Editorial : La main dure et ses limites

Le 15 avril, journée nationale de l’éducation à la sécurité, Sohu.com présentait « un ami masqué », bande dessinée racontant l’histoire édifiante d’un cadre suborné par un membre d’une ONG internationale. Payé pour lancer des rumeurs parmi les travailleurs et les inciter à manifester, le cadre finissait en prison, et l’agitateur masqué se sauvait en hâte (cf photo).
Il n’est effectivement pas exclu que des Etats implantent en Chine leurs espions sous couvert d’organisations non gouvernementales. La Chine peut donc avoir un droit légitime à chercher à se protéger de leurs agissements. Mais par son ton acide, cette BD fait du tort aux ONG étrangères, dans leur immense majorité dévouées à la cause humanitaire. Elle n’aide pas non plus à renforcer la confiance entre la société chinoise et le microcosme étranger vivant à ses côtés.
Le même jour, le ministère de la Sécurité nationale dévoila un site internet pour encourager les masses à dénoncer toutes menaces sécuritaires, toutes tentatives de « renverser l’ordre socialiste ». Des primes sont promises à quiconque signalera micros ou cameras « planquées », et tentatives d’obtention de secrets d’Etat. Le site en question accepte les dénonciations en chinois et en anglais. Dès 2017, selon Beijing Daily, le bureau pékinois de sécurité nationale offrait 10.000 à 500.000 ¥ comme récompense.

Autre sujet, Pékin lance son nouveau « hukou » (户口) à points. Pour décrocher ce permis de citoyenneté locale, le candidat doit justifier d’un titre de résidence temporaire, d’un casier judiciaire vierge et d’un âge inférieur à la retraite (55 ans aux femmes, 60 aux hommes). D’autres points sont à glaner au niveau du revenu, des diplômes, de l’esprit d’entreprise—et d’une bonne attitude en général. Le score exigible sera communiqué plus tard, mais les conditions apparaissent d’ores et déjà endurcies. Par exemple, les cinq années de cotisations sociales réclamées hier, passent à présent à sept. Les petits commerçants des marchés de Pékin sont d’ailleurs invités à plier bagages . C’est la suite de la campagne d’expulsions de citoyens de « bas niveau », en cours depuis novembre 2017 à Pékin et ailleurs, pour les inciter à rentrer au village natal. C’est l’expression de la tension publique, face à une mutation trop rapide et d’une concentration urbaine devenue ingérable… Tant bien que mal, et sans enthousiasme, la société s’en accommode.

Dans ce contexte, la démarche autoritaire arrive parfois à ses limites. De façon inattendue, lors de trois réunions en présence d’hôtes de marque étrangers, le Président Xi Jinping a précisé être personnellement opposé à un mandat à vie pour lui-même : l’amendement voté en mars à la constitution aurait été « mal interprété ». Le changement, ajoute Xi, aurait été nécessaire pour « harmoniser les durées des trois mandats » – celui de Président limité à 10 ans, et ceux de 1er Secrétaire et de chef des armées, illimités. Xi aurait ressenti le besoin de faire cette déclaration suite à un grand nombre de questions d’investisseurs étrangers inquiets pour la profitabilité future du pays sous cette nouvelle donne.

Sur internet, c’est le portail social Weibo qui faisait marche arrière : le 13 avril, il annonçait le nettoyage de tout contenu pornographique, violent ou homosexuel (photos, textes, BD...). Mais la réaction de la société entière, dépassant les « chapelles » des milieux intellectuels et LGBT, fut si vive et outragée (300 millions de clics sur le hashtag #jesuisgai, avant son élimination le 14) que dès le 16 avril, Weibo reculait. Ce ballon d’essai avait été lancé par des autorités déterminées à protéger la société du « vulgaire » – et de tout ce qui n’adhère pas stricto sensu aux mots d’ordres du Parti. Dans ces deux cas à ce qui semble, le régime se rend compte  d’une limite à ne pas franchir—et bien pragmatiquement,  il en tient compte.

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