Editorial : Le virus de toutes les inconnues

C’est une découverte de taille que faisait Li Lanjuan (李兰娟), experte du Covid-19 de 73 ans, le 19 avril. Grâce à une méthode sophistiquée de « séquençage ultra-profond », elle obtenait la preuve que certaines mutations du coronavirus peuvent conduire à des souches beaucoup plus létales que d’autres. Après avoir analysé les séquences génétiques du Sars-CoV-2 retrouvées chez 11 patients choisis au hasard à Hangzhou, l’équipe du Dr Li observa comment ces différentes souches s’attaquent aux cellules humaines. Les chercheurs découvrirent alors que la souche la plus agressive peut générer 270 fois plus de charge virale que la plus faible. Ils constatèrent également un évènement rare : trois mutations consécutives chez un même patient de 60 ans ayant passé plus de 50 jours à l’hôpital à lutter contre le virus…
Il se trouve que les souches les plus courantes retrouvées dans le Zhejiang sont différentes de celles de Wuhan, mais majoritaires en Europe et à New York. Outre différents facteurs comme l’âge, des conditions préexistantes, le groupe sanguin (et la transparence des autorités), cela donnerait-il enfin un début d’explication aux différences de mortalité constatées d’une région à l’autre du globe ? Dans tous les cas, cette découverte devrait inciter les hôpitaux à adapter leur traitement, qui est actuellement le même quelle que soit la souche du virus. Surtout, « il faut absolument évaluer l’impact de ces mutations sur le développement de remèdes ou de vaccins », alertait le Dr Li. Le premier vaccin chinois serait d’ailleurs disponible dès septembre en cas d’urgence pour le personnel soignant et début 2021 pour le public, selon Gao Fu, directeur du CDC.

Autre mystère : à Wuhan, un nombre croissant de patients réputés « guéris » après deux tests d’acide nucléique à 24h d’intervalle, testaient à nouveau positifs au virus sans développer de symptôme parfois jusqu’à 70 jours plus tard ! Selon la Commission Nationale de Santé, une trentaine de cas seraient concernés dans le Hubei. Actuellement, les patients guéris sont maintenus en isolation 14 jours supplémentaires, puisqu’on ne sait pas exactement si ces patients sont contagieux.

En parallèle, le cas d’un étudiant pékinois de retour des Etats-Unis développant des signes du virus deux jours après la fin de sa quarantaine, contaminant au passage trois membres de famille, forçait les autorités à rallonger le confinement à 21 jours pour tous les voyageurs.

A cela s’ajoute le problème de la fiabilité des tests, variant sensiblement selon la qualité du prélèvement. Certains patients ont dû se faire tester 4 ou 5 fois à l’acide nucléique, ou finalement faire un test aux anticorps pour avoir la confirmation qu’ils étaient bien contaminés. Il faut absolument reconnaître les limites de ces tests, alertent certains experts. D’ailleurs, si la 5ème version des critères de diagnostics chinois, publiée le 5 février, basée uniquement sur les signes cliniques (sans qu’un test positif soit nécessaire), avait été maintenue jusqu’au 20 février, le bilan aurait été de 232 000 cas (au lieu des 55 508 déclarés), selon Peng Wu, de l’université de Hong Kong.

C’est pourquoi la Chine s’est lancée dans une vaste enquête épidémiologique dans neuf régions pour déterminer le nombre de cas asymptomatiques et le niveau d’immunité de la population. Depuis le début de l’épidémie, ils seraient 6 764 à avoir été testés positifs au Covid-19, sans avoir développé de signes de la maladie. Seuls les 1 297 ayant présenté des symptômes ont été ajoutés au bilan total, soit un cinquième. A Wuhan, entre le 8 et 15 avril, la municipalité a testé 275 400 personnes et seulement 182 étaient positifs, soit un ratio de 0,066/100. Appliqué à ses 11 millions d’habitants, cela ne représenterait que 7 000 cas. C’est extrêmement peu, mais suffisant pour provoquer de nouvelles contaminations, la hantise des autorités.

De plus, il est désormais possible de se faire dépister sur base volontaire. Les géants du e-commerce Alibaba et JD.com ont lancé dans neuf villes un service de réservation pour se faire tester dans le centre le plus proche. A Pékin, le dépistage coûte 258 yuans, contre 180 yuans à Shanghai.

Finalement, quatre mois après son émergence, les scientifiques réalisent qu’ils ne savent que peu de choses sur ce mystérieux virus, mutant, résistant, fatal pour certains, invisible chez d’autres… « Si les prochaines découvertes bousculent nos perceptions, ne soyez pas étonnés », prévient le Dr Li.

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