Le Vent de la Chine Numéro 17 (2020)
C’est une découverte de taille que faisait Li Lanjuan (李兰娟), experte du Covid-19 de 73 ans, le 19 avril. Grâce à une méthode sophistiquée de « séquençage ultra-profond », elle obtenait la preuve que certaines mutations du coronavirus peuvent conduire à des souches beaucoup plus létales que d’autres. Après avoir analysé les séquences génétiques du Sars-CoV-2 retrouvées chez 11 patients choisis au hasard à Hangzhou, l’équipe du Dr Li observa comment ces différentes souches s’attaquent aux cellules humaines. Les chercheurs découvrirent alors que la souche la plus agressive peut générer 270 fois plus de charge virale que la plus faible. Ils constatèrent également un évènement rare : trois mutations consécutives chez un même patient de 60 ans ayant passé plus de 50 jours à l’hôpital à lutter contre le virus…
Il se trouve que les souches les plus courantes retrouvées dans le Zhejiang sont différentes de celles de Wuhan, mais majoritaires en Europe et à New York. Outre différents facteurs comme l’âge, des conditions préexistantes, le groupe sanguin (et la transparence des autorités), cela donnerait-il enfin un début d’explication aux différences de mortalité constatées d’une région à l’autre du globe ? Dans tous les cas, cette découverte devrait inciter les hôpitaux à adapter leur traitement, qui est actuellement le même quelle que soit la souche du virus. Surtout, « il faut absolument évaluer l’impact de ces mutations sur le développement de remèdes ou de vaccins », alertait le Dr Li. Le premier vaccin chinois serait d’ailleurs disponible dès septembre en cas d’urgence pour le personnel soignant et début 2021 pour le public, selon Gao Fu, directeur du CDC.
Autre mystère : à Wuhan, un nombre croissant de patients réputés « guéris » après deux tests d’acide nucléique à 24h d’intervalle, testaient à nouveau positifs au virus sans développer de symptôme parfois jusqu’à 70 jours plus tard ! Selon la Commission Nationale de Santé, une trentaine de cas seraient concernés dans le Hubei. Actuellement, les patients guéris sont maintenus en isolation 14 jours supplémentaires, puisqu’on ne sait pas exactement si ces patients sont contagieux.
En parallèle, le cas d’un étudiant pékinois de retour des Etats-Unis développant des signes du virus deux jours après la fin de sa quarantaine, contaminant au passage trois membres de famille, forçait les autorités à rallonger le confinement à 21 jours pour tous les voyageurs.
A cela s’ajoute le problème de la fiabilité des tests, variant sensiblement selon la qualité du prélèvement. Certains patients ont dû se faire tester 4 ou 5 fois à l’acide nucléique, ou finalement faire un test aux anticorps pour avoir la confirmation qu’ils étaient bien contaminés. Il faut absolument reconnaître les limites de ces tests, alertent certains experts. D’ailleurs, si la 5ème version des critères de diagnostics chinois, publiée le 5 février, basée uniquement sur les signes cliniques (sans qu’un test positif soit nécessaire), avait été maintenue jusqu’au 20 février, le bilan aurait été de 232 000 cas (au lieu des 55 508 déclarés), selon Peng Wu, de l’université de Hong Kong.
C’est pourquoi la Chine s’est lancée dans une vaste enquête épidémiologique dans neuf régions pour déterminer le nombre de cas asymptomatiques et le niveau d’immunité de la population. Depuis le début de l’épidémie, ils seraient 6 764 à avoir été testés positifs au Covid-19, sans avoir développé de signes de la maladie. Seuls les 1 297 ayant présenté des symptômes ont été ajoutés au bilan total, soit un cinquième. A Wuhan, entre le 8 et 15 avril, la municipalité a testé 275 400 personnes et seulement 182 étaient positifs, soit un ratio de 0,066/100. Appliqué à ses 11 millions d’habitants, cela ne représenterait que 7 000 cas. C’est extrêmement peu, mais suffisant pour provoquer de nouvelles contaminations, la hantise des autorités.
De plus, il est désormais possible de se faire dépister sur base volontaire. Les géants du e-commerce Alibaba et JD.com ont lancé dans neuf villes un service de réservation pour se faire tester dans le centre le plus proche. A Pékin, le dépistage coûte 258 yuans, contre 180 yuans à Shanghai.
