A travers le monde, l’économie du partage est un marché en plein boom. En Chine, d’ici 2020, il représentera 10% du PIB, en croissance de 40% par an. En 2016, ce marché chinois pesait 503 milliards de $, +103% par rapport à 2015. Attirés par l’opportunité, les tenants mondiaux du secteur s’alignent pour cette course au gâteau chinois. Mais pour les groupes étrangers, la réussite est loin d’être garantie. Uber, le géant américain des VTC, peut en témoigner – arrivé en Chine en 2014, et en folle bataille avec Didi Chuxing, son clone local. Deux ans plus tard, le groupe californien finit terrassé par son rival, qui racheta ses actifs en Chine – avec la probable « bienveillance » de l’Etat. Didi jouit désormais du quasi-monopole du marché, évalué à 29,6 milliards de $ en 2016.
Airbnb, plateforme communautaire de location d’appartements à court terme, semble avoir réfléchi aux causes de cet échec, et cherché à entrer avec prudence sur le marché chinois en 2013. En septembre 2014, il s’associe avec Alipay pour intégrer cette solution de paiement utilisée par 450 millions de Chinois. En 2015, Airbnb se fait épauler financièrement, à hauteur d’1,5 milliard de $ par Sequoia et China Broadband Capital. Désormais intéressés à son succès, ces fonds d’investissement vont l’aider à trouver le bon CEO Chine. Puis en février 2016, Tencent permet aux utilisateurs d’accéder à Airbnb (en chinois) via leur compte WeChat ou Weibo. En 2016, Airbnb crée son entité juridique locale, ce que n’avait pas fait Uber. Puis il installe des serveurs dédiés en Chine, pour stocker les données des utilisateurs et les mettre à disposition des autorités. Ces « data » servent à l’enregistrement de police et au crédit social en cours de mise en place. Toujours en 2016 : Airbnb conclut des accords directs avec 4 grandes villes (Shenzhen, Shanghai, Canton, Chongqing) – conventions de pure convenance pour l’instant, mais qui permettent de s’attirer leurs bonnes grâces. Actuellement, Airbnb recense 80.000 annonces – une goutte d’eau par rapport à ses trois millions dans le monde. Mais pour faire décoller son business, Airbnb compte sur les 400 millions de jeunes chinois dits « Millennials », de moins de 35 ans, voulant découvrir leur pays par eux-mêmes, et préférant la liberté et la personnalité d’un appartement au côté « standard » des hôtels. 5,3 millions d’entre eux ont déjà découvert la formule Airbnb hors frontières.
Toutefois, le groupe semble avoir sous-estimé une spécificité locale qui compte : la méfiance des propriétaires chinois est plus forte qu’ailleurs – pas toujours à tort. Craignant les dégâts, ils ont du mal à laisser leur bien à de parfaits inconnus, et préfèrent souvent garder vide leur investissement.
Tujia (途家), n°1 du marché avec ses 1,1 million de propriétés et 30 millions d’inscrits, a bien intégré cette appréhension culturelle. Pour la dissiper, il mise sur les services : installation d’une serrure à digicode, fourniture de mobilier, nettoyage de l’appartement après chaque client… Il encourage également les utilisateurs à relier leurs comptes Airbnb à Sesame Credit (service de note des individus selon leur comportement, de Ant Financial, filiale d’Alibaba, ). Autre innovation forte, Tujia met 20 à 30 logements sous la gestion d’un manager dédié, qui conseille les propriétaires pour rendre leur bien plus attractifs, et adapté à la clientèle. Cette approche « personnalisée » est une formule gagnante : Zhou Lixia, du groupe LVYINN manager d’un groupe d’appartements disponibles sur plusieurs plateformes de partage, préfère ouvertement Tujia par rapport à Airbnb, en raison de d’un service client plus facilement joignable. Sur le marché chinois dès 2011 (trois ans avant Airbnb), Tujia a derrière lui Ctrip, HomeAway (Expedia), All-Stars Investment (déjà actionnaire d’autres sociétés innovantes comme Xiaomi et Didi Chuxing) et Ascott, qui lui ont confié en cinq ans 458 millions de $. Dominant le marché, Tujia est plébiscité par un public familial, cherchant à voyager à bon prix, tout en cuisinant comme « à la maison » et en occupant plusieurs chambres sans devoir réserver la suite d’un hôtel.
Ainsi, le retard d’Airbnb et son adaptation incomplète sont des freins à son expansion. Une autre erreur de parcours (évitable) a été ce nom chinois présenté par le PDG de 35 ans, Brian Chesky, « Àibǐyíng » (爱彼迎 – « s’accueillir mutuellement avec amour »). En dépit de sa positivité moraliste, ce nom fit bondir des milliers d’internautes, dérangés par son étrange prononciation. D’où l’importance d’étoffer l’équipe locale (60 employés actuellement), ce que Chesky promet de faire (en la triplant), fin mars, devant un parterre de l’Université Fudan (Shanghai), ainsi que de trouver enfin le CEO-Chine, qui se fait toujours désirer après deux ans de recherches. Airbnb cherche aussi à boucler son partenariat avec Baidu (le moteur de recherche n°1 en Chine). C’est que Baidu est l’actionnaire n°1 de Ctrip, qui est en partenariat avec Tujia, son concurrent. D’autres alliances vont donc suivre—tel le rapprochement avec Xiaozhu (小猪), le n°4 du logement partagé (150.000 appartements, 18 millions d’usagers). S’appuyant sur les listings d’Airbnb, le groupe chinois logerait ses clients à travers l’Asie (Japon, Corée du Sud…). Airbnb lui, accélérerait sa pénétration en Chine, grâce à ceux du partenaire local. Une alternative consisterait en un rachat pur et simple de Xiaozhu, pour atteindre ensemble la masse critique et pouvoir envisager plus sereinement l’avenir face à Tujia.
Enfin, tant que le nombre d’appartements listés n’affecte ni le prix de l’immobilier, ni le bon fonctionnement des hôtels (dont les tarifs sont moins élevés qu’en Europe ou en Amérique), les municipalités peuvent en rester à leur actuel laisser-faire, sans réglementer dans un sens limitatif. Après tout, ces mairies peuvent avoir un intérêt à protéger ce marché encore natif (à peine 3,5 milliards de $ en 2016, +131% par rapport en 2015). Par exemple, pour trouver un emploi pour les dizaines de millions de logements construits ces dernières années et restés déserts : une hausse du taux de PIB des villes, indirecte (par le revenu du propriétaire) et directe (par la taxe qui, un jour ou l’autre, sera imposée), tout en instaurant une saine concurrence avec le secteur hôtelier.
1 Commentaire
severy
30 avril 2017 à 08:42À quand le caravaning connecté tout électrique. Il n’y a pas que les villes qui soient attrayantes en Chine.