Editorial : Un Xi peut en cacher un autre

Ces derniers jours, le Président Xi Jinping multiplie les déclarations en contrepoint de son action – refaçonnant mystérieusement sa propre image.
Ren Zhiqiang, « tycoon » blogueur aux 38 millions d’abonnés, avait osé en février critiquer la campagne de Xi visant à bâillonner les média. Le bureau pékinois de la propagande contre-attaquait : Ren avait « perdu l’esprit du Parti », « rejoint l’opposition ». En principe, ses jours en liberté étaient comptés. Or, suite à cette insolence, la police se contenta de fermer son blog. Puis le 2 mai, le verdict tombait : Ren n’était pas arrêté, mais suspendu pendant un an du Parti – une tape sur les doigts ! Le 30 avril, Xi déclarait devant 70 citoyens que le Parti devait « faire confiance à ses intellectuels » et « tolérer leurs critiques… même celles incorrectes et préjugées ». Xi prenait les devants 8 jours plus tôt lors d’un séminaire de politique du cyber-espace, appelant à plus de tolérance envers les critiques « bienveillantes » : pour le bien du Parti, les cadres devraient apprendre à devenir de « vrais amis des intellectuels ».
Entre la légère sanction à Ren Zhiqiang, et ces nouvelles déclarations de Xi, le lien est clair. Ren a été épargné, comme exemple de la nouvelle marche à suivre. D’ailleurs, il y avait eu un précédent, lors d’une conférence sur la religion : Xi déclarait que le pays « soutiendrait la formation des prêtres… pour les préparer à exercer leur apostolat… dans la  confiance de leurs ouailles ». En renfort, la presse citait le séminaire islamique de Pékin, qui devrait « aider cette église à faire que ses imams suivent la voie de la paix ». Le maître-mot dans ce discours était le même que celui employé vis-à-vis des intellectuels : la confiance. Xi Jinping admettait que sans confiance en leur clergé officiel, les fidèles se tourneront vers la clandestinité. Or pour susciter cette confiance, le clergé doit pouvoir gérer ses affaires à distance plausible de l’Etat, qui doit limiter son interférence aux affaires du « monde », sans toucher aux dogmes.
En fait de religion, cette dernière position rectifie la précédente, beaucoup plus dure : Xi affirmait sa volonté de « rééduquer » les prêtres selon une ligne « patriotique ». Ainsi, sur ces deux domaines, politique et religieux, Xi a infléchi sa doctrine vers un même sens, à vrai dire très inattendu :  confiance et tolérance.

Pourquoi ce revirement ? Une partie de l’opinion est sûre qu’il s’agit d’une tentative de Xi pour adoucir son image d’homme à poigne. Une telle théorie est certes concevable—mais en politique chinoise, rien n’est simple.
Notoirement, Ren Zhiqiang est un proche de Wang Qishan, patron de l’anticorruption, pilier du pouvoir de Xi Jinping. Or la dernière rumeur  affirme que cette attaque contre Ren aurait été orchestrée par Liu Yunshan, chef de la propagande, qui visait Wang Qishan. Ce qui dévoile une toute autre grille de lecture : derrière le rideau se déroulent deux conflits, un d’hommes, et un d’idées. Dans les deux cas, Xi a pris le parti de Wang, et celui de la tolérance—signe avant-coureur possible d’une fin de la chasse aux sorcières.
Que cela soit vrai ou non, les vents politiques actuels, depuis l’arrivée de Xi, soufflent toujours :
– Dans l’Anhui, lors d’une visite du Président fin avril, une nouvelle chanson élogieuse de « Xi Dada » (习大大, ou « Papa-Xi ») tournait en boucle sur internet, bravant le discret effort depuis Pékin pour calmer cette campagne de culte de la personnalité.
– En publiant la semaine passée son discours de décembre devant le Bureau Politique, Xi fait feu de tout bois contre toutes sortes de concepts ou de groupes sociaux, « débats impropres », « cabales et cliques  », barons du régime et leurs familles, « capitalisme occidental » ou « libéralisme ».
– Xi fait aussi diviser par deux (à 47 millions de $) le budget de l’année de la Ligue de la Jeunesse, le fief de son prédécesseur Hu Jintao, accusé d’« élitisme et d’inefficacité ».
Clairement, une bagarre fait rage, contre tous les rivaux de Xi, en préparation du XIX Congrès de 2017.

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