Trente jours ont passé depuis le crash du vol MU5735 de China Eastern le 21 mars. L’appareil devait amorcer sa descente vers Canton lorsqu’il a soudainement plongé de 8900 mètres d’altitude pour s’écraser sur un flanc de montagne, tuant sur le coup les 132 personnes à bord, dont trois pilotes.
Comme exigé par la convention de Chicago, le régulateur chinois (CAAC) doit avoir rendu sous 30 jours son rapport d’enquête préliminaire sur les circonstances du crash à l’organisation de l’aviation civile internationale (ICAO). Si ces rapports sont généralement rendus publics, la CAAC n’a pas souhaité le dévoiler en intégralité. En un effort de transparence mêlé à une certaine prudence, elle a néanmoins consenti à en publier un bref résumé le 20 avril. Signe de l’intérêt que l’opinion publique porte à l’enquête, l’annonce de la sortie du rapport a reçu plus de 850 millions de vues sur Weibo. Mais à la grande déception des internautes, le texte ne dévoile rien de plus que le public ne savait déjà.
Selon le résumé, la météo était au beau fixe ce jour-là, l’appareil était correctement entretenu, il ne transportait pas de marchandise dangereuse, les pilotes disposaient de toutes les qualifications requises et leurs échanges avec la tour de contrôle étaient normaux avant la descente infernale.
Le document affirme aussi que les deux boîtes noires – en cours de décodage depuis le 2 avril dans un laboratoire américain – sont très endommagées, laissant entendre que leur analyse pourrait bien prendre du temps.
Autre élément d’importance : la plupart des débris ont été retrouvés dans une zone concentrée. Les experts estiment que cela ne serait pas arrivé si l’avion avait explosé en plein vol. Cependant, un bout d’aile a été retrouvé à 12 km du point d’impact. Est-ce que cette pièce a quelque chose à voir avec la chute de l’avion ou alors s’est-elle détachée durant le plongeon de l’appareil ? Mystère…
De manière notable, le résumé de la CAAC ne reprend pas que les données du site web Flightradar.com qui démontrent que l’avion se serait stabilisé pendant 15 secondes avant de rechuter (cf carte). Un scénario qui pourrait signifier une intervention humaine.
Il faut dire que les rumeurs vont bon train. Début avril, la CAAC a ordonné un renforcement des contrôles de santé et du bien-être psychologique de tous les pilotes de vols commerciaux. « Des mesures qui ne sont pas à interpréter comme le signe que la cause du crash a été identifiée », a précisé Wu Shijie, cadre à la CAAC, tout en mettant en garde contre les nombreuses théories qui pullulent sur internet, comme celle du suicide du copilote, sorte de « Sully » chinois croulant sous les dettes…
Trois jours avant la publication du résumé de la CAAC, quelques B737-800 de China Eastern avaient repris du service, signe que la compagnie envisage à nouveau de faire voler ses 223 appareils de ce modèle, sauf ceux appartenant à « une série proche » de celui accidenté. Une précaution essentiellement symbolique puisque les autres compagnies aériennes chinoises ne sont pas aussi regardantes.
Cette reprise des vols a suscité des réactions mitigées sur les réseaux sociaux. N’est-il pas prématuré de remettre ces appareils en service avant même d’avoir décodé les données des boîtes noires ? La CAAC et China Eastern ont-elles obtenu des éléments les conduisant à écarter l’hypothèse d’un problème systémique avec les B737-800 NG, modèle aux solides performances en matière de sécurité ?
Ce qui est sûr est que si la CAAC avait eu le moindre doute concernant la sécurité de ces appareils, elle n’aurait pas hésité à décréter leur immobilisation, comme elle l’avait fait en 2019 suite aux deux crashs successifs du B737 MAX. C’est particulièrement vrai dans le contexte actuel, particulièrement tendu, entre la Chine et les États-Unis.
De son côté, Boeing n’a émis aucun bulletin de sécurité à la suite de l’accident. Il ne fait aucun doute que le constructeur américain suit avec grande attention les développements de l’enquête et veillera à sa réputation. En même temps, le rival d’ Airbus ne peut pas se permettre d’avoir l’air de dissimuler ou de nier tout problème éventuel, surtout depuis la débâcle du MAX qui vient tout juste d’être réautorisé à voler en Chine…
Au final, il faudra attendre la publication des analyses des boîtes noires pour en savoir plus… sachant que le rapport final pourrait bien prendre un ou deux ans, selon la complexité de l’enquête. D’ici là, l’intérêt du public pour le crash se sera sensiblement érodé.
Sommaire N° 16 (2022)