Sept ans après la critique formulée par Xi Jinping à l’encontre des architectures « étranges et disproportionnées », la tutelle de l’économie (NDRC) a jugé nécessaire d’administrer une piqure de rappel.
En une directive publiée mi-avril, la NDRC a déclaré que la construction de bâtiments « hideux » doit être « absolument interdite ». Les gouvernements locaux doivent s’assurer que les édifices sont « adaptés, économes, verts et plaisants à regarder ». Autre indication : les tours de plus de 500 mètres seront « strictement limitées ». Sur les sept gratte-ciel au monde dépassant cette hauteur, cinq sont situés en Chine (la Shanghai Tower, la Ping An Tower à Shenzhen, le CTF Finance Center à Canton, le CTF Finance Center à Tianjin, et la CITIC Tower à Pékin).
La nouvelle consigne architecturale a été relativement bien accueillie par les internautes, tant sur le plan esthétique qu’économique. « La plupart des bâtiments mettent des années à être construits, et ils représentent un énorme gâchis de l’argent du contribuable », écrit l’un d’entre eux. Il n’en fallait pas plus pour faire vibrer la fibre nationaliste chez certains : « la Chine a longtemps été considérée comme le terrain de jeu des architectes étrangers », déplore un autre, convaincu que « l’effet visuel désordonné » de certaines villes chinoises est une « invention de l’Occident ». De fait, plusieurs architectes internationaux de renom tels Zaha Hadid ou Paul Andreu ont été sollicités pour « réveiller » la physionomie uniforme des mégalopoles chinoises, tout en libérant la créativité des architectes chinois, tel que Ma Yansong.
Au contraire, plusieurs internautes s’insurgent de la subjectivité du règlement, qui pourrait nuire à l’inventivité des concepteurs. « Qui est apte à juger la beauté d’un bâtiment ? Ce que je trouve hideux peut être considéré comme novateur par quelqu’un d’autre », écrit un utilisateur de Weibo.
Ce n’est pas la première fois que l’État tente de contrôler le paysage architectural des villes chinoises : l’an dernier, le ministère du Logement et du Développement Urbain-Rural a décrété que « le plagiat » de bâtiments était « strictement interdit ». Il faisait référence aux répliques de quartiers de style Renaissance et aux copies de monuments occidentaux, tels que le Capitole ou la Tour Eiffel. Dans la même idée, depuis 2016, les ponts, les routes, et surtout les complexes résidentiels, ne peuvent plus être baptisés avec des noms étrangers comme Park Avenue, Palm Springs ou Versailles. Ces appellations, censées souligner la sophistication des lieux et de ses habitants, portent atteinte à la « dignité nationale » et aux « valeurs socialistes ». Désormais, tous les aspects du bâti doivent être en phase avec les « caractéristiques chinoises ».
Mais ce n’est pas un succès à tous les coups ! L’an dernier, l’Etat a été contraint d’ordonner la « rectification » à Jingzhou (Hubei) d’une immense statue (58 mètres de haut, 1200 tonnes) représentant le « saint guerrier » Guan Yu, général de l’époque des Trois Royaumes érigé en modèle de vertu par le confucianisme. Pour déplacer le colosse 8 km plus loin, les autorités locales devront débourser 155 millions de yuans – c’est presque autant que le coût de sa construction.
Dans le même esprit, le Grand Théâtre Sunac de Canton a été élu l’édifice « le plus laid » du pays par les internautes en 2020. Conçu par un cabinet londonien, le théâtre semble avoir été victime d’une trop forte « sinisation », avec son revêtement rouge décoré de nuages et de Phoenix dorés (cf photo)…
Alors, comment expliquer ce bourgeonnement d’ouvrages de « mauvais goût » dans le pays ? Les experts s’accordent sur le fait que la course à la croissance économique des gouvernements locaux les a incités à faire preuve d’extravagance architecturale. En effet, en donnant « carte blanche » aux urbanistes, les cadres espèrent attirer les curieux, désireux de se prendre en photo devant une construction hors du commun, et donc stimuler les revenus touristiques. C’est un moyen pour eux d’accroître leurs chances de promotion en se faisant remarquer de leurs supérieurs hiérarchiques. Ainsi, tant que la composante architecturale ne sera pas prise en compte dans l’évaluation des cadres, il est probable que toute directive venue de Pékin soit vouée à l’échec.
1 Commentaire
severy
28 avril 2021 à 20:50La NDRC ferait bien de considérer les bâtiments longeant les faces est et ouest de la place Tian An Men comme particulièrement hideux. À quand leur démantibulation?