Monde de l'entreprise : L’anti-espionnage s’invite chez les entreprises étrangères en Chine

L’anti-espionnage s’invite chez les entreprises étrangères en Chine

L’appel d’air provoqué par la fin des restrictions sanitaires devait être synonyme de renouveau pour des investisseurs curieux de revenir en Chine après un hiatus de plus de trois ans. Pourtant, ces derniers se trouvent refroidis par les récentes perquisitions et arrestations qui ont eu lieu au sein de sociétés étrangères.

Il y a d’abord eu l’arrestation début mars d’un Japonais travaillant pour la filiale chinoise du laboratoire nippon Astellas Pharma. L’homme, installé en Chine de longue date et ayant des contacts réguliers avec des représentants de l’industrie pharmaceutique et des cadres du gouvernement chinois, est accusé d’espionnage, tout comme 16 autres Japonais en Chine depuis 2015, selon le Asahi Shimbun.

Quelques jours plus tard, cinq salariés chinois de Mintz Group, société américaine spécialisée dans l’intelligence économique, étaient interpellés à Pékin et le bureau, fermé dans la foulée.

Début avril, c’était au tour de l’antenne shanghaienne de Bain, autre firme américaine de conseil en stratégie, d’être visitée par la police. Des ordinateurs et des téléphones portables ont été saisis, mais aucun employé n’a été emmené par les forces de l’ordre.

Les locaux de Capvision, cabinet de consulting newyorkais, auraient également fait l’objet d’une récente descente de police à Shanghai. D’après le Financial Times, les forces de l’ordre se seraient montrées particulièrement intéressées par les noms des experts chinois travaillant avec la firme.

Les autorités n’ont donné aucune explication à ces « raids », ce qui alimente une certaine nervosité au sein de la communauté d’affaires étrangère. Nicholas Burns, ambassadeur des Etats-Unis en Chine, s’est déclaré très inquiet de ces « actions punitives » à l’encontre de certaines compagnies américaines. Ce durcissement est-il à interpréter comme des « représailles » aux sanctions infligées par Washington et à des relations sino-japonaises tendues ?

Ce ne serait pas la première fois que Pékin arrête des ressortissants étrangers pour des motifs politiques. Fin 2018, deux Canadiens étaient arrêtés par les autorités chinoises et accusés d’espionnage quelques jours après l’arrestation au Canada de Meng Wanzhou, la n°2 de Huawei, à la demande des États-Unis. Si ce scénario se confirme, les firmes provenant de pays « amis » de la Chine ou qui entretiennent des relations cordiales avec Pékin – comme la France – seraient théoriquement à l’abri de tout ennui. Mais jusqu’à quand ?

A y regarder de plus près, ces contrôles et arrestations s’apparentent plutôt à une campagne plus large cherchant à limiter les informations (économiques) collectées en Chine auprès d’experts, d’entreprises ou d’administrations chinoises par des sociétés étrangères de consulting, cabinets d’audit et bureaux d’avocats.

À quelles fins ? Préserver la « sécurité nationale », obsession du leadership depuis quelques années déjà et, dans une moindre mesure, mieux contrôler la manière dont la Chine est perçue à l’étranger.

Les autorités ont ainsi restreint ou coupé totalement l’accès depuis l’étranger à différentes bases de données offrant des informations sur l’enregistrement des sociétés chinoises, le dépôt de brevets ou proposant un accès aux annuaires statistiques officiels et aux revues universitaires. C’est le cas des plateformes de données d’entreprises Tianyancha et Qichacha, de la base de données Wind Informationtrès populaire auprès des investisseurs et des analystes financiers – ou encore du CNKI (China National Knowledge Infrastructure), portail académique mis sous enquête l’été dernier par l’administration du cyberespace (CAC).

En somme, collecter des informations sur le marché chinois, ses concurrents et ses (éventuels) partenaires, pour le compte d’une société étrangère, pourrait désormais tomber sous le joug de la nouvelle loi anti-espionnage, qui entrera en vigueur le 1er juillet. En effet, le nouveau texte comprend la protection des « documents, données, matériels et objets relatifs à la sécurité et à l’intérêt national ».

Cette formulation ambiguë, sujette à interprétation, inquiète les communautés d’affaires étrangères, car le simple fait de discuter « politique » avec des Chinois – que ce soit de Taïwan ou de semi-conducteurs – pourrait potentiellement suffire à être suspecté d’espionnage*.

Les interlocuteurs chinois ne sont pas non plus épargnés et risquent de se mettre en danger s’ils échangent sur des sujets considérés comme « sensibles » avec des étrangers – même avec des diplomates** – et surtout s’ils divulguent des informations qui ne sont pas disponibles dans la presse officielle.

Ce climat de suspicion induit par cette nouvelle loi pourrait être particulièrement problématique au sein des joint-ventures.

Le sujet du travail forcé au Xinjiang est particulièrement problématique. En témoigne ce rapport officiel publié à l’occasion de la « journée nationale de sensibilisation à la sécurité nationale » (15 avril), qui prend l’exemple de ce cabinet de consulting du sud de la Chine qui aurait violé la loi anti-espionnage en fournissant un rapport à une société étrangère au sujet du travail forcé au Xinjiang – chose que Pékin dément formellement.

A ainsi marcher sur des œufs, les investisseurs étrangers pourraient prendre peur et être réticents à s’engager davantage en Chine, faute de pouvoir accéder à une information fiable sur le pays.

Cela viendrait également compromettre les propres efforts du gouvernement chinois pour attirer de nouveaux investissements étrangers dans des domaines stratégiques. Mais Pékin n’en est pas à une contradiction près…

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*Hideji Suzuki, prisonnier japonais en Chine pendant six ans, raconte avoir été arrêté après avoir banalement questionné un cadre du Parti lors d’un dîner au sujet de l’exécution de l’oncle du leader nord-coréen, Kim Jong-un.

** Dong Yuyu, journaliste chinois connu pour ses vues libérales, a été arrêté dans un restaurant pékinois en février 2022 après avoir déjeuné en compagnie d’un diplomate japonais. L’ex-éditorialiste du très officiel et conservateur Guangming Daily risque jusqu’à 10 ans de prison pour espionnage.

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