Les éditeurs de jeux vidéo ont poussé un long soupir de soulagement le 11 avril. Après un gel de près de neuf mois sur les nouvelles licences d’exploitation, le régulateur chinois a finalement donné son feu vert à 45 titres. Ce déblocage inattendu annonce-t-il la fin de la croisade lancée par le gouvernement contre les jeux vidéo, accusés d’être « addictifs » et de mettre en scène des contenus « inappropriés » ? Pas si sûr…
À regarder de plus près la liste publiée par l’administration nationale de la presse et des affaires publiques (NPPA), aucun titre autorisé n’appartient aux leaders du marché, Tencent et NetEase. La plupart des jeux ont été développés par des acteurs de moindre taille, comme Baidu, XD.com, Lilith Games et 37Games.
De plus, le nombre de jeux approuvés représente à peine la moitié des titres validés mensuellement avant l’interruption. À ce rythme, le cabinet spécialisé Niko Partners prédit l’approbation de 500 à 700 jeux d’ici la fin de l’année.
C’est ce qui fait que les professionnels du secteur accueillent avec prudence ce premier signe de dégel. Aucun ne s’attend à ce que Pékin relâche son contrôle, ce qui va entretenir le climat d’incertitude qui plane sur l’industrie depuis de longs mois. Certains analystes interprètent plutôt ce déblocage comme un geste de bonne volonté, censé rassurer les marchés et les investisseurs.
Ce n’est pas la première fois que les autorités chinoises suspendent l’octroi de nouvelles licences. En 2018 déjà, les développeurs avaient également dû patienter neuf mois avant de pouvoir commercialiser de nouveaux jeux, le temps de remanier les organes de régulation, dont la NPPA qui dépend depuis lors du département central de la propagande.
Cette fois-ci, il s’agissait de procéder à une refonte en profondeur du cadre réglementaire de manière à protéger davantage les mineurs (système de reconnaissance faciale, limite de temps de jeu…), et de s’assurer de la mise en conformité de tous les acteurs du marché.
Les éditeurs chinois ne sont pas les seuls à souffrir de ce durcissement réglementaire. Il est de plus en plus difficile pour les studios étrangers d’obtenir le blanc-seing des censeurs. Jusqu’à présent, ces derniers accédaient au lucratif marché chinois (46 milliards de $) en formant des partenariats avec les acteurs locaux. Seulement, ces mêmes partenaires n’ont aujourd’hui plus aucun moyen de garantir l’obtention d’une licence… Résultat, le nombre de jeux étrangers autorisés à pénétrer le marché chinois n’a cessé de se réduire ces dernières années : 180 jeux approuvés en 2019, 97 en 2020 et 76 en 2021. Pour 2022, nul ne sait si la NPPA va autoriser de nouveaux titres étrangers. Même les moyens détournés qui permettaient jusqu’à présent aux joueurs chinois d’accéder à des jeux non approuvés en Chine disparaissent…
Ce gel a indéniablement pesé sur la croissance de l’industrie chinoise. Selon les chiffres officiels, l’augmentation du chiffre d’affaires brut aurait ralenti à 6,5% en 2021 contre 20,7% en 2020. Au moins 14 000 firmes du secteur ont mis la clé sous la porte durant les six derniers mois de 2021. Même Tencent et NetEase ont affirmé que leur rythme de recrutement ralentit et qu’ils seraient contraints de procéder à des licenciements.
Voyant leur croissance verrouillée sur le marché domestique, leaders et start-ups chinoises se tournent vers l’international. En 2021, leurs revenus enregistrés hors de Chine ont augmenté de 16,6%, dix points au-dessus de leur croissance sur le marché local.
Cependant, si les éditeurs chinois veulent réussir hors frontières, ils doivent étoffer leur catalogue de jeux sur PC et consoles, leur talon d’Achille. Il y a six mois, Tencent a révélé qu’il travaillait à l’adaptation de « Honor of Kings », le premier jeu mobile à avoir franchi le seuil des 10 milliards de $ de recettes. Pour gagner en compétence sur ce pan du marché, Tencent et NetEase n’hésitent donc pas à recruter massivement chez les géants historiques du jeu vidéo. Autre versant de cette stratégie, la multiplication des prises de participation chez les petits acteurs comme chez les leaders de l’industrie : Epic Games (Fortnite), Riot Games (League of Legends), Ubisoft… À lui seul, Tencent a été impliqué dans plus de 100 rapprochements uniquement sur l’année 2021 ! Et ce n’est sans doute qu’un début…
Sommaire N° 15 (2022)