Finalement, quatre mois après son émergence, les scientifiques réalisent qu’ils ne savent que peu de choses sur ce mystérieux virus, mutant, résistant, fatal pour certains, invisible chez d’autres… « Si les prochaines découvertes bousculent nos perceptions, ne soyez pas étonnés », prévient le Dr Li.
Lors de sa visite à Wuhan le 10 mars, le Président Xi Jinping enjoignait les autorités à « comprendre et tolérer les frustrations du peuple ».
Justement, mères, fils, pères, filles, frères, sœurs… ils sont nombreux à en avoir gros sur le cœur. « Si seulement, nous avions été avertis plus tôt », se lamente Hu, qui a perdu sa mère le 8 février. Depuis, il a décidé de poursuivre en justice le gouvernement municipal pour avoir dissimulé la gravité du virus. « Je veux une explication, que les responsables soient punis pour nous avoir caché la sévérité de la situation », écrit Tan Jun, un fonctionnaire de Yichang, ville voisine, lui-même contaminé par le virus. Une autre femme ayant porté plainte contre son hôpital ne décolère pas : « Il ne suffit pas de limoger un cadre et d’en replacer un autre, ce n’est pas ce que j’appelle prendre ses responsabilités. Les petites gens comme nous ont un accès limité à l’information, et nous sommes dépendants de ce que nous dit le gouvernement ».
Même si porter plainte reste essentiellement symbolique puisque ces procédures ont très peu de chances d’aboutir, c’est leur manière d’exprimer leur mécontentement. « C’est aussi un moyen de documenter l’histoire, raconter la vérité, et ne pas laisser le gouvernement seul raconter sa version des faits », explique Yan Zhanqing, fondateur de l’ONG Funeng.
Sur internet, une mère ayant perdu sa fille du Covid-19 se demandait si cette tragédie aurait pu être évitée. Au lieu de susciter la compassion de ces concitoyens, elle fut attaquée « comme l’écrivaine Fang Fang » par des « gardes rouges virtuels » : « tu ne représentes qu’1 pour cent de ceux qui sont morts, tu ne peux pas représenter la ville de Wuhan tout entière. Ne trouble pas les 99% de ceux qui profitent de la vie ».
C’est ainsi qu’ils sont des centaines de milliers à trouver refuge sur un « mur virtuel des lamentations » : le compte Weibo du docteur Li Wenliang, « lanceur d’alerte » de 34 ans, dont le décès le 6 février avait déclenché une vague de revendications pour plus de liberté d’expression. « J’ai entendu que c’est le seul endroit sur le web où l’on peut écrire ce que l’on veut, donc me voilà », explique un internaute. Chacun y partage sa solitude (« je n’ai personne à qui parler sauf toi »), ses joies (« de voir le confinement prendre fin »), sa détresse (« je déprime, je stresse »), ses échecs (« je vais divorcer »), ses déceptions (« de voir certaines primes retirées au personnel soignant »), ses préoccupations (« je ne peux plus payer mon loyer, il faut absolument que je retrouve un emploi »)… Certains lui posent des questions, même s’ils savent bien qu’elles resteront éternellement en suspens : « pourquoi nos messages à propos des urnes de nos familles ont été effacés » ? Leur plus grande crainte serait de voir ce minuscule espace de liberté à son tour supprimé…
Six semaines après le décès du Dr Li Wenliang, les autorités locales présentaient des excuses et offraient une compensation à sa famille, tandis que deux policiers étaient sanctionnés – ce qui était loin d’être suffisant pour les internautes… Alors, le gouvernement l’érigeait au rang de martyr de la nation le 2 avril, et lui décernera la médaille de la jeunesse le 4 mai à titre posthume. En couvrant Li Wenliang d’honneurs, le pouvoir se réapproprie ce héros, espérant ainsi éviter qu’il ne devienne une figure de la contestation. « Il était un des nôtres [membre du Parti], concluait l’enquête sur sa réprimande, et sûrement pas un dissident ». Cependant, si les internautes trouvent son mur Weibo si réconfortant, c’est justement parce qu’ils s’identifient à ce citoyen ordinaire lésé par les autorités
Et l’histoire se répète : mi-avril, Yu Xiangdong, chef de service de l’hôpital Central de Wuhan (où travaillait Li) était relevé de ses fonctions après avoir publié des commentaires ironiques sur son Weibo à propos de la politique de port des masques, de certains traitements recommandés par Zhong Nanshan ou de la médecine traditionnelle chinoise. Les internautes s’insurgèrent contre cette sanction : « il est essentiel pour un médecin de questionner, débattre, discuter. Si les gens sont seulement autorisés à s’exprimer lorsqu’ils sont sûrs de ce qu’ils avancent à 100%, alors personne ne voudra plus prendre le risque de partager son opinion. Lorsque la société entière devient silencieuse, de choses terribles peuvent arriver », pouvait-on lire en commentaires. C’était également la conclusion du Dr Li Wenliang sur son lit de mort.
