.
Une ombre toutefois demeure, au niveau de son financement : une subvention de 80% de la prime d’assurance par l’Etat est-elle viable à long terme ? Sans doute que non. Mais l’intervention de l’Etat doit être considérée comme l’amorçage d’une pompe. Si le système réussit, on peut espérer à l’avenir que le paysan aura les moyens financiers et sera convaincu de l’utilité d’assumer seul le coût de son assurance. Enfin, comme conclut le professeur Zhou Li de l’Université Renmin, une telle entreprise, avec le changement de mentalité qu’elle implique, ne peut être que de long terme : « le chemin vers une protection complète, se compte en décennies ».
Sommaire N° 18 (2017)