Le Vent de la Chine Numéro 16-17 (2024) – Spécial visite de Xi en France

du 11 au 17 mai 2024

Editorial : La « relation spéciale » entre la France et la Chine
La « relation spéciale » entre la France et la Chine

La Chine connaît très bien les forces et faiblesses des puissances moyennes avec lesquelles elle traite. Après deux jours passés entre l’Elysée et le col du Tourmalet – fameuse étape du Tour de France dans les Hautes Pyrénées –, la visite de Xi Jinping en France (5-7 mai) a été présentée par la presse chinoise de façon forte avenante : selon le China Daily, « le renforcement de l’amitié franco-chinoise sera une aubaine pour le reste du monde ». Selon le Global Times, les relations entre la France et la Chine contribuent à « la stabilité mondiale », tandis que la France bénéficierait d’une « relation spéciale » avec la Chine parce qu’elle fut « le premier grand pays occidental à établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine » (ce qui n’est historiquement pas tout à fait exact).

Rien n’est plus efficace pour recueillir les faveurs de la France et de ses dirigeants que de mettre en avant la « civilisation et la culture française » dont la « profondeur » serait similaire à celle chinoise. En réalité, les Chinois apprennent tôt que la Chine et ses 5 000 ans d’histoire ne peut se comparer à la France qui, avec ses 1 500 ans au plus (si on commence avec le couronnement de Clovis, roi Franc plutôt que « Français ») et sa population équivalente à deux grandes villes chinoises n’est qu’une petite et barbare banlieue de la capitale céleste.

Rien ne nourrit mieux le sentiment de vanité culturelle des Français, que cette tribune de Xi Jinping publiée dans Le Figaro, dans laquelle il affirme que « le charme unique de la France » provient de ce qu’elle serait le « berceau de tant de grands philosophes et écrivains qui ont inspiré l’humanité » (quoique la Chine n’ait cessé de remettre en cause leurs idées, les droits de l’Homme n’étant du point de vue de Pékin qu’une construction idéologique occidentale visant à promouvoir le colonialisme et à empêcher l’émergence de la Chine…).

Flatteries mises à part, la récente visite de Xi en France, précédée par celle du chancelier allemand Scholz à Pékin en avril, répète en partie la partition de celle de 2019 quand, après la visite d’Angela Merkel en Chine en mars, Xi Jinping s’était rendu en Italie, en France et à Monaco en septembre. Déjà à l’époque, l’Allemagne jouait cavalier seul afin de préserver son industrie automobile. Cependant, en 2019, il y a 5 ans, tout était aussi très différent. A ce moment-là, afin que l’Europe parle d’une seule voix, Macron avait invité Merkel et Junker, alors président de la Commission. La visite fut suivie de l’annonce de grands contrats (40 milliards d’euros de contrats entre la Chine et la France). A ce moment-là, l’Italie était sous le feu des critiques pour avoir accepté de participer aux « Nouvelles routes de la soie » (BRI) – le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, déclarant : « Les pays qui croient pouvoir faire des affaires intelligentes avec les Chinois se demanderont quand ils se réveilleront soudainement dans la dépendance ». Ce qui peut paraître ironique venant de l’Allemagne puisque cinq ans plus tard, ce sont les grands constructeurs allemands comme BMW et Mercedes Benz qui, dépendants du marché chinois, s’opposent aux tarifs douaniers contre les véhicules électriques des chinois BYD, Geely et SAIC.

Le fait que, en 2019, Macron disait « nécessaire de défendre véritablement les intérêts et les valeurs qui unissent les pays de l’Union européenne » et qu’en 2024 il dise à nouveau que « l’UE possède aujourd’hui le marché le plus ouvert au monde… mais [que] nous voulons pouvoir le protéger » semble montrer le peu de progrès réalisés dans ce domaine. De fait, la rencontre de 2024 a eu peu de résultats sinon la mise en suspens des sanctions sur le cognac – une goutte d’alcool dans l’océan du déficit commercial de 53 milliards d’euros avec la Chine, qui est aussi le plus grand déficit commercial bilatéral français.

Pendant longtemps, l’Europe a accepté le déficit commercial parce qu’il permettait une amélioration du pouvoir d’achat de ses consommateurs. La conséquence en a été une désindustrialisation massive, une perte d’emplois à la fois quantitative et qualitative (ubérisation) et au final une dépendance à des produits vitaux (pharmacie, matières rares et éléments à haute valeur ajoutée et environnementale : panneaux solaires, éoliennes, batteries électriques) au nom d’un transfert rêvé à une souveraineté globale de marché qui n’a jamais existé.