Une autre affaire fit grand bruit, attirant plus de 310 millions de vues sur Weibo : le 17 avril, une certaine Zeng Chunzhi, 45 ans et originaire de Yingcheng, ville de 600 000 habitants à 1h de Wuhan, était inculpée pour « incitation à la subversion contre le pouvoir d’Etat ». En effet, durant le confinement, Mme Zeng aurait organisé deux manifestations le 12 et 25 mars rassemblant 100 voisins contre la hausse des prix des produits alimentaires, imposée par le management de sa communauté. Selon le communiqué, elle aurait manipulé ses voisins pour appeler à la démission des gérants, car elle espérait ne pas payer ses frais de copropriété. Sauf qu’au lieu de lancer une enquête sur l’incident (les membres du comité monopolisaient effectivement les vivres et les distribuaient au plus offrant), les autorités se dépêchèrent d’accuser Zeng, « au casier déjà chargé ». Les médias étaient alors pointés du doigt pour avoir délibérément dépeint cette femme comme un ennemi du peuple. « Par le passé, l’accusation de subversion était réservée aux avocats des droits de l’Homme ou aux intellectuels, mais aujourd’hui, cela concerne aussi une simple citoyenne qui dénonce les mauvaises pratiques de sa résidence ».
On le voit, la misère et la détresse provoquées par le Covid-19 n’ont pas nécessairement suscité plus d’empathie ou de tolérance. Au contraire, toute plainte ou critique à l’encontre des autorités est perçue comme une attaque contre la Chine par certains internautes, patriotes de l’extrême. Une situation heureusement virtuelle, mais rappelant la révolte des Boxers ou la révolution culturelle à l’animateur TV Cui Yongyuan et à Fang Fang. Par contre, la haine engendrée de l’autre, concitoyen comme étranger, est, elle, bien réelle.
Pour la Banque Centrale chinoise, l’épidémie de Covid-19 a fourni un nouvel incitatif à accélérer le lancement de son « yuan digital », l’argent liquide étant boudé pour des questions d’hygiène. Ce projet ne date pas d’hier : l’institution travaille au lancement de sa propre monnaie digitale depuis 2014. Mais l’annonce en juin 2019 de la sortie de la devise virtuelle de Facebook, nommée Libra, a été un électrochoc pour toutes les Banques Centrales à travers le monde, dont 80% travaillent au lancement d’une monnaie digitale, mais seulement 10% ont lancé des projets pilotes. En effet, il est fondamental pour elles de garder une longueur d’avance en matière de technologies des paiements. Pas question donc de rester impassible face à l’émergence d’une nouvelle monnaie digitale hors du contrôle des Etats, présentant un risque majeur pour la stabilité financière.
Dès lors, la Banque Centrale chinoise a mis les bouchées doubles depuis un lieu tenu secret, loin de son siège dans le centre de Pékin. C’est aussi en toute discrétion qu’elle débutait les premiers essais de son DCEP (« Digital Currency/Electronic Payment »), révélés par des captures d’écran échangées sur les réseaux sociaux mi-avril.
Comme à son habitude, la Chine teste au niveau local avant d’étendre le concept au niveau national. Shenzhen, la « Silicon Valley » chinoise, Chengdu, Suzhou et Xiong’an auront l’honneur d’essayer le e-yuan par l’intermédiaire des « quatre sœurs », les banques ICBC, China Construction Bank, Agricultural Bank of China, et la Bank of China, auxquelles seront conviés les trois opérateurs télécoms, China Telecom, China Mobile, et China Unicom – une affaire d’Etat en somme. Les géants de l’internet seront aussi de la partie (Tencent, Alibaba, Baidu) ainsi que le champion des télécoms Huawei. L’expérimentation ira même plus loin à Xiong’an, ville nouvelle au sud de Pékin, où quelques chaînes américaines sont également invitées à participer telles Starbucks, Subway et McDonald’s, ainsi que 19 commerces locaux (hôtels, épiceries, restaurant de pains vapeurs, librairie et salle de gym).
