Aux confins du Tibet et du Sichuan, le groupe Huadian entame la construction d’un barrage hydroélectrique à Suwalong, le premier sur la Jinsha, le cours supérieur du Yangtzé. Le coût dépassera les 3 milliards de $, et le tablier les 112 mètres de hauteur. Le réservoir contiendra ses 674 millions de m3, et la capacité de production fera 1,2 GW (plus puissant qu’un réacteur nucléaire conventionnel), à partir de 4 turbines.
Le cours sera détourné fin 2017, laissant place au chantier du barrage, qui doit être mis en eau en 2021, pour produire 5400 GWh par an—soit le double en puissance, du barrage de Zangmu inauguré en octobre 2015 sur le Yarlung Zangpo (Brahmapoutre). C’est aussi le premier ouvrage sur le haut cours du Yangtzé et le premier outil du projet de transmission par super-haute tension vers la côte. Le gouvernement « espère » que ce projet va ouvrir la voie à des projets équivalents sur les cours voisins, la Nu (Salween), le Langcang (Mékong).
Comme tous les projets géants chinois, ce concept suscite des passions opposées, entre « pour » (du Parti) : car, la rétention de l’eau en réservoirs, permet à la Chine d’allouer de forts volumes à son irrigation intérieure—et les « contre » (environnementalistes). En effet, le Tibet, parfois nommé « le 3ème pôle terrestre », est la réserve en eau de l’Asie, et l’on ignore l’effet à long terme de cette domestication aveugle de ses cours, cumulée au réchauffement global. Les 35.000 glaciers du Tibet pourraient avoir fondu d’ici 30 ans, asséchant les fleuves, et causant une catastrophe vivrière pour les voisins, de l’Inde, au Bangladesh en passant par Cambodge, Laos ou Thaïlande.
Concernant la répartition, la Chine promet aux pays riverains de négocier, et vient de relâcher ses vannes sur le Mékong quelques semaines. Mais, même en cas de gestion concertée en « bon père de famille », la dépendance envers la Chine est ressentie de façon aiguë par les voisins.
Le dernier problème est insolite : avec la quasi-récession présente, la demande en électricité a baissé, le cours mondial aussi, et nombre de ces barrages ont perdu en pertinence par rapport au moment de leur conception. En 2014, plus de 20.000 GWh ont été « abandonnés » –l’eau passant dans les conduites sans entraîner les turbines– dans les seuls barrages du Sichuan et du Yunnan. En 2015, ce volume d’énergie non produite aurait doublé.
On assiste ainsi à une scène étrange : des barrages potentiellement inutiles, malgré tout construits, pour des milliards de $ peut-être gaspillés. Tout cela pour assurer le travail des ouvriers, les enveloppes des promoteurs (on parle souvent de 5% du coût du projet), et « les intérêts stratégiques de la nation ».
Energie : Barrage de Suwalong, un mammouth utile ?
6 mai 2016
1 Commentaire
severy
10 mai 2016 à 14:03La Chine se prend pour la mère des contrées voisines, distribuant avec une grandeur d’âme feinte le lait qui coule de ses vastes mamelles tibétaines.