Routes de la soie : Forum BRI : L’heure d’un premier bilan

Les préparatifs du second Forum de l’Initiative Belt & Road (BRI) (25 au 27 avril) plongent Pékin en grande nervosité, au vu de l’enjeu. Il est impératif de faire le plein de chefs d’Etat, de 1ers ministres et délégations, et faire mieux que le 1er forum de mai 2017 qui réunissait 29 leaders et 60 pays. A quelques jours du sommet, c’est réussi avec 37 chefs d’Etat et 100 délégations qui feront le déplacement, sur les 126 nations officiellement associées à ces nouvelles routes de la soie.

Dans la cohorte des chefs d’Etat, les amis « stratégiques » trônent au 1er rang, tels le russe Vladimir Poutine, le pakistanais Imran Khan ou le philippin Rodrigo Duterte – ce dernier, en dépit des 275 navires chinois civils et militaires qui enserrent son île Thitu (Spratleys) dans le but apparent d’empêcher le renforcement de sa base militaire, ce qui n’est pas un geste des plus amicaux. 

Côté Européen, figurent l’Italien G. Conte (« nouvel adhérent BRI »), le Grec A. Tsipras (dernier membre du sommet « 17 + 1 » entre Chine et  pays d’Europe Centrale et de l’Est, CEEC), et le Suisse Uli Maurer, Président de la Confédération qui vient signer un accord de coopération.

Theresa May reste bloquée outre-Manche par le Brexit, relayée à Pékin par son « chancelier de l’Echiquier » Philipp Hammond.

Implicitement, les autres leaders européens ont choisi de ne pas venir :  tel Emmanuel Macron qui délègue son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. En 2017, c’était l’ex-ministre J.P Raffarin qui représentait l’hexagone. 

Mise à part la Russie, les autres pays du BRICS, alliance de cinq nations émergentes (Brésil, Afrique du Sud et Inde), que la Chine soutient depuis des années, sont aux abonnés absents. L’Indien Narendra Modi, en pleine élection, conteste toujours l’influence chinoise sur le Pakistan, et son chantier à 62 milliards de $ de corridor économique (CPEC) à travers ce pays. Quant à Recip Erdogan, il fera finalement l’impasse.  Ankara dénoncait en février dernier le sort de 1,5 million de Ouighours confinés en « camps de formation ». Pourtant, l’énorme territoire turc, lien naturel entre Asie et Europe, peut espérer une belle part des crédits et projets chinois.

Pour la Chine, ce forum est donc le moment d’un premier bilan, après le lancement du 1er projet BRI en 2013 par Xi Jinping, avec N. Nazerbaev, son homologue à Almaty (Kazakhstan). Les balbutiements des débuts (initiative plusieurs fois renommée, souvent romancée, manquant de détails) ont fait place à des projets dont Pékin est fier, tels la remise à flot du port du Pirée en Grèce, ses lignes ferroviaires vers l’Europe via Duisbourg (Allemagne), son pont Padma au Bangladesh (3 milliards de $, partie de la future route Dakha-Calcutta), son parc éolien de Punta Sierra à 2 milliards de $ au Chili, alimentant en électricité renouvelable 130.000 foyers…

En six ans, le champ d’activité de l’initiative BRI s’est élargi : dépassant celui des équipements publics, elle intègre à présent les zones industrielles, la protection de l’environnement, et tente d’exporter ses normes. Hier étant limitée aux antiques routes de la soie vers l’Europe via le monde islamique, sa zone géographique s’est élargie aux cinq continents.

Un des patrons de la chancellerie chinoise, Yang Jiechi rappelle que l’initiative BRI, avec ses canaux, ports, autoroutes et autres infrastructures pour 1000 milliards de $, pourraient réduire, selon la Banque Mondiale, les coûts du commerce mondial de 1,1% à 2,2%.

Surtout, ce second forum sera l’occasion de répondre aux critiques. Au plan national, lors du sommet Chine-Afrique (FOCAC) à Pékin en septembre 2018, les citoyens chinois s’offusquèrent de voir les fonds nationaux développer l’étranger, au détriment même du pays.

De plus, une demi-douzaine de pays clients tel le Sri Lanka ont dénoncé des projets parfois trop rapides, imposés, trop chers, plongeant leurs gouvernements dans un piège de la dette. Réponse lapidaire de Yang Jiechi : le seul piège à redouter est celui du « non-développement ».

Europe et Amérique du Nord de leur côté, expriment leurs désaccords sur la façon dont ce plan BRI doit fonctionner, sous l’angle social, environnemental, financier, et sous quelles règles d’octroi des crédits et des chantiers. Ils dénoncent la non transparence des appels d’offres, trop « sino-centrés » : 70% de la valeur combinée des contrats BRI reviennent à 80 consortia publics chinois. Un axe de développement futur pourrait donc être de mieux associer le secteur privé aux projets BRI.

Pékin commence à entendre les exigences des partenaires. On le voit dans son pré-accord avec l’Italie, et celui révisé avec la Malaisie. La France elle, médite avec Pékin quatre projets en Afrique, à cofinancer par l’AFD (Agence Française de Développement) et la CDB (China Development Bank). Mais ces chantiers, à ce qui apparaît, seront respectueux des normes internationales, et une fois signés, ne seront pas des projets « BRI ».

Ainsi, le succès de ce second Forum BRI ne tiendra pas seulement aux montants des nouveaux projets signés. Si le plan BRI doit s’imposer comme outil mondial de développement, la Chine doit associer davantage les parties étrangères tierces, gouvernements, banques et entreprises, pour les intéresser à participer à l’initiative. Selon le mot d’un diplomate étranger, la Chine « doit apprendre à sortir du multi-bilatéralisme, et de sa vision d’elle-même comme l’axe d’une roue de bicyclette, où chaque nation cliente joue le rôle d’un rayon ».

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