Les citoyens de confiance seront les premiers à pouvoir l’expérimenter : à Suzhou, il a été demandé aux fonctionnaires d’installer l’application pour recevoir la moitié de leurs allocations au transport en e-yuans, tandis que les membres du Parti pourront s’en servir pour payer leur cotisation. Un communiqué mentionnait également une utilisation lors des Jeux Olympiques d’hiver en 2022 sur les sites de Pékin et de Zhangjiakou, laissant penser qu’il sera officiellement lancé d’ici la fin de l’année. Selon Xu Yuan, chercheur au centre de finance digitale de l’université Beida, le lancement du DCEP chinois sera l’un des deux évènements historiques de 2020 (avec la pandémie). Dans les années à venir, le yuan digital pourrait atteindre le trillion de RMB (140 milliards de $), ce qui reviendrait à digitaliser un huitième de l’argent chinois (M0). En comparaison, les autres crypto-monnaies, comme le Bitcoin ou l’Ethereum, cumulent 200 milliards de $.
Le portefeuille des Chinois s’est déjà largement digitalisé ces dernières années, un marché sur lequel règnent Alipay et WeChat Pay. Le Bitcoin avait également connu de belles années en Chine, avant son interdiction en septembre 2017. En 2019, les paiements mobiles ont encore augmenté de 25%, pour atteindre un volume de transactions de 347 trillions de yuans. 80% des utilisateurs de smartphones utilisent déjà les paiements mobiles, mais le lancement du DCEP devrait encore accélérer la digitalisation en Chine, particulièrement auprès des 250 millions qui ne possèdent pas de compte en banque. En effet, il sera possible d’utiliser ces yuans virtuels en s’enregistrant uniquement avec un numéro de téléphone. Pour débloquer des plafonds plus élevés, une pièce d’identité et un compte bancaire seront nécessaires.
Pour satisfaire l’appétit chinois pour la nouveauté, l’application, qui ressemble pour l’instant comme deux gouttes d’eau à WeChat Pay, propose une fonction « touch & touch » permettant à deux utilisateurs de simplement toucher leurs portables pour s’envoyer de l’argent, avec ou sans internet, grâce à la technologie de communication en champ proche (NFC).
Le DCEP sera également capable d’effectuer 300 000 transactions par seconde. Il sera donc beaucoup plus rapide que les méthodes traditionnelles de paiement ou les autres crypto-devises, et pourra faire face sans difficulté à des pics de transactions, comme lors de la fête des célibataires le 11 novembre (256 000 transactions par seconde en 2019).
Par contre, stocker des e-yuans ne générera pas d’intérêts, et il ne sera pas possible de les « miner » comme des bitcoins.
Si l’expérimentation est un succès, le DCEP pourrait bien menacer la dominance d’Alipay et de WeChat en paiement mobile, présentant l’avantage d’être plus sûr, grâce à une encryption à la source et une meilleure traçabilité. Toutefois, l’arrivée du e-yuan ne devrait pas trop impacter financièrement les deux géants de l’internet puisque les commissions sur les paiements mobiles ne représentent de toute façon qu’une faible partie de leurs revenus. C’est donc l’expérience client qui fera toute la différence entre les solutions de paiements. Mais dans l’ensemble, un meilleur engagement digital des utilisateurs devrait bénéficier aux écosystèmes d’Alibaba et Tencent.
Quid des banques ? Les commissions sur les transactions bancaires représentent en moyenne moins de 20% de leurs revenus (contre 80% provenant des prêts), donc la baisse de l’utilisation des cartes bancaires et des applications de paiement mobile devrait faire baisser une partie de ces revenus. Toutefois, les grosses transactions passeront toujours par les banques, l’impact du DCEP sur le secteur devrait donc être limité à court terme.