Le réveil est tardif, trop tardif. A la demande de Von der Leyen et de Macron d’équilibrage commercial et de contrôle des exports excédentaires, Xi Jinping a répondu que cette surcapacité « n’existait ni du point de vue de l’avantage comparatif ni à la lumière de la demande mondiale ». Des déclarations pour le moins surprenantes, alors qu’il existe en Chine un débat sur la meilleure manière d’y mettre fin.

A ce volet commercial s’ajoute un volet géopolitique qui parait de plus en plus déconnecté de la réalité. Selon Von der Leyen « l’Europe et la Chine ont un intérêt commun dans la paix et la sécurité. Nous comptons sur la Chine pour qu’elle utilise toute son influence sur la Russie pour mettre fin à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine ». Il y a ici deux problèmes évidents.

D’une part, il semble difficile de cerner aujourd’hui les domaines où la Chine et l’Europe ont des intérêts sécuritaires partagés. En Europe, où Xi Jinping s’est rendu ensuite dans les deux pays les plus anti-Bruxelles et anti-OTAN, la Serbie et la Hongrie, pour élever à un nouveau niveau leur partenariat stratégique ? En Serbie, où la Chine a réitéré son soutien au refus du pays de reconnaître le Kosovo à l’encontre de 104 autres pays dans le monde qui en acceptent l’indépendance ? En Ukraine où la Russie de Poutine, avec laquelle la Chine de Xi a voué une amitié « sans limite », se livre à une agression contre un pays démocratique souverain ? En mer de Chine du Sud et dans le Pacifique, où l’Europe et la Chine s’opposent sur le respect du droit international de la mer et la légitimité des exercices de libre navigation en mer de Chine du Sud ?

D’autre part, on peut aussi légitimement se poser la question : qu’est-ce que l’Europe a véritablement à offrir à la Chine en échange de ce qu’elle demande ? En échange d’une relation commerciale Chine/Russie qui a atteint 240 milliards de $ en 2023 ? En échange d’une relation géopolitique avec Moscou qui vise à « désoccidentaliser » le monde ? Rien. Or, quand on n’a rien à offrir ou presque, il n’est pas étonnant qu’on n’obtienne pas grand-chose en retour…

Par Jean-Yves Heurtebise


Economie : Liste des accords et contrats commerciaux signés
Liste des accords et contrats commerciaux signés

On se souvient des 50 contrats signés en 2014 à l’occasion du 50ème anniversaire des relations diplomatiques entre Paris et Pékin. Dix ans plus tard, ce sont seulement 18 contrats qui ont été conclus en marge de la visite de Xi Jinping en France (5-7 mai), essentiellement dans les domaines de l’énergie, de la finance, des transports et de l’industrie des batteries, pour des projets en Chine comme dans l’Hexagone (ce que souhaite davantage voir Emmanuel Macron). L’ère de la surenchère de contrats a fait long feu…

Malgré cette maigre récolte, il faut savoir que les investissements chinois en France ont connu une forte croissance ces dernières années. Cela ne les empêche pas de rester bien en deçà de ceux des 2 000 entreprises françaises présentes en Chine (employant plus de 300 000 personnes) : la Banque de France recensait 9,3 milliards d’euros d’IDE chinois en France en 2022, contre 30 milliards d’euros d’IDE français en Chine. Dans le domaine des investissements aussi, l’asymétrie est flagrante… En attendant, voici le détail des contrats du « cru » 2024 :

Suez : protocole d’accord signé avec Envision pour un « partenariat stratégique » visant à la création, en France, d’un parc industriel net zéro pour recycler des batteries électriques; nouvel accord avec son partenaire Chongqing Sanfeng Environment pour la valorisation énergétique des déchets, grâce à des technologies avancées pour convertir les déchets résiduels en électricité et en chaleur ; enfin, nouveau contrat signé avec la ville de Dongguan et son opérateur Dongguan Water Group pour la conception, la fourniture et l’installation de technologies et de services d’ingénierie pour la construction d’une vaste usine de valorisation des boues locales à Dongguan, pour près de 100 millions d’euros.

Alstom : contrats de fourniture de systèmes de traction électrique signé avec le groupe New United pour les lignes de métro de Pékin et de Wuhan et avec CRRC pour la fourniture du système de traction électrique de la ligne 8 du métro de Hefei (Anhui).

