La menace du Président américain D. Trump d’une guerre commerciale avec la Chine fait peser un nuage sur le plan BRI (Belt & Road Initiative) – un ensemble de ceintures (axes terrestres) et de routes (maritimes) à travers le monde.
En effet, le BRI est une stratégie à long terme, conçue comme levier de redéploiement de technologies, de conquête de parts de marché et d’écoulement de surcapacités – acier, verre, électromécanique, matériel ferroviaire. Or, Trump ne cache pas la finalité protectionniste à sa démarche, la une volonté d’enrayer cette concurrence chinoise et protéger les marchés de multinationales américaines, aux Etats-Unis et en dehors.
Premier blocage : celui sur le marché des semi-conducteurs. D. Trump barre à ZTE pour sept ans la porte des achats d’équipements et de logiciels made in USA. Le même ostracisme n’est pas loin de frapper Huawei, l’autre équipementier chinois des télécoms, à qui est également reproché d’avoir violé l’embargo en Iran. Les deux géants chinois poseraient aussi un « risque de sécurité », en raison de la possibilité de transmission secrète de leurs données vers la Chine à l’insu des utilisateurs. Au 1er plan des produits américains interdits à ZTE, figurent les semi-conducteurs. Mais si ZTE n’accède plus à la source américaine de ces pièces, composantes incontournables de tout équipement connecté, comment la Chine peut-elle proposer à l’international les TGV, barrages, centrales thermiques aux normes actuelles, conformément aux ambitions du programme BRI ?
Paradoxalement, l’enjeu du conflit est sans doute ailleurs, dans le plan « made in China 2025 », par lequel Pékin tente de rattraper par tous les moyens son retard en technologies de pointe. Trump tente de contrecarrer ce plan qu’il assimile à du vol pur et simple. Ainsi, Pékin va devoir faire des concessions et rassurer davantage sur le plan « Made in China 2025 » que sur les BRI.
Jusqu’à ce jour, la Chine, grâce à sa discipline d’Etat et sa puissance financière, est capable de proposer des chantiers qu’elle finance en grande partie, se remboursant ensuite par livraison de matières premières ou par le contrôle de la billetterie du service fourni. Le résultat est présenté comme « gagnant-gagnant », en permettant à des pays pauvres d’accéder à l’électricité, aux routes, à des hôpitaux modernes qu’ils n’auraient pas autrement. La Chine elle, obtient à bon prix les ressources nécessaires à son industrie. Autre atout très fort des BRI, la Chine met un point d’honneur à n’attacher à ces projets aucune condition politique, contrairement aux Etats occidentaux et à la Banque mondiale. Cependant, une denrée vitale manque à ces échanges : la concertation. Durant ces palabres avec ses petits partenaires, Pékin impose tout, choix des matériaux, coût, conditions du prêt.
Bien peu de pays peuvent s’y opposer : « c’est à prendre ou à laisser ». Une fois le projet achevé, s’il s’avère inutilisable, comme au Sri Lanka le port d’Hambantota (coût = 1 milliard de $, trafic nul), China Merchants, le groupe auteur du projet, devient alors son propriétaire pour 99 ans !
Or ces petits pays écrasés sous les dettes n’osent pas protester contre ces règles imposées par Pékin. Même l’Union Européenne étouffe ses critiques envers un système financier et réglementaire chinois discriminatoire, quoiqu’il raie souvent ses firmes de la compétition internationale – jusque sur son propre territoire.
Ce tableau change cependant, avec la contre-offensive de Trump : reprenant courage, les pays quittent leur passivité. Ainsi le 20 avril, 27 des 28 ambassades européennes à Pékin (à l’exception de la Hongrie) dénonçaient le BRI comme un système « inéquitable » assurant aux conglomérats chinois un avantage injuste sur la concurrence. Fait remarquable, à cette fronde, dix nations d’Europe Centrale et de l’Est se sont ralliées, en dépit de leur appartenance au groupe des « 16+1 » avec la Chine, créé par Pékin pour lui servir de lobby des intérêts chinois, moyennant la promesse de projets « BRI » à foison sur leur sol. Mais en co-signant la lettre de Bruxelles, ces pays déplorent implicitement que les projets chinois tardent à venir…
Autre difficulté qui pointe à l’horizon : Li Ruogu, président de l’Exim-bank (principal banquier des projets BRI) admet que la majorité des pays hôtes des projets sont trop endettés pour espérer emprunter plus, faute de banques prêtes à prendre le risque. Wang Yiming, haut cadre du Conseil d’Etat, estime le déficit en fonds frais, à 500 milliards de $ sur dix ans. Ainsi, la Chine coupait en 2017 ses crédits BRI de 28%, à 14,3 milliards de $. Selon Li Ruogu, le pays ne peut plus soutenir seul son effort d’équipement hors frontières. Pékin milite auprès des Etats et des capitaux privés pour les faire participer. Le maître acronyme nouveau est « PPP », « projet public-privé ». Mais pour le moment, Pékin prêche dans le désert.
Comment convaincre des fonds de pension de participer à des projets aux lois disparates et inappliquées, au risque d’émeutes ou de corruption importants ? D’ailleurs en Chine, des milliers de projets PPP lancés l’an dernier ont été retirés sur ordre de l’Etat central : c’étaient des « faux projets », destinés à permettre aux provinces de drainer l’épargne et s’endetter davantage, contournant les consignes de Pékin. De même, les investissements privés chinois, loin d’augmenter, ont reculé de 30% en 2017, sur ordre d’un Etat craignant la fuite des capitaux. Manière de dire que même si les entreprises voulaient intervenir dans des projets BRI, elles trouveraient des difficultés, du fait de la méfiance du pouvoir central.
Autant le dire, pour créer la confiance en ces projets BRI, Pékin va devoir démontrer une gestion saine et profitable, et s’entendre avec les Etats comme les capitaux privés, chinois comme étrangers. Cela prendra des années, et ce ne sera gagné que par une remise en cause de toute sa gouvernance actuelle, axée sur l’autorité et le contrôle central.
Sommaire N° 16-17 (2018)