Alors que le coronavirus bat en retraite en Chine et que le monde est bien trop préoccupé par le Covid-19, la Chine poursuit à Hong Kong sa stratégie décidée durant le 4ème Plenum fin octobre.
La crise débutait mi-avril par plusieurs déclarations du Bureau de Liaison à Hong Kong et du Bureau central des Affaires hongkongaises à Pékin (HKMAO), accusant publiquement certains députés démocrates comme Dennis Kwok, « d’obstructions malveillantes » au Parlement local (Legco). Ces accusations étaient rapidement dénoncées par l’opposition comme une violation de l’Article 22 de la Basic Law (la mini-constitution de Hong Kong), interdisant tout organe du gouvernement central de s’ingérer dans les affaires hongkongaises. La réponse de Pékin était catégorique : cet article ne s’applique ni au HKMAO, ni au Bureau de Liaison à Hong Kong. Prise entre deux feux, le gouvernement de Carrie Lam finissait par se ranger du côté de Pékin, après trois déclarations contradictoires en une nuit. Dès le lendemain, une vingtaine de députés de l’opposition dénoncèrent la « capitulation » du gouvernement, qualifiant cette violation de la Basic Law d’« insulte » et de « trahison ».
Lors de la journée de la sécurité nationale le 15 avril, Luo Huining, nouveau directeur du Bureau de Liaison, mettait de l’huile sur le feu en rappelant l’importance d’adopter « au plus vite » le très controversé Article 23 de la Basic Law sur la sécurité nationale, ayant poussé des centaines de milliers de Hongkongais dans les rues en 2003. Cette loi donnerait à l’administration hongkongaise le pouvoir de sanctionner tout acte de trahison, fuite de secrets d’Etat, ou toute tentative de sécession – c’est-à-dire toute activité anti-Pékin.
L’affaire ne s’arrêtait pas là. Le 18 avril, la police hongkongaise interpellait 15 personnalités historiques du mouvement pro-démocratie, accusées d’avoir participé à divers rassemblements illégaux lors des manifestations de 2019 – et ce, malgré le grand âge de certains. Parmi eux, Martin Lee (cf photo), 81 ans, le “père de la démocratie” à Hong Kong, ayant participé à l’élaboration de la Basic Law dans les années 80 ; la célèbre avocate de 72 ans Margaret Ng, une des fondatrices du Civic Party, vocalement opposée à la loi de sécurité nationale ; le milliardaire et patron de l’Apple Daily Jimmy Lai, 71 ans, fréquemment accusé de collusion avec des puissances étrangères et déjà arrêté à de multiples occasions.
Dans la foulée, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam annonçait un remaniement de son cabinet le 22 avril. Cinq nouveaux secrétaires étaient nommés, dont l’ex-directeur de l’immigration Erick Tsang qui sera en charge des relations avec le gouvernement central. Ce faisant, Mme Lam suit les pas de Pékin qui a remplacé le chef du Bureau de Liaison, puis celui du HKMAO (Xia Baolong) en janvier et février.
On le voit, en ce climat politique tendu, tous les coups sont permis. Plus rien ne doit être considéré comme acquis. Jusqu’à présent, les agences chinoises se gardaient bien d’intervenir directement dans les affaires de la région administrative spéciale (RAS), mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La promesse « d’un pays, deux systèmes », accordant un certain degré d’autonomie à l’ex-colonie britannique jusqu’en 2047, n’est donc plus garantie. Selon Chris Patten, le dernier gouverneur de Hong Kong, le fait que les organes de Pékin s’estiment en droit de s’ingérer dans les affaires locales, démontre que le Président Xi Jinping a abandonné l’ancienne ligne prônée par ses prédécesseurs, et ce, même si cela conduit à la destruction de ce qui a fait de Hong Kong la première place financière asiatique.
Les prochains mois devraient donc voir d’autres signes de cette nouvelle campagne de répression. En effet, en s’attaquant publiquement à des députés démocrates, Pékin espère décrédibiliser, voire écarter autant d’élus de l’opposition que possible pour les empêcher de participer aux élections de septembre. Et tous les prétextes seront bons pour les disqualifier, comme le non-respect du principe « d’un pays, deux systèmes ». Ce ne serait pas une première. Déjà en 2016, six nouveaux élus démocrates étaient disqualifiés pour avoir écorché leur prestation de serment. Pour Pékin, l’enjeu est grand puisque son camp est loin de pouvoir s’assurer du maintien de sa majorité au Legco en septembre prochain, après avoir subi une défaite cuisante lors des dernières élections de district en novembre dernier.
En arrêtant ces 15 personnalités réputées modérées, pacifiques, plus ouvertes au dialogue avec Pékin, la Chine se prive donc de tout juste milieu, enterrant pour de bon tout espoir de dialogue ou réconciliation après les manifestations de 2019. Maintenant, les Hongkongais n’ont plus que deux solutions : se ranger du côté des pro-Pékin, ou s’opposer avec encore plus de force à cette administration qui laisse l’autonomie de la RAS bafouée… Et c’est peut-être ce que la Chine espère : susciter une vive réaction de la population, qui poussera le gouvernement hongkongais à adopter la loi de sécurité nationale avant les élections de septembre.
Si la stratégie de Pékin semble toute tracée, un élément perturbateur pourrait lui mettre des bâtons dans les roues : en novembre dernier, Trump approuvait une loi conditionnant le statut économique spécial de la RAS, à un examen annuel du degré d’autonomie des autorités locales. Cela devrait donc rendre la tâche plus difficile à l’administration de Carrie Lam, et ajouter une certaine pression à Pékin dont les relations avec Washington sont déjà extrêmement tendues.
L’autre grande inconnue reste la réaction des Hongkongais, qui n’hésiteront pas à manifester leur mécontentement. Pour interdire tout rassemblement, le gouvernement pourrait bien invoquer le coronavirus, mais c’est sans compter sur l’inventivité des manifestants… Avec le 31ème anniversaire du Printemps de Pékin le 4 juin, le 1er anniversaire du mouvement pro-démocratie le 9 et 16 juin, et le 23ème anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet, les mois à venir devraient être agités.
Sommaire N° 17 (2020)