Sans surprise, la Banque Centrale restera l’émettrice du e-yuan dont elle assurera la supervision auprès des banques commerciales et institutions financières qui, en retour, se chargeront de la distribution au public. Le DCEP présente à la fois les avantages des crypto-devises (faibles coûts d’émissions et de stockage), et des monnaies traditionnelles (valeur faciale stable). L’Etat chinois gardera donc fermement la main sur ce « bityuan », tandis que les données liées aux transactions financières lui reviendront, lui permettant ainsi de lutter plus efficacement contre la fraude et le blanchiment d’argent. Adieu donc aux doux rêves d’une devise virtuelle décentralisée et complètement anonyme, comme le bitcoin. Des mots d’un professionnel du secteur bancaire, « la technologie apportera des ouvertures, mais pas de révolution ».
Outre ses aspects domestiques, l’autre enjeu pour ce e-yuan sera de promouvoir l’internationalisation du RMB, notamment par le biais de ses routes de la soie (BRI). En effet, le e-renminbi devrait en théorie permettre d’effectuer des paiements transfrontaliers sans passer par les banques qui facturent ces transactions et nécessitent plus de temps, contournant ainsi le système bancaire occidental (SWIFT…). Cependant, les autorités chinoises ne semblent pas prêtes à céder d’un pouce sur leur contrôle des changes. C’est pourquoi, malgré les bonnes intentions affichées, le yuan ne représente que moins de 3% des paiements internationaux. Sauf que pour internationaliser une monnaie, il faut accepter de perdre le contrôle de sa circulation hors de son territoire. Manifestement, ce n’est pas une concession que la Chine est encore prête à faire, e-yuan ou pas.
Alors que le coronavirus bat en retraite en Chine et que le monde est bien trop préoccupé par le Covid-19, la Chine poursuit à Hong Kong sa stratégie décidée durant le 4ème Plenum fin octobre.
La crise débutait mi-avril par plusieurs déclarations du Bureau de Liaison à Hong Kong et du Bureau central des Affaires hongkongaises à Pékin (HKMAO), accusant publiquement certains députés démocrates comme Dennis Kwok, « d’obstructions malveillantes » au Parlement local (Legco). Ces accusations étaient rapidement dénoncées par l’opposition comme une violation de l’Article 22 de la Basic Law (la mini-constitution de Hong Kong), interdisant tout organe du gouvernement central de s’ingérer dans les affaires hongkongaises. La réponse de Pékin était catégorique : cet article ne s’applique ni au HKMAO, ni au Bureau de Liaison à Hong Kong. Prise entre deux feux, le gouvernement de Carrie Lam finissait par se ranger du côté de Pékin, après trois déclarations contradictoires en une nuit. Dès le lendemain, une vingtaine de députés de l’opposition dénoncèrent la « capitulation » du gouvernement, qualifiant cette violation de la Basic Law d’« insulte » et de « trahison ».
Lors de la journée de la sécurité nationale le 15 avril, Luo Huining, nouveau directeur du Bureau de Liaison, mettait de l’huile sur le feu en rappelant l’importance d’adopter « au plus vite » le très controversé Article 23 de la Basic Law sur la sécurité nationale, ayant poussé des centaines de milliers de Hongkongais dans les rues en 2003. Cette loi donnerait à l’administration hongkongaise le pouvoir de sanctionner tout acte de trahison, fuite de secrets d’Etat, ou toute tentative de sécession – c’est-à-dire toute activité anti-Pékin.
L’affaire ne s’arrêtait pas là. Le 18 avril, la police hongkongaise interpellait 15 personnalités historiques du mouvement pro-démocratie, accusées d’avoir participé à divers rassemblements illégaux lors des manifestations de 2019 – et ce, malgré le grand âge de certains. Parmi eux, Martin Lee (cf photo), 81 ans, le “père de la démocratie” à Hong Kong, ayant participé à l’élaboration de la Basic Law dans les années 80 ; la célèbre avocate de 72 ans Margaret Ng, une des fondatrices du Civic Party, vocalement opposée à la loi de sécurité nationale ; le milliardaire et patron de l’Apple Daily Jimmy Lai, 71 ans, fréquemment accusé de collusion avec des puissances étrangères et déjà arrêté à de multiples occasions.
Dans la foulée, la cheffe de l’exécutif Carrie Lam annonçait un remaniement de son cabinet le 22 avril. Cinq nouveaux secrétaires étaient nommés, dont l’ex-directeur de l’immigration Erick Tsang qui sera en charge des relations avec le gouvernement central. Ce faisant, Mme Lam suit les pas de Pékin qui a remplacé le chef du Bureau de Liaison, puis celui du HKMAO (Xia Baolong) en janvier et février.