EDF : trois projets de partenariat signés avec SPIC dans la production d’hydrogène, dans l’installation de panneaux photovoltaïques en Arabie Saoudite, et pour la maintenance de l’éclairage public basse consommation à Wuhan ; l’électricien français a par ailleurs acté un engagement à poursuivre et élargir sa coopération existante avec China General Nuclear Power Group (CGN).

Orano : accord avec Xiamen Tungsten New Energy pour la mise en place d’un partenariat stratégique global dans l’industrie des batteries.

Fives : protocole d’accord avec Envision pour une coopération dans l’assemblage de cellules de batteries en France.

Crédit Agricole : renouvellement du protocole d’accord stratégique avec la Bank of China pour « faciliter leurs opérations conjointes ».

Groupama : création d’une coentreprise avec Shudao Group sur la finance verte.

Safran Helicopter Engines : deux contrats de support à l’heure de vol signés avec la société privée General Dynamic Aero Technology Co. Ltd (GDAT). Selon les détails fournis par Safran dans un communiqué, ils concernent le soutien des moteurs Makila équipant sa flotte d’hélicoptères Airbus H225, ainsi que des moteurs Arrano équipant les hélicoptères H160 de GD Helicopter Finance (GDHF) opérés par GDAT, qui entreront prochainement en service. Ces deux contrats de type SBH®* couvrent le support en service et le MRO (maintenance, réparation et révision) de 140 moteurs Arrano 1A et Makila 2A1.

–  Schneider Electric : projet de coentreprise avec le groupe chinois Star Charge dans les points de recharge de véhicules électriques. La création de la JV est prévue pour le 1er novembre 2024.

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Au plan agricole, la visite a également permis la signature de :

–  Un accord de zonage avec la Chine (une première pour un pays européen) qui permettra aux entreprises françaises de continuer à exporter de la volaille sur le marché chinois, même si un cas de grippe aviaire a été détecté dans le pays, à condition que la viande provienne de zones indemnes du virus.

–  L’autorisation d’exporter vers la Chine de nouvelles parties du porc, les « abats blancs », c’est-à-dire des pièces issues du système digestif comme l’estomac et l’intestin. Cet accord devrait permettre aux producteurs français d’augmenter de 10% leurs exportations vers la Chine, soit 26 millions d’euros supplémentaires.

–  Un accord administratif relatif à la coopération vitivinicole permettra la promotion, la structuration et facilitera la coopération dans le secteur vitivinicole en Chine. Deux appellations vins de Bourgogne, Mâcon et Gevrey Chambertin, devraient ainsi être officiellement reconnues en Chine ce mois-ci. Cette décision devrait ouvrir la voie à la reconnaissance « de l’ensemble des appellations de la Bourgogne », qui compte notamment 84 AOC viticoles.

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Et enfin, au plan technologique, la visite a également permis la signature de dix accords sur l’utilisation de l’intelligence artificielle, « qui doit servir l’intérêt public » et dont le développement « doit respecter les buts et principes de la Charte des Nations Unies ». Bon à savoir : la France est l’un des rares pays, à l’exception de la Chine et des États-Unis, à disposer d’une société d’intelligence artificielle de pointe : Mistral AI, parfois surnommée « l’OpenAI européenne ».


Podcast : 51ème épisode des Chroniques d’Eric : « Xi en France et souvenir pékinois »
51ème épisode des Chroniques d’Eric : « Xi en France et souvenir pékinois »

Venez écouter l’épisode 51 des « Chroniques d’Éric », journaliste en Chine de 1987 à 2019 et fondateur du Vent de la Chine.

Episode 51 des « Chroniques d’Éric » : « Xi en France et souvenir pékinois »

Xi Jinping s’en est venu en France, puis s’en est allé. Je m’en vais aujourd’hui vous en parler. Et puis, puisque la censure en Chine n’a jamais été si forte, en homme comme en technologie, étouffant le moindre volume de libre arbitre, je voudrais aussi vous raconter comment nous la ressentions il y a 30 ans, et comment à une bande de copains journalistes de toute la terre, nous nous étions organisés pour y faire échec.

Tous ces épisodes, inspirés par mes souvenirs et l’actualité, n’ont que le double but de vous amuser et faire découvrir la Chine.  N’hésitez pas à les repartager sur les réseaux sociaux ! 

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