L’histoire de Tesla en Chine avait démarré sur les chapeaux de roues. Premier groupe automobile étranger à avoir obtenu l’autorisation de produire dans le pays sans partenaire chinois, la firme californienne a commencé la construction de son usine à Shanghai début 2019, attirée par les généreuses exemptions fiscales et les crédits à taux préférentiels offerts par la municipalité. Le public chinois étant particulièrement réceptif au génie visionnaire de son fondateur, Elon Musk, Tesla a réalisé l’an dernier 6,7 milliards de $ de ventes en Chine, faisant du pays son second marché après les Etats-Unis. Cependant, l’état de grâce de l’entreprise de Palo Alto pourrait bien prendre fin plus tôt que prévu.
L’affaire a débuté le 19 avril par un esclandre d’une cliente de Tesla au Salon de l’Auto à Shanghai. Prénommée Zhang, la femme est montée sur le toit d’une Tesla Model 3 (cf photo), puis s’est mise à crier qu’elle avait failli perdre la vie à cause du système de freinage supposément défectueux de son véhicule électrique. En litige avec Tesla depuis février, Mme Zhang réclamait le remboursement de sa Tesla Model 3 (actuellement vendue au prix de 249 000 yuans), sans pouvoir trouver un accord avec la firme. Rapidement interpellée par des agents de sécurité, elle a ensuite passé cinq jours en détention pour « trouble à l’ordre public ».
Cependant, la vidéo de l’incident a fait le tour des réseaux sociaux, les internautes sympathisant en grande majorité avec la cliente mécontente : « pauvre femme, je comprends son désespoir, la plupart des consommateurs n’ont aucun moyen efficace de défendre leurs droits », écrivait l’un d’entre eux. Surfant sur la tendance nationaliste (guócháo, 国潮), le t-shirt de Mme Zhang, portant l’inscription « les freins ne fonctionnent pas » et le logo de Tesla, a fait un carton sur Taobao.
Malgré la polémique, Tesla a initialement campé sur ses positions : « nous ne ferons jamais de compromis sur des demandes déraisonnables », a commenté Grace Tao, la vice-présidente du groupe en Chine, qui est allée jusqu’à suggérer que la cliente ait été incitée à protester par des « forces extérieures ».
Suite à cette déclaration, l’Association des Consommateurs Chinois (CCA), l’Agence Nationale de Régulation des Marchés (SAMR), la Commission Centrale d’Inspection Disciplinaire (CCID) et la Commission Centrale des Affaires Politiques et Légales, sont montées au créneau, appuyées par les médias officiels. « La popularité de Tesla en Chine s’explique par la confiance que les clients portent à la compagnie, mais l’arrogance, sans parler du manque de respect pour le marché et les consommateurs chinois, n’est pas une réponse appropriée », a déclaré l’une des agences sur son compte WeChat. Le message est clair : il est inacceptable pour Tesla de mordre la main qui le nourrit.
Sous le feu de la critique, Tesla n’a pas tardé à faire volte-face. La firme a présenté ses excuses et promis de faire de son mieux pour satisfaire sa cliente. Surtout, elle a accepté de partager avec les régulateurs les données enregistrées par le véhicule 30 minutes avant l’accident – une première.
Avec le recul, il aurait été facile pour Tesla de se prémunir d’un tel scandale en trouvant un terrain d’entente avec sa cliente avant le Salon de l’auto de Shanghai, évènement très médiatisé. Surtout que cette controverse tombe au bien mauvais moment pour Tesla…
En effet, le mois dernier, les véhicules de la marque américaine ont été interdits d’accès aux bases militaires chinoises, Pékin craignant que les caméras embarquées ne servent à des fins d’espionnage. Des suspicions balayées par Elon Musk en personne, avant que Tesla ne promette de stocker toutes ses données sur le territoire chinois.
Plus généralement, c’est une crise de confiance qui se profile pour la firme en Chine, alimentée par des plaintes visant ses pratiques commerciales « trompeuses », mais aussi les défaillances techniques de ses véhicules, faisant écho à celles déposées par des clients américains. Impassible face à la critique, Tesla nie toute responsabilité et a la fâcheuse habitude de rejeter la faute sur les conducteurs.
Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé la CCTV à ne pas dénoncer Tesla dans son dernier gala « 315 » à l’occasion de la journée des droits des consommateurs, les firmes étrangères constituant une cible de choix pour le programme télévisé. De la même manière, le constructeur américain est miraculeusement sorti indemne de la guerre commerciale entre Washington et Pékin.
Cette relative immunité est le reflet de l’intérêt stratégique que les autorités chinoises portent à la filière électrique. À l’inverse, Tesla ne serait probablement pas le leader mondial sans le marché chinois. Mais un revirement n’est pas à exclure à l’avenir, alors qu’une myriade de concurrents chinois, tels que NIO, Xpeng, BYD, Geely, se tiennent prêts à capitaliser sur le moindre faux pas du champion américain.
Sommaire N° 16 (2021)