On le voit, en ce climat politique tendu, tous les coups sont permis. Plus rien ne doit être considéré comme acquis. Jusqu’à présent, les agences chinoises se gardaient bien d’intervenir directement dans les affaires de la région administrative spéciale (RAS), mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La promesse « d’un pays, deux systèmes », accordant un certain degré d’autonomie à l’ex-colonie britannique jusqu’en 2047, n’est donc plus garantie. Selon Chris Patten, le dernier gouverneur de Hong Kong, le fait que les organes de Pékin s’estiment en droit de s’ingérer dans les affaires locales, démontre que le Président Xi Jinping a abandonné l’ancienne ligne prônée par ses prédécesseurs, et ce, même si cela conduit à la destruction de ce qui a fait de Hong Kong la première place financière asiatique.
Les prochains mois devraient donc voir d’autres signes de cette nouvelle campagne de répression. En effet, en s’attaquant publiquement à des députés démocrates, Pékin espère décrédibiliser, voire écarter autant d’élus de l’opposition que possible pour les empêcher de participer aux élections de septembre. Et tous les prétextes seront bons pour les disqualifier, comme le non-respect du principe « d’un pays, deux systèmes ». Ce ne serait pas une première. Déjà en 2016, six nouveaux élus démocrates étaient disqualifiés pour avoir écorché leur prestation de serment. Pour Pékin, l’enjeu est grand puisque son camp est loin de pouvoir s’assurer du maintien de sa majorité au Legco en septembre prochain, après avoir subi une défaite cuisante lors des dernières élections de district en novembre dernier.
En arrêtant ces 15 personnalités réputées modérées, pacifiques, plus ouvertes au dialogue avec Pékin, la Chine se prive donc de tout juste milieu, enterrant pour de bon tout espoir de dialogue ou réconciliation après les manifestations de 2019. Maintenant, les Hongkongais n’ont plus que deux solutions : se ranger du côté des pro-Pékin, ou s’opposer avec encore plus de force à cette administration qui laisse l’autonomie de la RAS bafouée… Et c’est peut-être ce que la Chine espère : susciter une vive réaction de la population, qui poussera le gouvernement hongkongais à adopter la loi de sécurité nationale avant les élections de septembre.
Si la stratégie de Pékin semble toute tracée, un élément perturbateur pourrait lui mettre des bâtons dans les roues : en novembre dernier, Trump approuvait une loi conditionnant le statut économique spécial de la RAS, à un examen annuel du degré d’autonomie des autorités locales. Cela devrait donc rendre la tâche plus difficile à l’administration de Carrie Lam, et ajouter une certaine pression à Pékin dont les relations avec Washington sont déjà extrêmement tendues.
L’autre grande inconnue reste la réaction des Hongkongais, qui n’hésiteront pas à manifester leur mécontentement. Pour interdire tout rassemblement, le gouvernement pourrait bien invoquer le coronavirus, mais c’est sans compter sur l’inventivité des manifestants… Avec le 31ème anniversaire du Printemps de Pékin le 4 juin, le 1er anniversaire du mouvement pro-démocratie le 9 et 16 juin, et le 23ème anniversaire de la rétrocession de Hong Kong à la Chine le 1er juillet, les mois à venir devraient être agités.
Gan Xiqi est née en 1996 à Nanchang (Jiangxi) de parents avocats. Fille unique, elle fut la dépositaire de toute l’affection de sa famille, des parents aux oncles et tantes, en passant par les grands-parents qui l’avaient surnommée « Nai Nai » (奶奶, petit lait). Ses caprices furent systématiquement comblés, et un flux constant de cadeaux se déversa sur elle, des poupées Barbie aux tenues « Blanche Neige » ou « Cendrillon », souvenirs des excursions au Disneyland de Hong Kong. Très tôt, elle avait reçu son iPhone, suivi chaque année de ceux des prochaines générations. Que l’internet soit entré dans l’empire du Milieu l’année de sa naissance détermina sa personnalité. Contrairement à ses parents qui avaient été formatés par les livres et le papier, Xiqi vécut dans l’ombre de son smartphone et de son PC : le surf virtuel lui vint en même temps que ses premiers pas.
