Depuis la réélection de Tsai Ing-wen à la présidence de la République de Chine (Taïwan) le 11 janvier, les relations entre Taipei et Pékin se détériorent. Malgré les appels répétés de la Chine à ne pas politiser la crise actuelle liée au Covid-19, les luttes d’influence qu’elle mène pour isoler Taïwan ne font qu’exacerber les tensions et affecte profondément le sentiment nationaliste de la population taïwanaise.
Depuis 30 ans, l’Université Nationale Cheng-Chi (NCCU) réalise un sondage sur la question de l’attachement identitaire des Taïwanais. D’après ses derniers résultats (cf photo), en 2019, seul 3% de la population taïwanaise (soit 700 000 personnes) se sentait purement et seulement chinoise (contre 26% en 1992) – et serait donc pleinement favorable à une unification immédiate avec la Chine continentale. Parmi ces 3 %, certaines catégories de la population sont surreprésentées : les plus âgés, les continentaux (ceux arrivés avec Chiang Kaï-Shek en 1947), et les habitants de Kinmen (île proche du continent, qui appartient à Taïwan). Surtout, le sondage démontre que 59% de la population se considère uniquement taïwanaise et 35% à la fois taïwanaise et chinoise. Un renversement de la tendance puisqu’en 1992, ils étaient 46 % à se revendiquer des deux identités et seulement 17% à se sentir uniquement taïwanais. Ce qui est notable, c’est que les résultats de 2019 correspondent pratiquement à ceux des dernières élections présidentielles : 57% pour le DPP et Tsai Ing-wen, traditionnellement pro-indépendance, et 38% pour le KMT et Han Kuo-yu, plutôt pro-Pékin.
Selon un sondage du Mainland Affairs Council, le cabinet taïwanais (ROC) en charge des relations avec la Chine continentale et qu’on ne saurait accuser d’être pro-indépendance, la défiance à l’égard de la Chine n’a jamais été aussi haute : 76,6% des Taïwanais voient la Chine comme une puissance inamicale et 90% s’opposent au modèle hongkongais « un pays, deux systèmes ». Une manière commode de comprendre ces résultats serait d’y voir la conséquence d’une « influence américaine pernicieuse » voulant diviser la « race chinoise », et la couper de son « sol ancestral ». En réalité, les Etats-Unis n’ont pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour pousser leur soft-power. La Chine se charge d’elle-même de convaincre les Taïwanais de son animosité : isolationnisme géopolitique, manœuvres d’encerclement par avions de chasse et bombardiers le 12 février, 17 mars et 10 avril, et attaques d’hors-bords le 20 mars.
Le 8 avril, le Dr Tedros, directeur de l’OMS, mettait de l’huile sur le feu en accusant Taïwan – et non pas simplement certains Taïwanais (comme il aurait pu le formuler) – de lui avoir adressé des messages à caractère raciste. Ces accusations, immédiatement réfutées et condamnées par Joanne Ou, porte-parole de la République de Chine – d’autant que les services taïwanais ont montré que les insultes seraient en fait issues d’IP chinoises – ajoutaient encore à la défiance des Taïwanais envers cette institution critiquée pour sa complaisance envers Pékin depuis le début de la crise épidémique.
De plus, la légitime fierté d’avoir rapidement réussi à juguler la crise sanitaire (39 cas, 6 morts au 18 avril – un chiffre très bas comparé aux 23 millions d’habitants que compte l’île) et de pouvoir désormais aider les autres pays du monde (don de 7 millions de masques à l’Europe, de 2 millions aux Etats-Unis, et d’1 million en Asie) renforce encore le sentiment chez les Taïwanais de la valeur et de la singularité de Formose. Au vu de ce succès, on pourrait se demander si de même que la guerre commerciale entre Chine et Etats-Unis a profité à Taïwan au plan économique, Taïwan n’est pas aussi en train de gagner la bataille de la « corona-diplomatie », au moins au sein des pays de l’OCDE. Ainsi, lorsque Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, remerciait chaleureusement Taïwan, et que le Département d’Etat américain qualifiait la République de Chine de « véritable ami » suite à l’envoi de masques, Pékin grinçait des dents. Pour Taïwan, cette crise sanitaire s’est transformée en vecteur de visibilité nouvelle.
1 Commentaire
severy
19 avril 2020 à 21:59L’OMS a tout à perdre de l’absence de la République de Chine en son sein. Chacun le sait. Le harcèlement de la Chine continentale sur cet organisme international qui devrait être neutre et apolitique n’aboutit qu’à le discréditer. La communauté mondiale n’y gagne rien.