Imperceptible à l’œil nu, le changement remodèle les villes chinoises : il faut plus de confort, et plus de contrôle. L’urbanisme prend sa place, pour mieux gérer l’espace. Poussé par une série de rendez-vous historiques ces mois prochains, et qu’il doit absolument gérer, le régime renforce le contrôle social, pour rectifier des mauvaises pratiques profondément ancrées.
Côté urbanisme…
Dans Pékin, trois chantiers impriment cette démarche urbanistique.
À l’Ouest, Mentougou réhabilite les aciéries Shougang, site des JO d’hiver de 2022, pour le convertir en parc commémoratif et village olympique. Ici, les fours et tours de refroidissement vont se muer en musées, espaces culturels, tremplin de ski. Plus au Nord, la ville recevra aussi sa 1ère piste exclusivement cyclable d’ici juin entre Huilonguan et Shangdi : sur 6,5 km, elle rendra sa place à la petite reine entre cités-dortoirs et tours de bureau.
Au centre, l’intérieur du 4ème périphérique est renommé « CAD », Central Administrative District, sur le modèle de Washington DC. A cet effet, la ville passe sous contrôle direct du Conseil d’Etat, privant la mairie de ses prérogatives. Pour trouver les espaces nécessaires aux nouvelles infrastructures, l’Etat se met en chasse de tout espace disponible, aux fonctions moins lucratives ou sans permis. Parcs, écoles, hôpitaux et sites classés sont épargnés, mais tout autre espace est dans la ligne de mire. Les terrasses des cafés sont bannies, les marchés démantelés. A long terme, les ambassades sont invitées à émigrer vers Tongzhou à 20 km—sauf celles des grandes nations et celles ayant déjà construit (ou en train de construire) de nouveaux locaux.
L’armée-même est touchée : les Etats-majors des différentes armes sont invités à quitter leurs QG « sous 10 ans », pour se réinstaller dans des villes de second ou 3ème rang. La motivation invoquée est le renforcement des capacités de défense nationale et la lutte contre les passe-droits. Mais bien sûr, entre en ligne de compte la soif d’espaces à bâtir, et le besoin d’enrayer l’expansion de la capitale.
Le dernier chantier vaut pour Pékin mais aussi pour toutes les autres mégapoles : les ceintures urbaines sont démolies, et les friches industrielles dépolluées avant d’être livrées aux promoteurs. Depuis 2015, 24 millions de logements ont été abattus, 100 millions de personnes relogées. Pour tous les bâtiments en règle, les habitants ont été indemnisés, mais pour tous ceux bâtis illégalement, c’est une perte sèche. Pour l’Etat et les collectivités, l’opération a été fructueuse : selon le Financial Times depuis 2017, Pékin et les gouvernements locaux ont versé 5060 milliards de ¥ de compensation, empruntant pour ce faire 3000 milliards de ¥. En même temps, ils revendaient les lots libérés pour 6500 milliards de ¥. Et comme les indemnisations ont souvent pris la forme d’à-valoir sur des appartements invendus ou sur plan, son profit a doublé, l’Etat a gagné sur les deux tableaux, tout en maintenant un haut niveau de prix et écoulant les stocks.
Dernièrement, ce système se grippe : craignant l’éclatement d’une bulle immobilière, l’Etat freine les ventes qui baissaient en janvier-février de 34% en volume, tandis que les prix au m² s’effritaient de 11%. Mais, suite à la réforme de la taxation, le système a permis aux villes d’engranger des recettes, dans l’attente de nouvelles recettes.
Côté humain…
Deux anniversaires imminents sont délicats pour le régime : celui du 4 mai 1919 (cf illustration) où les étudiants protestaient contre l’Empire, pour l’avènement des sciences et de la démocratie, et celui du 4 juin 1989 où la place Tian An Men fut vidée par les chars, des étudiants qui l’occupaient depuis près de deux mois.
Pour le 4 mai, l’Etat a imaginé de prolonger de trois jours la fête du travail du 1er mai : en long « pont de WE », les jeunes auront moins le cœur à commémorer la protestation de leurs arrière-grands-parents. De son côté, Xi Jinping a présidé un colloque qui réinterprète l’esprit du 4 mai : la jeunesse est appelée à soutenir la réjuvénation du pays et le rêve de Chine (中国梦). Toujours à propos de cette date-phare, la censure s’active à élaguer sur internet (sur QQ, iTunes…) toutes chansons et ballades comme celles de Li Zhi, qui risqueraient d’évoquer cet événement de manière plus téméraire.
Les cadres de leur côté, croulent sous la réunionnite, imposée sous prétexte de suivi des multiples mots d’ordre, mais servant en réalité à l’autosurveillance mutuelle, pour garantir la loyauté au cœur du Parti.
Rien qu’à Tianjin en quelques années, ont été tenues 160.000 de ces réunions internes, privant ainsi les cadres du temps pour gérer les vrais dossiers. De fait, les campagnes publiques sont à la merci de distorsions par des fonctionnaires zélés. Ainsi la campagne contre les Triades 2018-2020 a permis en quelques mois l’arrestation de 79.000 gangsters, mais au prix de bavure dans les milieux médicaux (médecins, malades mentaux, et parents en deuil de leur enfant unique, injustement arrêtés), ou dans des mines de charbon privées.
Autre signe de malaise, ces cadres de plus en plus, voient leur avancement dépendre non plus de leur travail, mais de leur style de vie, qui doit être « sobre et non extravagant ».
Enfin, jusqu’au 15 juin, lois et règlements seront appliqués en toute rigueur. Fêtes et rassemblements seront bridés. Dès lors sur Weibo, WeChat, voire Twitter, les comptes sont effacés par dizaines de milliers, les internautes punis. Tout ceci, au nom de la stabilité publique, toujours plus clairement la première priorité du régime.
Sommaire N° 17-18 (2019)