Dès l’âge de huit ans, elle aimait se produire en spectacle, dansant lors des fêtes d’anniversaire de son petit monde. Sa mère qui déplorait ses tendances à l’indolence, tenta de la cadrer. Mais précocement gâtée, Nai Nai ne faisait que ce qu’elle voulait, et savait obtenir de son père, par un câlin, ce que maman tentait de lui refuser. Aussi sa mère, la sachant perdue d’avance pour des études universitaires, la fit entrer à 11 ans en pensionnat dans une école de danse à la discipline rigoureuse, mais qui garantissait une des meilleures formations en ballet classique comme en danse moderne. En 2015, Nai Nai poursuivit par une école d’art à Xian (Shaanxi) dont elle sortie, tant bien que mal, diplômée en 2018.
L’adolescence protégée s’achevait : ses parents retraités n’avaient plus les moyens de l’entretenir davantage. Mais comment vivre ? Nai Nai ne voulait pas devenir l’amante de producteurs de TV, ni d’hommes d’affaires. Elle n’avait pas plus de goût pour se lancer dans la carrière sans fortune ni gloire de professeur de danse en école de quartier.
Que lui restait-elle ? Avec son iPhone, elle commença à se filmer depuis l’aube, une fois attifée et maquillée, pour poster le monde selon Nai Nai sur son site de vidéo-blog. Son choix fut de se montrer en ville, dans la superette, sur le parvis d’un temple, à la gym ou la piscine. Ce type de reportage en extérieur la différenciait déjà de la majorité des vidéo-blogueurs qui officiaient en chambre : sa parole était plus naturelle, et à sa joliesse piquante et souriante, elle ajoutait l’attrait du décor sans cesse renouvelé. Bientôt, elle fut remarquée par le Yuanqian Culture de Shanghai, un groupe sur internet qui coachait 300 bloggeurs et blogueuses du pays. Car sans en avoir l’air, le métier qu’elle s’était choisi était porteur : en 2018, 425 millions d’internautes s’étaient inscrits aux sites de vidéo-blog, avides de découvrir des vies plus chatoyantes que les leurs.
Chez Yuanqian, Zoe Dai, la chasseuse de tête retint chez Nai Nai sa beauté fraîche, pas encore retendue par la chirurgie esthétique. Borix Xu le PDG du groupe, fut lui séduit par son talent indiscutable à parler aux hommes. « Riche moi-même, déclarait-il, je reconnais au 1er coup d’œil les filles qui plairont aux gens aisés, par ses jolies lignes, et sa fausse humilité bien élevée qui rassure ». L’agence offrit donc à Nai Nai un contrat sur 3 ans incluant un studio à Shanghai, un agent et un assistant de production.
Ainsi nantie, elle commença à arpenter tout Shanghai en quête de scène exotique où se produire : dans une pommeraie en fleur en avril, dans un marché de rue, dans une salle de danse de K-pop, en balade sur le « Bund » (bord du fleuve Pu) ou la rue de Nankin. Elle restait en ligne six à huit heures le jour, le temps d’attirer toujours plus d’hommes qui lui passaient des messages et avec qui elle conversait – un temps proportionnel à leurs cadeaux, un « avion » (100 yuans), une « fusée » (500 yuans) ou une « super fusée » (2 000 yuans) – dont Yuanqian Culture prélevait 10%.
La nuit venue, elle revoyait en ligne les plus intéressés et les plus généreux : elle partageait alors leurs soucis et les cajolait. Elle pouvait jouer avec eux à un jeu électronique, répondre a leurs questions indiscrètes et parfois dévoiler un petit morceau de peau – sans toutefois aller plus loin. Une fois ces prétendants expédiés, elle ne rejoignait son lit qu’à deux ou trois heures du matin, pour réémerger passé midi.
Au bout de quelques mois de labeur, elle avait réussi à fidéliser 900 « followers », ce qui faisait d’elle au plan national, une vidéo-blogueuse de « poids moyen ». Le volume de ses cadeaux frisait chaque mois les 100 000 yuans (12 000 euros) – plus du décuple de ce qu’elle eût pu espérer en un métier en col blanc, diplômé. Mais Zoe Dai, sa superviseuse, se demandait combien de temps elle durerait ainsi, à « brûler la chandelle par les deux bouts » (蜡烛两头烧, là
D’immenses aventures, défis, épreuves attendent Nai Nai. Lesquelles ? on le saura dans le prochain numéro !
