Dans le procès intenté par les Philippines contre la Chine à La Haye, pour son incursion en mer de Chine du Sud au nom d’une carte dite « des 9 pointillés », le verdict de la Cour d’arbitrage est imminent, pour mai ou juin.
L’enjeu, pour la Chine, est la possession des 9/10èmes de cette mer éponyme, laissant aux voisins une bande côtière de 20 milles marins. La plupart des experts s’inquiètent, craignant l’éclatement d’une crise internationale.
Jusqu’à présent, à étapes forcées, la Chine équipait (en outils civils ET militaires) 5 îlots de l’archipel des Spratleys, renfloués l’an dernier. En face, les riverains renforcent leurs défenses, avec l’aide de pays tels USA, Japon ou Inde, tout en s’efforçant d’éviter d’irriter le géant voisin. Mais à mesure que se rapproche le verdict de La Haye, on sent l’escalade et la surenchère.
Côté Chine, on rassemble ses alliés « maritimes », 7 pays, au soutien à vrai dire « tiède » : ces Etats n’ont rien à gagner en l’affaire, mais doivent l’aider en raison d’une alliance plus large (Russie) ou d’une dépendance économique (Cambodge, Laos, Biélorussie et Gambie). La motivation du Brunei, très riche et qui la soutient aussi, est inconnue. Dernière ralliée à sa cause : la Malaisie, moins en conflit avec la Chine, se désolidarise de ses partenaires asiatiques, en acceptant de négocier en unilatérale selon le projet chinois de « déclaration commune » (DOC), qui a été soumis aux 10 pays de l’ASEAN. Son contenu stipule que les pays riverains devraient se présenter séparément devant elle pour négocier. La Cour de La Haye n’a pas de juridiction dans ces eaux « nationales » : son futur verdict n’a nulle raison d’être et Pékin ne l’acceptera « jamais », « quel qu’il soit ». Non sans un solide sens du paradoxe, Pékin affirme aussi, le 5 mai, « chérir » l’UNCLOS (Convention de l’ONU du droit de la mer) – sans doute sur toutes les mers sauf la sienne.
Elle rabroue Philippines, Royaume-Uni, Europe et Etats-Unis pour leurs positions « erronées », prive d’escale à Hong Kong le porte-avions USS John C. Stennis (28 avril), suite aux exercices qu’il a tenu dans la zone. Depuis, une autre unité de la US Navy a traversé les eaux d’un des atolls, causant une salve de protestations…
Elle lance une « milice de pêche » depuis Hainan, sur les Spratleys. De mai à août, elle finance une formation militaire de base aux pêcheurs, et offre des GPS à 50.000 chalutiers, pour leur permettre de repérer les bateaux étrangers. Elle subventionne la glace, l’eau douce, le carburant, qu’elle tient disponible à mi-parcours aux îles Paracels. Elle garantit l’achat de la pêche au retour. Toutes ces mesures ont pour but de renforcer la présence chinoise en mer de Chine du Sud.
Début mai, la Chine lance en exercices ses destroyers derniers-nés. Les 15 avril et 6 mai aux Spratleys, Fiery Cross (Yongshu, en chinois) est visitée par Fan Changlong, n°2 de l’APL, puis Song Zuying, chanteuse au grade de contre-amiral. Face à la garnison, en tenue blanche de la marine, elle interprète durant 2h30 des titres tels « l’ode aux défenseurs de la mer du Sud ».
Côté « asia-occidental », les actions sont plus discrètes mais non moins efficaces. Etats-Unis et Union Européenne avertissent Pékin de respecter le verdict du tribunal. Patrouilles et exercices se multiplient, des flottes australienne, indienne, nippone, indonésienne, voire française : la frégate Vendémiaire fait sa jonction en mer de Chine (cf photo, 30 avril) avec le John C. Stennis et sa flotte de soutien… Le Vendémiaire fait aussi des exercices avec des navires chinois, et fait escale à Qingdao (7-8 mai). Tout cela, dans un exercice grand-écart combinant défense de l’amitié franco-chinoise et celle de la liberté de navigation.
Parmi ces pays, l’Indonésie mérite une attention particulière. Jusqu’en avril, elle s’efforçait de rester neutre. Mais les incursions toujours plus intense de chalutiers dans ses eaux des Natuna, et de garde-côtes chinois à leur rescousse quand elle tente de les arraisonner, l’ont faite basculer. Le 6 mai, elle concluait avec Philippines et Malaisie un accord de patrouilles maritimes conjointes, sous prétexte de lutte contre les pirates. Mais les procédures convenues pour accélérer leur intervention, dépassent la simple répression de pirates en pirogues.
Dernier point : les juristes navals commencent à publier leurs analyses sur le verdict possible de La Haye. A en croire J. Ford, à Singapour, sur la question du droit « historique » invoqué par Pékin et sa compatibilité avec la Convention de l’UNCLOS, la Cour a des chances de conclure par la négative. Mais sur la question du statut de l’île de Itu Aba (Taiping en chinois), la terre émergée occupée par Taiwan, la Cour pourrait reconnaître un statut d’île. Alors, la Chine, dont Taiwan fait partie de jure, pourrait revendiquer une zone économique exclusive de 200 milles marins (360 km) autour d’Itu Aba.
Quelle réaction le verdict de La Haye provoquera chez les parties en litige ? Il est impossible de l’évaluer à ce jour, mais selon J. Ford, il a autant le potentiel de jouer un rôle de catalyseur que de déclencher un conflit, dont les conséquences négatives en cas d’hostilités seraient incalculables : sanctions et blocages de nombreuses coopérations (sur la Corée du Nord, ou la normalisation avec le Japon…). De plus, l’acceptation de la spoliation par les pays concernés semble impensable. Ce conflit pourrait ainsi durer pour des décennies, isolant la Chine et lui coûtant cher en terme d’image.
L’acceptation de la Malaisie de négocier selon le DOC, change la donne : sera-t-elle la seule à le faire ou va-t-elle entrainer d’autres pays dans son sillage ? Le fantasque nouveau Président des Philippines (cf édito) sera-t-il le prochain ? C’est en tout cas un signe fort que rien n’est joué, et que la Chine n’a pas dit son dernier mot !
Sommaire N° 18 (2016)