Par deux plans, la Chine cherche à enrayer le déséquilibre démographique et économique entre campagnes et conurbations. Le problème est que ces programmes semblent se contredire…
– Dès décembre 2017, Shanghai, Pékin et autres mégapoles se mettaient à démolir leurs banlieues, contraignant à l’exil plus d’un million de migrants. Or le 8 avril, la NDRC, agence de la planification économique, décrétait l’assouplissement, voire l’ouverture de l’accès au « hukou », permis de résidence datant des années 50 pour lier les Chinois à leur terre de naissance. La dérégulation concerne les villes de 1 à 5 millions d’habitants.
Cette réforme vise à relancer l’exode rural pour sauver la croissance des villes. Elle met potentiellement à portée de 100 millions de migrants, les services municipaux de santé et d’éducation, et veut stimuler les ventes immobilières de ces innombrables appartements restés vides dans les banlieues. Elle s’inscrit ainsi contre le risque d’éclatement de la bulle immobilière, mais aussi dans la lutte contre la pauvreté, un des trois chevaux de bataille du Président Xi Jinping.
– En un mouvement inverse, le 22 mars, la Ligue de la Jeunesse (共青团, gòngqīngtuán) lançait une campagne pour envoyer sous trois ans 10 millions d’étudiants aux villages pendant les vacances d’été. C’est pour pallier au manque de jeunes en monde rural, envolés vers les lumières de la ville. De façon instructive, les zones d’accueil ont été choisies dans les « bastions de la révolution », les régions d’ « extrême misère » et celles de minorités ethniques. Ces jeunes vont devoir partager avec la populace leurs compétences fraîchement acquises en sciences, finance, médecine, éducation, informatique ou e-commerce, et ainsi contribuer à la revitalisation de l’économie rurale.
Optimiste, la Ligue souhaite voir 200.000 de ces 10 millions de stagiaires d’été prendre goût à leur nouvelle villégiature et s’y fixer comme entrepreneurs, offrant ainsi une nouvelle arme contre le chômage de la jeunesse (jusqu’à 22% selon l’économiste He Qinglian).
La Ligue veut aussi envoyer 10.000 (aspirants) membres du Parti, dans les organes ruraux en alternance avec leurs études, en une filière menant à des postes de direction.
Le recrutement doit se faire sur base volontaire, sans que la Ligue précise quels incitatifs seront offerts, autres que l’embellissement des CV.
L’idée est donc d’offrir aux jeunes la chance de chīkǔ (吃苦), « manger de l’amertume », comme l’avaient fait leurs parents durant la Révolution culturelle sous Mao entre 1966 à 1976. Alors, 17 millions de jeunes instruits (知青, zhīqīng), dénoncés comme « bourgeois libéraux », une fois leurs écoles et universités fermées, avaient été déportés en communes populaires en zones rurales. Dix ans plus tard, autorisés à retourner chez eux, ils étaient la génération perdue, privée d’études et de compétences. Aujourd’hui encore, cette page sombre de l’histoire du pays demeure tabou dans la société.
Alors pourquoi remettre au goût du jour des méthodes maoïstes ? La tentation, à vrai dire, ne date pas d’hier. Déjà dans les années 90, Jiang Zemin avait envisagé de renflouer les sections exsangues du PCC dans les villages, par envoi massif de jeunes de la ville.
En 2010, l’idée avait aussi germé dans l’esprit de Bo Xilai, secrétaire du Parti à Chongqing. Prétendant combattre le vide moral lié au recul de la pensée marxiste, Bo envoyait 750.000 étudiants pendant 1 mois en usine, en caserne militaire ou dans les champs.
L’initiative avait d’abord été vivement soutenue par une frange de nostalgiques. Mais bientôt, Bo se profilant en rival malheureux de Xi Jinping, était arrêté, précipitant l’abandon de cette initiative rouge…
Qu’elle ressorte aujourd’hui interpelle, surtout à l’initiative de la Ligue de la Jeunesse, ex-fief de Hu Jintao, le prédécesseur de Xi Jinping et un autre de ses rivaux. Du fait de cette lutte d’influence, la Ligue est depuis 2012 en nette perte de vitesse. Or, que la Ligue soit chargée de ce mandat, signifie pour elle une possible sortie d’enfer et une remontée en grâce.
Reflétant un retour à une méthode maoïste de contrôle des masses, l’envoi de millions de jeunes à la campagne, a forcément eu l’aval de Xi Jinping, ex-jeune instruit qui avait passé sept ans, de 16 à 23 ans, en une commune populaire au Shaanxi. Xi a plusieurs fois décrit cette phase de sa vie comme « séminale », et en a tiré une solide « légende » révolutionnaire, au service de son image de Président et d’ardent communiste.
Le 1er Secrétaire peut voir en cette campagne un autre intérêt : celui de créer un vivier de jeunes aguerris et loyaux, capables de soutenir son régime au-delà de son second quinquennat fin 2022. De plus, lancer les potaches à la campagne les années à venir, peut apparaître un sain contrepoids à l’inévitable tentation démocratique que constitue en puissance toute université.
Signalons malgré tout quelques « bémols » à ce double plan, chassé-croisé démographique.
Dans le sens ville-campagne, les jeunes urbains diplômés, souvent enfants uniques, n’auront nulle envie de troquer leur environnement sophistiqué et confortable pour des villages plus précaires.
Dans le sens village-mégapoles, les migrants vont réfléchir à deux fois. Ils connaissent la montée en valeur de leurs lopins et celle d’emplois alternatifs au village, comme ceux du tourisme rural. Ils ont donc un patrimoine, qu’ils risqueraient de perdre en partant, au profit des gouvernement locaux . De plus, le planning familial ayant « trop bien » fonctionné, la vague migratoire touche à sa fin. Face à cette réalité démographique, aucun plan public ne pourra rien !
Avec Liu Zhifan
1 Commentaire
severy
27 avril 2019 à 18:10Excellent article.
Exiler les jeunes instruits dans les camp(agne)s va les ravir de joie. Heureusement que ce « retour aux sources » s’effectuera « volontairement » sinon, en voilà, des futurs opposés au Régime!