Notez qu’en raison de la situation actuelle, certains évènements ont été annulés ou repoussés à une date ulterieure (voir ci-dessous):
15 avril – 5 mai, Canton: Canton Fair, Foire industrielle internationale qui expose notemment dans les domains des machines-outils, bâtiment et construction, décoration, ameublement, luminaire, electroménager, domotique, électronique, mode et habillement, reporté – l’exposition se fera en ligne du 15 au 24 juin
27 – 29 avril, Shanghai : HDE – Shanghai International Hospitality Design & Supplies Expo/Hotelplus, Foire internationale du design hotelier et des espaces commerciaux, reporté au 12-14 août
Fin avril/ début mai (date à confirmer), Pékin : Session des deux Assemblées (CCPPC et ANP, Lianghui, 两会). La 17ème session du Comité permanent de la 13ème Assemblée populaire nationale (ANP) est annoncée prendre place du 26 au 29 avril a Pékin
6 – 7 mai, Suzhou : Chinabio Partnering Forum, Forum et exposition pour l’industrie des sciences de la vie, des biotechnologie et de la pharmacie, reporté – date à confirmer
6 – 8 mai, Canton : Paper Expo China, Salon professionnel international de l’industrie du papier, reporté au 14-16 août
6 – 9 mai, Shanghai : Bakery China, Salon international de la boulangerie et de la pâtisserie, reporté au 21 – 24 juillet
7 – 9 mai, Shanghai : FBIE – Food & Beverage China Fair – Import and Export/ Superwine, Salon international de Shanghai pour l’import-export d’aliments et de boissons et Salon du vin, reporté au 20 – 22 octobre
8 – 10 mai, Yantai :Yantai Equipment Manufacturing Industry Exhibition,Salon des équipements pour l’industrie manufacturière, reporté au 13-15 août
10-12 mai, Canton : CIAE – China International Game & Amusement Exhibition, Salon international de l’industrie des jeux et des jouets, maintenu à priori
11-13 mai, Canton: Steel Build, Salon international de la construction en acier et des matériaux de construction métalliques, reporté au 4-6 août
12 -15 mai, Pékin : CIEPE – China Police Expo, Salon international des technologies et équipements pour la police , reporté au 23 – 26 novembre
13 -15 mai, Shanghai : Biofach, Salon mondial des produits bio. Salon et congrès, reporté au 1-3 juillet
13 – 15 mai, Shanghai : SIAL China, Salon international de l’alimentation, des boissons, vins et spiritueux, reporté au 28 – 30 septembre
13 – 15 mai, Shanghai : THIS – The Health Industry Summit,Salon et congrès de l’industrie mondiale de la pharmaceutique et de la médecine, maintenu à priori
13 – 15 mai, Qingdao : API China, Salon chinois de l’industrie pharmaceutique, reporté au 9-11 juin
13 – 16 mai, Shanghai : Metal+ Metallurgy, Salon International du métal et de l’industrie de la métallurgie, reporté au 18 – 20 août
18 – 20 mai, Qingdao : CAHE – China Animal Husbandry Exhibition, Rencontre internationale pour les professionnels de l’élevage en Chine, reporté 4 – 6 septembre
19 – 21 mai, Shanghai : China Beauty Expo, Salon international de la beauté, reporté – date à confirmer
21 – 23 mai, Chengdu : CAPAS Chengdu, Salon international des pièces automobiles et des services après-vente autmobile, reporté au 20 – 22 mai 2021
21- 23 mai, Canton: Interwine China, Salon chinois international du vin, de la bière, et des procédés, technologies et équipements pour les boissons, reporté au 1 – 3 juillet
23 – 26 mai, Yiwu : China Yiwu Imported Commodities Fair, Salon des biens importés en Chine, maintenu à priori
25 – 27 mai, Shenzhen : China International Toy & Edu / Baby & Stroller, Salon international du jeu et du jouet et accessoires pour bébés et enfants, reporté – date à confirmer
26 – 29 mai, Shanghai : Design Shanghai, Exposition international du design, reporté au 26 – 29 novembre
27 – 30 mai, Pékin : CIAACE, Salon international des accessoires automobiles, maintenu à priori
27 – 28 mai, Shanghai : Metro China Expo, Salon international et conférence sur le transport par rail urbain et regional, reporté au 2 – 3 septembre
5 – 7 juin, Singapour : Dialogue de Shangri-La. C’est la première fois depuis 2002 que le forum annuel sur la sécurité en Asie est annulé.