Indéniablement, la tendance est aux départs. Après deux ans de politique sanitaire « zéro Covid », les 850 000 étrangers recensés officiellement en Chine sont de plus en plus nombreux à plier bagage. La séparation avec la famille, la quasi impossibilité de quitter temporairement le territoire chinois et le manque de perspectives quant à la réouverture des frontières sont autant de raisons de ne pas prolonger leur contrat*. D’ici la fin de l’année, les Chambres de Commerce américaine et européenne en Chine anticipent que leurs communautés expatriées, déjà réduites par deux en 24 mois, auront encore fondu de moitié **.
Ceux qui aimeraient rejoindre la Chine depuis l’étranger ne sont pas mieux lotis. Ils se retrouvent confrontés aux difficultés d’obtention du visa, aux prix élevés des billets d’avion, aux annulations de dernière minute, aux conditions de quarantaine draconiennes à l’arrivée…
Ainsi, en l’espace de deux ans, la stratégie « zéro Covid » a fortement compromis les efforts déployés durant les trois dernières décennies par le gouvernement chinois pour ouvrir le pays au reste du monde et le rendre attractif aux yeux des entreprises, des investisseurs, des entrepreneurs et des étudiants étrangers.
Alors que « l’aventure chinoise » faisait hier encore tant rêver, aujourd’hui, les candidats ne se bousculent plus pour venir travailler dans l’Empire du Milieu. Les entreprises étrangères rencontrent de grandes difficultés pour remplacer leurs équipes et faire venir ponctuellement des experts en Chine.
À cause des restrictions aux voyages, le phénomène de « sinisation » des entreprises étrangères en Chine – qui consiste à remplacer des cadres étrangers par des locaux afin de réduire les coûts d’expatriation et de profiter des compétences des managers chinois – se déroule aujourd’hui à « marche forcée ». Une tendance qui pourrait bien se révéler irréversible dans le futur. Les multinationales reconnaissent elles-mêmes que c’est loin d’être la solution idéale (fossé culturel croissant entre le bureau Chine et les autres filiales, faible mobilité à l’international des cadres chinois…). Cependant, elles n’ont pas tellement le choix dans le contexte actuel.
Autre complication engendrée par la « grande muraille sanitaire » érigée par Pékin : les filiales des grands groupes étrangers installés en Chine craignent que leurs sièges se retrouvent déconnectés de la réalité du marché chinois, faute de pouvoir effectuer des visites de terrain. En conséquence, les décisions d’investissements sont souvent repoussées.
Aujourd’hui, 23 % des membres de la Chambre de Commerce européenne en Chine envisagent de transférer une partie de leurs investissements dans un pays tiers. C’est deux fois plus qu’il y a deux mois, avant la mise en quarantaine de Shanghai, capitale économique du pays.
De manière générale, les confinements à répétitions et le caractère imprévisible des restrictions sanitaires décrétées par les autorités locales nuisent à l’attractivité du pays et poussent les entreprises à accélérer la diversification de leurs chaînes d’approvisionnement hors de Chine. Or, la démarche est loin d’être une sinécure, étant donnée la forte compétitivité des « clusters » de production chinois.
Dernier facteur entrant en ligne de compte : la guerre en Ukraine a fait prendre conscience aux entreprises étrangères du risque croissant de dépendre de la Chine, si celle-ci devait un jour se trouver frappée de sanctions internationales qui coûteraient beaucoup plus cher que celles visant la Russie aujourd’hui.
Cela dit, à l’inverse des expatriés qui commencent à faire leurs cartons, les entreprises étrangères n’ont nulle intention à ce stade de se priver du lucratif marché chinois. Mais cela ne les empêche pas de regarder ailleurs, à toutes fins utiles !
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*Les étrangers ne sont pas les seuls à envisager de prendre la clé des champs. Plusieurs membres de l’élite chinoise et jeunes « cols blancs » issus de la classe moyenne discutent plus ou moins sérieusement de la possibilité d’immigrer (润, « rùn » en langage internet). C’est l’expression d’un certain mécontentement vis-à-vis de la politique sanitaire actuelle, qui pourrait toutefois se tasser une fois la situation sanitaire à Shanghai stabilisée.
**Cela représente l’accélération d’une tendance déjà visible avant la pandémie. En dix ans, la communauté française en Chine a perdu 40% de ses membres. Plusieurs facteurs sont à l’œuvre : baisse de la compétitivité des cadres étrangers par rapport à leurs concurrents chinois formés hors frontières, complexification du marché chinois pour les entrepreneurs, perte d’image de la Chine à l’international…
Sommaire N° 17-18 (2022)