Politique : Le chant du cygne de Wen Jiabao

Le chant du cygne de Wen Jiabao

Même les anciens Premiers ministres n’échappent pas à la censure dans la Chine de Xi Jinping. L’ex n°2 du pays de 2003 à 2013, Wen Jiabao, a vu l’hommage consacré à sa mère, décédée en décembre dernier, supprimé des réseaux sociaux après avoir été partagé des centaines de milliers de fois.

Wen « xi » attendait-il ? Probablement, puisque l’ex-Premier ministre a choisi de publier son essai dans un journal hebdomadaire méconnu, le « Macao Herald », l’ex-colonie portugaise ayant su conserver une presse un peu plus libre qu’ailleurs en Chine continentale. D’ailleurs, avant sa censure, aucun média officiel n’y avait fait allusion, ni Xinhua, ni le Quotidien du Peuple, ni la CCTV… Étant donné le statut de Wen Jiabao, la consigne de faire disparaître le texte a donc dû être donnée en haut lieu.

Publié en quatre parties à l’occasion de la fête de Qingming (la Toussaint chinoise), l’essai de Wen Jiabao, 78 ans, relate les épreuves qu’a dû traverser sa mère Yang Zhiyun, mais aussi son grand sens de l’intégrité. « Un jour, j’ai trouvé un centime et je l’ai mis dans ma poche. Lorsque ma mère l’a découvert, elle m’a battu avec un balai jusqu’à casser le manche. À partir de ce moment-là, j’ai appris que je ne pouvais pas prendre ce qui n’était pas à moi, même pas un centime », se rappelle l’ancien Premier ministre. « Même après ma promotion au sein du gouvernement en 1985, ma mère n’a jamais rien réclamé de la part du Parti, et n’a jamais usé de son nom pour obtenir une quelconque faveur ». Ce passage semble répondre indirectement à la polémique causée par les révélations fracassantes du New York Times en 2012, affirmant que la famille de Wen Jiabao aurait amassé une fortune estimée à 2,7 milliards de $, dont 120 millions de $ investis au nom de Yang Zhiyun dans le géant de l’assurance et des services financiers Ping An. Cette clarification pourrait également signaler que l’un des proches de Wen serait sur le point de chuter pour « corruption ».

Wen Jiabao consacre ensuite un long passage aux persécutions dont son père, enseignant dans une école de Tianjin, a été victime pendant la Révolution Culturelle. « Après avoir reçu plusieurs coups de poing, le visage de mon père était si boursouflé qu’il n’y voyait plus rien. En désignant son torse, mon père lança alors à ses tortionnaires : «frappez plutôt ici» raconte Wen. On retrouve là une marque de fabrique de l’ancien Premier ministre, un des rares dirigeants à évoquer publiquement les tourments de la Révolution Culturelle. Ce faisant, l’ex-Premier passe outre les consignes de Xi Jinping qui veut promouvoir sa version de l’histoire du Parti l’année du centenaire du PCC, avertissant contre tout « nihilisme historique ».

Wen poursuit en révélant l’inquiétude de sa mère lorsqu’il était à Zhongnanhai. « Pour quelqu’un comme moi, issu d’un milieu modeste, c’est par accident que je suis devenu dirigeant. J’ai obéi aux ordres avec la plus grande prudence, alors que je marchais sur des œufs, et me suis parfois trouvé au bord du gouffre », confesse-t-il. Ce rappel de ses origines modestes lui permet de s’opposer subtilement à celles des fils de leaders révolutionnaires, tels que Xi Jinping et Bo Xilai, rival (déchu) de Wen.

Dans le dernier paragraphe, Wen Jiabao dévoile sa vision de la Chine, suggérant que le modèle actuel ne répond pas exactement à ses attentes : « la Chine devrait être un pays remplit d’équité et de justice, où il y a un respect éternel pour le peuple, l’humanité et la nature humaine, et où il souffle un vent de jeunesse, de liberté et de travail assidu ».

Selon de nombreux observateurs, cette critique voilée ne méritait probablement pas d’être censurée. Mais dans le climat politique actuel, rien que d’oser prendre la parole (ou la plume) est considéré comme un acte de défiance, surtout de la part d’un ancien leader, l’appareil attendant d’eux qu’ils se retirent silencieusement de la vie publique. Cette censure impitoyable signifie que même les opinions modérées n’ont plus leur place aujourd’hui. Une intransigeance qui peut s’expliquer par le profond sentiment d’insécurité de Xi Jinping, l’année du 100ème anniversaire du Parti, mais aussi à la veille du XXème Congrès où il doit sécuriser un troisième mandat. Le Président ne veut donc prendre aucun risque.

Ce n’est pas la première fois que Wen Jiabao, connu pour ses vues réformistes, est victime de la censure. Lorsqu’il était encore en exercice en 2010, le Premier ministre avait déclaré lors d’une interview à CNN que la liberté d’expression était « essentielle » et que le désir de liberté et de démocratie du peuple chinois était « inévitable ». Après être devenue virale, la vidéo a disparu de l’internet chinois…

Avant de tirer sa révérence en 2012, l’ancien bras droit du Premier Secrétaire réformiste Zhao Ziyang avait enfoncé le clou : lors de la conférence de presse de clôture du Parlement, Wen Jiabao s’était lancé dans une longue tirade affirmant que « ce n’est pas uniquement le système économique qui doit être réformé, mais aussi le système politique. Sans quoi, la tragédie de la Révolution Culturelle pourrait bien se reproduire ». Une inquiétude partagée par son autre mentor, Hu Yaobang, dont le décès a déclenché les évènements du printemps de Pékin en 1989.

Durant ses deux mandats, l’ancien Premier ministre, parfois surnommé « Papi Wen », s’était rendu populaire par sa présence systématique sur le terrain en cas de catastrophe (accidents, inondations, tremblements de terre…), se bâtissant une image « d’homme du peuple ». Le contraste est frappant aujourd’hui, alors que le Président Xi a attendu de longues semaines avant de se rendre à Wuhan, lorsque la situation était déjà sous contrôle.

Et c’est dans cette brèche que s’engouffre aujourd’hui Li Keqiang, qui vit dans l’ombre du Premier Secrétaire omnipotent. Marchant sur les traces de son prédécesseur, l’actuel Premier ministre, qui devrait voir son second mandat prendre fin l’an prochain, s’est récemment montré désireux de se présenter comme un leader proche du peuple : en janvier 2020, Li Keqiang était le premier à se déplacer à Wuhan les jours qui ont suivi le début de l’épidémie, il a révélé en mai 2020 que la Chine était loin d’avoir éradiqué la pauvreté, il ne cesse de défendre l’emploi et les petits métiers comme ceux des vendeurs ambulants, il a enfilé ses bottes l’été dernier lors des fortes inondations dans le centre du pays, et multiplie les visites en campagne auprès des paysans. Comme quoi, l’opposition n’est pas forcément là où on l’attend…

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