Petit Peuple : Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (2ème partie)

Suzhou (Jiangsu) – Un mariage compliqué (2ème partie)

Préparé depuis près d’un an, le mariage de Song Caifu et de Xia Lanfen était prévu pour ce matin du 31 mars 2021.

La première étape, chez les Xia, verrait l’ « enlèvement » de la promise : à neuf heures du matin, le fiancé et son clan sonnaient pour emmener Lanfen, en un rituel d’appropriation. C’était pour les parents Song l’occasion de voir enfin l’imminente jeune épouse. Aussi insolite qu’il puisse y paraître, ils ne la connaissaient pas : depuis le feu vert à leurs fiançailles en juin 2020, Caifu passait prendre Lanfen chez elle, mais l’inverse ne s’était jamais produit : en cette ville provinciale, si la demoiselle avait visité un jeune homme sans être d’abord passée par la case mariage, la demoiselle aurait risqué les cancans.

Aussi madame Song avait hâte de découvrir cette fille qu’elle n’avait jusqu’alors connue que par les bribes parcimonieuses de récit de son fils et l’enquête de moralité commanditée au détective. Avec son mari, elle fut présentée à Lanfen au salon, chaque couple de parents assis sur deux canapés alignés, et les jeunes se prosternant devant eux pour leur servir du thé. Mais alors que Lanfen versait le breuvage dans des tasses en « coquille d’œuf », madame Song découvrit sur elle un détail qui la frappa. Sur le dos de la main gracile et pâle se détachait un dessin plus foncé représentant vaguement une île. Or cette tache violacée, comme le thé de Pu’er que lui servait la fille, lui rappelait violemment le souvenir d’un vieux drame. 22 ans en arrière, leur fillette d’un an avait disparu, kidnappée suite à une négligence de la nounou. Or la petite avait porté au poignet gauche la même tache de naissance… Pour cette mère, la découverte suscita une émotion indescriptible. D’une petite voix, elle demanda en aparté à Mme Xia si par hasard, la gamine n’aurait pas été adoptée. Et pour le coup, ce fut au tour de cette femme de pâlir soudain, tout en bredouillant que oui. Car cela avait été jusqu’alors un secret absolu, auquel Lanfen même n’avait jamais été associée – trop petite, à un an lors de l’entrée dans sa nouvelle famille, elle ne s’était jamais doutée de rien.

En dépit de tous leurs efforts depuis le mariage en 1995, les Xia n’avaient jamais pu avoir d’enfant. Après avoir épuisé tous leurs moyens, ils s’étaient résolus  à adopter. L’enfant avait été achetée à un réseau de passeurs qui l’avaient présentée comme résultat d’un abandon par une famille pauvre du Sichuan. La profession d’avocat du mari, et ses contacts au Parti, leur avaient facilité la tâche, pour donner un peu de légalité à cette enfant d’origine incertaine. Mais alors, s’il en était bien ainsi, Caifu et Lanfen étaient frères et sœurs biologiques, et de par la loi ne pouvaient plus s’unir – un fort discrédit moral, et de sérieux soucis judiciaires frappent en Chine les mariages consanguins !

Hébétée, madame Song demanda à s’asseoir, et but un verre d’eau, le temps de reprendre ses esprits. Caifu le fiancé n’osait plus prendre dans ses bras sa fiancée qui pleurait à chaudes larmes : l’interdit planant soudain sur cette fête faisait peser une pression noire, annihilant toute pensée. De plus, les deux familles allaient perdre la face, et le malheur suivait au malheur : à la catastrophe de l’union interdite, allait succéder le scandale à Suzhou pour les mois à venir, confirmant le proverbe : « une vague à peine apaisée, une autre déferle » (一波未平,一波又起 – wèi píng, yòu ).

Prise dans la tourmente, madame Song restait dans sa torpeur, tandis que son mari debout réfléchissait à toute allure. Quand soudain son visage s’éclaira d’un espoir, tandis qu’il s’écriait, plus à la cantonade qu’à sa femme : « mais enfin, c’est l’émotion qui nous rend stupides… Caifu, nous aussi on l’a adopté, après avoir si longtemps cherché à retrouver notre petite et avoir vainement tenté de concevoir un autre enfant… À lui aussi, nous avons dissimulé son origine ». « Mais alors, s’écria Caifu, on peut quand même se marier ? »« Mais oui », confirmèrent les quatre parents soulagés, tandis que pérorait le maître du Fengshui, juste arrivé : « cet incident est un signe des Dieux, retrouvailles qui soldent un douloureux passé. Ce don du ciel vous promet une vie commune sous protection divine. Vous avez une chance très rare » !

Dès lors, la fête pouvait commencer. Fiancés, parents et témoins allaient à présent partir pour le bureau des mariages enregistrer l’union. Puis ils se dirigeraient vers la villa des Song pour recevoir les dizaines d’invités, le maître de la cérémonie confucéenne, le prêtre bouddhiste et les préposés à la réception des cadeaux. Les copains des deux jeunes allaient leur faire subir la série de « Nao », forme de sévices taquins, course en sac ou bien échange en coulisse de leurs tenues de mariage, histoire de  leur faire enterrer leur vie de célibataire et les « punir » de l’abandon de leur bande de copains. Et puis suivrait le banquet aux 15 plats consacrés. Parmi les invités figurerait un journaliste, notant l’incroyable aventure qui dès le lendemain allait faire le tour du pays !  

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1 Commentaire
  1. severy

    C’est extraordinaire. C’est vraiment le jeu du destin. Voilà une fille qui se marie et qui ne tombera certainement pas sous la coupe d’une belle-mère acariâtre.

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